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Janvier-Février 2019

 

 

Invitée : Anna-Maria Celli

 

« Le poème se lit sur l'or de ses fissures… »

 

Poèmes inédits pour Francopolis

 

Œuvres de Débora Stein (*)

 

 

Le cache-misère d'un poème jeté sur les accrocs, les trous

Les déserts 

La fosse glissante s'élargissant sous notre destinée

Ce qui pourrait devenir

Silence

Chute

L'arc scintillant de la cascade s'égouttant au printemps naissant

Le manteau posé sur le vent, les lacunes, les défaillances

La crevasse du manque

Puis le dénuement

Le dénudement

Le nu de la blessure

En chemin de révélation 

Le poème se lit sur l'or de ses fissures

L'ouvrage de vers couvre des épaules meurtries

Ses franges lumineuses oscillent légères au-dessus

Au-delà de la douleur

Fleurs de songe

Éclosions de clarté

Or

Le menteur peint d'ombre les laideurs

Sous sa cape brodée d'étoiles mortes

Il luit mais reste froid

Le poète lui

Est un cracheur de feu

Un souffleur de voix

 

*** 

 

J'étais assise entre les boites, les coffres, les chiffonniers à tiroirs

Où sommeille la mémoire

Doucement, incidemment, sans raison... Sait-on ?

S'est ouvert un très vieux carton

D'où s'est envolée une paire de souliers en cuir tressé

Couleur miel de châtaigne

Chaussures à mon pied

 

Elles t'avaient coûté une fortune

Toute la peine de tes jours de vignes 

A courber l'échine 

Au milieu des champs

Pour m'offrir ta vendange

Ange sombre 

Fol ange 

Les sous jetés pour une paire de souliers en cuir tressé...

 

M'ont-ils fait mal aux pieds ?

Je l'ai oublié

C'était l'automne

La plus chère de mes paires 

 

Étrangement, longtemps plus tard

Un homme dans une grande ville 

Vint à pied me nommant "Chaussure"

Mais je n'en suis pas sûre car il portait des gants

 

Ils trottinent sur ce long chemin de poussière 

Où tu t'en es allé

Ils marchent, mes jolis escarpins, et je te connais

Je sais que parfois tu leur demande de s'arrêter

Intimidés, ils se rapprochent

Se serrent l'un contre l'autre

Tu les poses sur tes genoux et les brosses 

Pour accueillir le soleil

Le peu de soleil

Qu'il reste 

Là-bas

 

Les notes du piano s'égouttent

Peut-être tu écoutes

C'est loin

Au fond du temps

Mais tout va bien

 

*** 

 

Afin de sculpter son œuvre de tristesse

Le destin a pris tes yeux, ta langue fausse 

Ta main jusqu'à l'ossature creuse me ciselant

Fouillant mes os de tes ciseaux en quête d'ombre

En quête du tombeau étroit

Où je loge à plat ventre

Les seins écrasés

Nombril contre terre

Chien sans errance possible

Noyau fixe d'une lune

Tournant désespérée autour d'elle -même

Sans m'atteindre

En alerte

En attente

Plus minérale que ces femmes voilées de suaires noirs

Qui semble penchées au-dessus d’un ravin secret

Mais toi

Tu as épié mes parois sous toutes les coutures

Arraché les emplâtres et défait les coutures

Ta lame a incisé mes côtes

En son endroit le plus enflé et le plus rouge

D'entaille en entaille

Ta langue lamellée de paroles d'amour

Frappe à la porte à grands coups

Déguisant sa voix rêche par des alcools doux

Cherche l'amande

Au fond du trou

La bête empêtrée dans ses racines à demi-sèches

Je suis là

Œil de tanière

Je te vois faire

Et je suis ton malheureux miroir

 

***

 

Aucune de mes offrandes ne suffirait à ce dieu

Sans soleil

En vain j'ai brûlé les plus rares encens

Et cultivé les fleurs d'oranger

Au pied de son autel

Aride

Avide

Vainement chaque jour j'ai créé des prières

Allumé des cierges en frottant mes mains

Comme des ailes de silex

Appelant de mes doigts de nouvelles étincelles

Qui n'éclairaient que moi

 

Aucune de mes flammes ne suffirait à ce dieu

Des Enfers

Lorsqu'il ouvre les yeux

Lorsqu'il pose son regard doré et boréal

Sur le front de qui porte en lui sa foi

Qu'il ouvre les bras au-dessus de son gouffre

Que nul n'entrevoit

Il change en ombre le rêve qui l'a suivi

Et la ferveur en froid

Un jour, j'étais si nue

Je grelottais au milieu du printemps

J'ai mis le feu à son église

Craché un incendie écarlate dans sa cathédrale

Longtemps je l'ai regardé brûler

En pleurant

De ce bûcher crevant le ciel

Se sont enfuis rats et démons

J'ai vu ce dieu de poussière

Traverser les murs sans jamais se consumer

Traverser la rue où j'avais tant prié

Traversé la ville de part en en part

Entrer puis disparaître dans un autre temple

Ou dans une autre gare

 

Aucun de mes pardons ne suffirait à ce dieu

Dépeuplé

Un jour, à ma fenêtre je prenais la lumière

Je l'ai vu apparaître

J'ai vu ses lèvres bleues

J'ai vu ses ongles bleus

Auréolé d'un feu d'artifice,

Il m'implorait un dernier sacrifice

Enjôlée, je suis mise à genoux

J'ai mis au monde un long poème

Quand j'ai ouvert les yeux

Il avait disparu

 

Aucune de mes offrandes

Aucune de mes larmes

Aucun de mes pardons

Ne suffiraient à ce dieu mor

 

*** 

 

Je suis cheval

Je rêve que je suis cheval

Je franchis les portes de la ville en nuit

Portant au ventre le bruit

De poèmes en armes

Sur les cris assourdis 

Par-dessus les maisons qui dorment

J'aiguise les flammes de ma crinière

Je suis une écuyère

Je rêve que je suis écuyère

Je mène mon cheval de Troie

À l'abattoir du royaume assoupi

Une arène de cirque

Des fantômes portant masques d'hommes

Poignard à leurs ceintures

Roses à la boutonnière

Frappent leurs mains de cendres

Sous les sabots de ma bête de sommeil 

Une mare de sang

Je suis une guerrière

Je rêve que je suis une guerrière

Sous le chapiteau de la ville

Les spectres ont éteint la lumière

Debout sur mon coursier de bois

J'agite des torchères

Ils font tournoyer leurs frondes

On me jette des fleurs

Des fleurs de ronces et des pierres

Je tombe

Je suis un enfant

Je rêve que je suis une enfant

Au centre d'un grand cercle

Un anneau profond en rotation

Un lent tourbillon de poussière

Coulant par le vertige au fond de l'entonnoir

Désespérément je m'accroche

Aux haillons d'un amour

Aux rayons des soleils

Épaves illusoires

J'entonne dans le noir

Des tessons de poèmes

Qui me déchirent la gorge

Je suis un grain de sable

Je rêve que je suis un grain de sable

Qui regarde les vagues

 

*** 

 

 

La joie

Scintille paillettes d'or sur l'eau trouble

Sans pouvoir

Dire 

Ce que j'ai lu dans l'ondoiement de l'eau qui coule

Le temps décante

Or le désenchantement épand de nouveaux enchantements

Ceux qui sèment 

Même parmi les mauvaises herbes

Ceux qui se sont voûtés au-dessus de l'aride

Afin de faire fleurir l'écarlate

Sur la rose des sables

Ceux qui penchés sur la simple source

Que pleurait la montagne

Rêvaient de creuser des oasis

En pleine saison sèche

Qu'ils ouvrent leurs mains profondes

Leurs paumes résurgentes 

Où brillent comme en une antique psyché

De leur âme intarissable, les fragments

La joie

Réminiscences du soleil

Sur la vase en sommeil

Poudroie

 

*** 

 

Au pied du mur

Son encre s’est détachée de mes cernes

Je l’ai regardé s’éloigner

Traînant son sac de chagrins

Alors

Émergeant de l'ombre

Les doigts du soleil 

Dans ma chevelure, ont fait un jardin

Un verger secret

Avec des pommes d’amour

Des ailes bleues de libellules

Des lunes d'eau de roche

Et des oiseaux d’Eden

 

Née au Maroc, à Jerada, commune située à la frontière algérienne, derrière laquelle, son grand-père a assuré la direction de deux cinémas, Anna-Maria Celli est fille de pieds-noirs d’origine espagnole du côté maternel, corse par son père.

Après un baccalauréat littéraire, et deux années en classe préparatoire aux grandes écoles en lettres classiques, elle étudie la philosophie à l’Université de Bourgogne où elle obtient une maîtrise sur les pratiques magiques, puis un D.E.A. portant sur l’évolution des représentations de la mort chez les Bantous. 

Sans cesser de s’adonner à l’écriture, elle enseigne la philosophie en Bourgogne, avant de déménager en région parisienne. Là, elle rejoint un public scolaire réputé difficile à Bobigny, qu’elle s’applique à faire aimer les textes poétiques, et dont elle tente de mobiliser la créativité dans des productions personnelles. Parallèlement, et de façon ponctuelle, elle intervient dans la lecture de manuscrits et en apportant un conseil littéraire pour les Editions Tanawa Convergence.

Elle a également réalisé plusieurs textes d’exposition d’œuvres d’artistes, peintres ou photographes.

Depuis plusieurs années, elle mène des ateliers d’écriture de haïkus avec des collégiens, dont cette année avec Claire Dupoizat, artiste plasticienne. Invitée de l’Institut Panafricain de Yene au Sénégal en avril 2015, elle a mené des ateliers d’écriture en collaboration avec l’artiste plasticienne Debora Stein, auprès de lycéens et formé des étudiants à la tenue d’ateliers d’écriture.

Elle a également réalisé plusieurs textes d’exposition d’œuvres pour les artistes photographes ou peintres, Alex Nauman, Fabien Dettori, Oliver Nauman, Shiry Ag, Debora Stein.

 

Romans

Une mouche dans le champagne, Editions Dédicaces (Montréal), 2010

Izaurinda, L’Orpailleur, 2017

Sylvanie, Editions Cousu Mouche, Genève, à paraître en mai 2019

 

Revues 

Cabaret, A l’Index, Africultures, Comme en poésie, La main millénaire, Traction-Brabant, Incertain Regard, Lélixire, Les cahiers de la rue Ventura, Maison de la poésie de la Drôme, Traversées, L’ardent pays, Francopolis, Nordesia ; Voix, L’œil de la photographie etc.

Poésie

Si noire rivière, Ménaibuc, 2008

Le pilon dit non, Asphodèle, 2016

Campà, A fior di Carta éditions, 2018

Méandres, A fior di Carta éditions, à paraître premier trimestre 2019

Participation :

Dehors, Editions Janus, 2016

De l’Humain pour les migrants, Editions Jacques Flament, 2018

Inédits : Des Lyres et des merveilles, Murmures, Flamencorsa, L’éclosion des pivoines, Immaculée, Voleur de fleurs, Presque une nuit d’automne

Scénarios (avec le scénariste et réalisateur Léandre Alain Baker) : L’Ivresse de la forêt, Solène, Jalila

 

* Née au Canada, Debora Stein a grandi en Israël et étudié les beaux-arts en Italie. Ayant séjourné en Afrique, elle est aujourd’hui installée à Paris. Plusieurs expositions personnelles et collectives depuis 1995. Son site, où on  peut lire une présentation de l’artiste par Anna-Maria Celli : http://debora-stein.com/. Aussi pour connaitre son travail voir : https://www.youtube.com/watch?v=rDhzUenU1N0.

 

 

 

 

Salon de lecture
Anna-Maria Celli

 

recherche Dana Shishmanian

Francopolis, janvier-février 2019

 

Créé le 1 mars 2002

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