Le cache-misère d'un poème jeté
sur les accrocs, les trous
Les déserts
La fosse glissante s'élargissant
sous notre destinée
Ce qui pourrait devenir
Silence
Chute
L'arc scintillant de la cascade
s'égouttant au printemps naissant
Le manteau posé sur le vent, les
lacunes, les défaillances
La crevasse du manque
Puis le dénuement
Le dénudement
Le nu de la blessure
En chemin de révélation
Le poème se lit sur l'or de ses
fissures
L'ouvrage de vers couvre des
épaules meurtries
Ses franges lumineuses oscillent
légères au-dessus
Au-delà de la douleur
Fleurs de songe
Éclosions de clarté
Or
Le menteur peint d'ombre les
laideurs
Sous sa cape brodée d'étoiles
mortes
Il luit mais reste froid
Le poète lui
Est un cracheur de feu
Un souffleur de voix
***
J'étais assise entre les boites,
les coffres, les chiffonniers à tiroirs
Où sommeille la mémoire
Doucement, incidemment, sans
raison... Sait-on ?
S'est ouvert un très vieux carton
D'où s'est envolée une paire de
souliers en cuir tressé
Couleur miel de châtaigne
Chaussures à mon pied
Elles t'avaient coûté une fortune
Toute la peine de tes jours de
vignes
A courber l'échine
Au milieu des champs
Pour m'offrir ta vendange
Ange sombre
Fol ange
Les sous jetés pour une paire de
souliers en cuir tressé...
M'ont-ils fait mal aux
pieds ?
Je l'ai oublié
C'était l'automne
La plus chère de mes paires
Étrangement, longtemps plus tard
Un homme dans une grande
ville
Vint à pied me nommant
"Chaussure"
Mais je n'en suis pas sûre car il
portait des gants
Ils trottinent sur ce long chemin
de poussière
Où tu t'en es allé
Ils marchent, mes jolis
escarpins, et je te connais
Je sais que parfois tu leur
demande de s'arrêter
Intimidés, ils se rapprochent
Se serrent l'un contre l'autre
Tu les poses sur tes genoux et
les brosses
Pour accueillir le soleil
Le peu de soleil
Qu'il reste
Là-bas
Les notes du piano s'égouttent
Peut-être tu écoutes
C'est loin
Au fond du temps
Mais tout va bien
***

Afin de sculpter son œuvre de tristesse
Le destin a pris tes yeux, ta langue fausse
Ta main jusqu'à l'ossature creuse me ciselant
Fouillant mes os de tes ciseaux en quête d'ombre
En quête du tombeau étroit
Où je loge à plat ventre
Les seins écrasés
Nombril contre terre
Chien sans errance possible
Noyau fixe d'une lune
Tournant désespérée autour d'elle -même
Sans m'atteindre
En alerte
En attente
Plus minérale que ces femmes voilées de suaires noirs
Qui semble penchées au-dessus d’un ravin secret
Mais toi
Tu as épié mes parois sous toutes les coutures
Arraché les emplâtres et défait les
coutures
Ta lame a incisé mes côtes
En son endroit le plus enflé et le plus rouge
D'entaille en entaille
Ta langue lamellée de paroles d'amour
Frappe à la porte à grands coups
Déguisant sa voix rêche par des alcools doux
Cherche l'amande
Au fond du trou
La bête empêtrée dans ses racines à demi-sèches
Je suis là
Œil de tanière
Je te vois faire
Et je suis ton malheureux miroir
***
Aucune de mes offrandes ne suffirait à ce dieu
Sans soleil
En vain j'ai brûlé les plus rares encens
Et cultivé les fleurs d'oranger
Au pied de son autel
Aride
Avide
Vainement chaque jour j'ai créé des prières
Allumé des cierges en frottant mes mains
Comme des ailes de silex
Appelant de mes doigts de nouvelles étincelles
Qui n'éclairaient que moi
Aucune de mes flammes ne suffirait à ce dieu
Des Enfers
Lorsqu'il ouvre les yeux
Lorsqu'il pose son regard doré et boréal
Sur le front de qui porte en lui sa foi
Qu'il ouvre les bras au-dessus de son gouffre
Que nul n'entrevoit
Il change en ombre le rêve qui l'a suivi
Et la ferveur en froid
Un jour, j'étais si nue
Je grelottais au milieu du printemps
J'ai mis le feu à son église
Craché un incendie écarlate dans sa cathédrale
Longtemps je l'ai regardé brûler
En pleurant
De ce bûcher crevant le ciel
Se sont enfuis rats et démons
J'ai vu ce dieu de poussière
Traverser les murs sans jamais se consumer
Traverser la rue où j'avais tant prié
Traversé la ville de part en en part
Entrer puis disparaître dans un autre temple
Ou dans une autre gare
Aucun de mes pardons ne suffirait à ce dieu
Dépeuplé
Un jour, à ma fenêtre je prenais la lumière
Je l'ai vu apparaître
J'ai vu ses lèvres bleues
J'ai vu ses ongles bleus
Auréolé d'un feu d'artifice,
Il m'implorait un dernier sacrifice
Enjôlée, je suis mise à genoux
J'ai mis au monde un long poème
Quand j'ai ouvert les yeux
Il avait disparu
Aucune de mes offrandes
Aucune de mes larmes
Aucun de mes pardons
Ne suffiraient à ce dieu mor
***
Je suis cheval
Je rêve que je suis cheval
Je franchis les portes de la ville en nuit
Portant au ventre le bruit
De poèmes en armes
Sur les cris assourdis
Par-dessus les maisons qui dorment
J'aiguise les flammes de ma crinière
Je suis une écuyère
Je rêve que je suis écuyère
Je mène mon cheval de Troie
À l'abattoir du royaume assoupi
Une arène de cirque
Des fantômes portant masques d'hommes
Poignard à leurs ceintures
Roses à la boutonnière
Frappent leurs mains de cendres
Sous les sabots de ma bête de sommeil
Une mare de sang
Je suis une guerrière
Je rêve que je suis une guerrière
Sous le chapiteau de la ville
Les spectres ont éteint la lumière
Debout sur mon coursier de bois
J'agite des torchères
Ils font tournoyer leurs frondes
On me jette des fleurs
Des fleurs de ronces et des pierres
Je tombe
Je suis un enfant
Je rêve que je suis une enfant
Au centre d'un grand cercle
Un anneau profond en rotation
Un lent tourbillon de poussière
Coulant par le vertige au fond de l'entonnoir
Désespérément je m'accroche
Aux haillons d'un amour
Aux rayons des soleils
Épaves illusoires
J'entonne dans le noir
Des tessons de poèmes
Qui me déchirent la gorge
Je suis un grain de sable
Je rêve que je suis un grain de sable
Qui regarde les vagues
***

La
joie
Scintille
paillettes d'or sur l'eau trouble
Sans
pouvoir
Dire
Ce que
j'ai lu dans l'ondoiement de l'eau qui coule
Le temps décante
Or le désenchantement épand de
nouveaux enchantements
Ceux qui sèment
Même parmi les mauvaises herbes
Ceux qui se sont voûtés au-dessus
de l'aride
Afin de faire fleurir l'écarlate
Sur la rose des sables
Ceux qui penchés sur la simple
source
Que pleurait la montagne
Rêvaient de creuser des oasis
En pleine saison sèche
Qu'ils ouvrent leurs mains
profondes
Leurs paumes résurgentes
Où brillent comme en une antique
psyché
De leur âme intarissable, les
fragments
La joie
Réminiscences du soleil
Sur la vase en sommeil
Poudroie
***
Au
pied du mur
Son
encre s’est détachée de mes cernes
Je
l’ai regardé s’éloigner
Traînant
son sac de chagrins
Alors
Émergeant de l'ombre
Les doigts du soleil
Dans ma chevelure, ont fait un
jardin
Un verger secret
Avec des pommes d’amour
Des ailes bleues de libellules
Des lunes d'eau de roche
Et des oiseaux d’Eden
|