JUIN 2017
Jean-Baptiste CILIO
Poèmes inédits
« ces
mots font lampe, ils sont mes yeux »

Cette belle image de « forêt parlante »
nous est offerte par Gertrude Millaire,
et le poème sur-écrit appartient à Geneviève Duong.
Il y a dix ans
Il y a presque dix ans, je
crois, je m’étais mis en tête ce rêve : aller à Compostelle. J’y songe en te
parlant, rêve éveillé où je vois les marques de mes pas dans ta poussière.
Je vais le nez dans les
étoiles, à la rencontre de mon être au bout du chemin, les reins ceints de la
gloire de renaître de moi-même.
Il y a presque dix ans que pas
un seul des millions de souffles qui m’ont animé ne soit une aspiration à
partir…
Partir ! J’irai sur les
chemins bordés de mes envies, j’irai sur les sentes au long des fossés
d’oubli, j’irai à ma maison de Galice où je dois naître. Partir et jouir,
rester au souffle suspendu, accroché à l’astre du jour comme un pantin allant
sans fin, tiré par les ficelles de l’instant… Infinie présence.
Il y a dix ans que je m’envoie
sur les routes d’espoir, au gré des vagues des rencontres, courir vers toi
mon frère, mon fils, mon ami, mon amour, mon autre… moi. Dix ans que les
compas de mes jambes battent la cadence des soubresauts de mon cœur empli des
coups sourds de la joie de te rencontrer, dix ans d’errance à dire ce que je
suis… et que je ne vis pas. Dix ans de maladresse à être moi-même, à me
cogner aux quatre coins de ma maison de mystères, aux ombres de ma geôle, aux
fantômes de la paix qui me fuit.
Dix ans à retenir ce désir
d’être en toi, ma présence, mon seuil, mon tout autre uni, mon pas décisif
vers ma vie. Dix ans d’écueils enchevêtrés, de chemins croisés et tortus,
d’appel sans origine, de vibrations retenues m’auront cloué au corps le désir
de te suivre sans jamais te contenir. Tu es au fond de moi, et si proche et
si loin, à la fin de mes terres, tu es mon occident.
Dix ans de sueur renouvelée, à
chaque fois qu’un pas est ôté au compte à rebours de nos retrouvailles, et,
chaque goutte sur ta poussière tombée étoile la terre d’un soleil minuscule
irisant au loin le cap à suivre où te rejoindre. Dix ans à porter ma misère à
même le dos, l’échine voûtée et rompue à alléger ma lourdeur d’être ce que je
ne puis.
Quand pas à pas tu me guides,
m’écoutes et ne me réponds pas, quand tes yeux dans mes yeux sont une lueur
suffisante pour m’emporter plus loin, quand ta palpitation sourde emplit mon
être, je sens que je viens à toi, donné puis… abandonné.
Dix ans que je t’aime à me
traîner, te faisant l’amour mètre après mètre, sans les compter, usant talons
et orteils à force de les frotter à ta peau de terre, Ô toi joyau de toute la
terre. Tu m’emportes et ton rythme agit en moi, comme une syncope, comme ma
marche, chaloupée, donne à mon corps l’aller imaginaire à ce fil doré qui
m’extrait de mon effroi. Chaque gravier, chaque seconde à tes côtés, chaque
bosse, chaque lueur dans la nuit m’est un aimant qui me brise sur ton
éternité…
Dix ans que je t’aime, Ô mon
chemin millénaire, mon traître compagnon toujours fuyant, loin avant que mon
regard ne te touche, là où la beauté se cache et m’attend, ici où enfin je
crois te trouver, là où tu disparais pour te révéler autre, insoupçonné, là
où je te rejoins, fragile et vidé.
Et toi, tu me guettes,
veilleur infatigable, depuis dix ans déjà que tu es là à m’épier.
Quatre les murs
Danse entre tes murs
sourds
quatre les murs
de tes reins ceints
de rose et de robe
souvenir de l'aube
comme première
ensoleillée de chaux blanche
sous le tissu léger
ta chair fine
transparence
de la faim
Outrage
même les yeux fermés
Fermez les yeux !
sur quatre murs
et la peau
ta peau osseuse
ton peu de corps
ce presque rien
de chantoung vêtu
reliefs de tes os
calligraphie de la faim
Oublier
juste oublier
danse entre tous les murs
de pas insolents
fleurs et bêtes
te regardent
poussière envolée
se poser
comme un sel
sur la terre assoiffée
craquelée
de ta fin
Écrits vagues
J'écris, oui j'écris
conscient de tracer
peut-être l'irréel,
mais ces mots font lampe,
ils sont mes yeux
sur mes chemins
noyés d'incertitudes.
Une phrase prend vie,
dans ma main souvent,
mais ce qui touche,
au fond du fond,
ce n'est pas moi,
c'est le miroir.
J'écris des vagues
qui se meurent en écume.
Elles disent la vie
et touchant terre,
dans leur fureur blanche,
elles mettent mes histoires
entre parenthèses.
Gravité
Celle-ci jaunie
tombe en tournoyant à terre
fera feuille verte
Noire étoile
Ta peau léchée,
A l'ombre de mes baisers,
Transpire tous mes espoirs.
Je bâtis dans tes yeux
Des naissances de Vénus.
Tous les soirs
Y roucoulent tes sourires.
J'escalade tous mes vertiges
Quand les volutes
De ta voix céleste
M'enserrent
Dans leurs rets profonds.
J'humilie jusqu'à l'excès
Ma tête bousculée,
Soumis à ton rire,
Ma maîtresse, mon chaos de
lumière, mon âme.
Sous le regard des cieux
S'amenuisent les temps
Que j'avais établis loin de
toi,
Et pour tout dire,
Hors de mon cœur.
Ainsi au ciel le noir bruit,
Minuscule et sensible,
Comme un jour de décembre,
D'un long soupir
A l'étreinte de la nuit.
Ce jour
Jour, aube, matin,
Le soleil éperdu de faim
Lueurs et couleurs tendres
Café et pain grillé
Regain du temps qui passe échevelé dans la lande des souvenirs
Jour, apogée, midi
Phébus fait le drôle
à mi-chemin perdu
terrassé sous les pins
Les odeurs accourues portent
le miel du jasmin et tes yeux de violettes fleurissent mon espoir
Jour, à la brune, soir
Parti, plié, à demain !
Ocres chauds de lumières
Sourd le rêve dans mes mains
Instant de la rencontre.
L'effleurement des épidermes perce en moins de temps qu'il ne faut pour en
rire... de bonheur
Ce jour, ce temps visible que
je sens
fourmille sans cesse de toi
Et quand tu n'es pas là
j'aime ses piqûres
remémoratives
le pouvoir de son acupuncture
amoureuse
La voilà, la femme…
Et elle porte le monde !
Elle fait naître comme un voile à la nuit
Où flottent des drapeaux de soleils,
de ciels aux nuages.
Elle porte en elle l’étoile de ses fruits,
Entre l’obscur et l’orée de la vie.
Elle se dévoile en son secret.
C’est son repos, c’est son ancre.
Elle y retient ses peurs et ses bruits.
Elle y tait l’opalescence de ses rêves,
Aux crépitements brefs du feu.
A ses mains se dessine le mystère.
Déesse de la vie, elle est l’essaim dans son départ.
En elle, les chemins de neige et de corbeaux
Ont l’effroi qui tremble et dessine déjà l’absence,
Où le vide vient, source de vie.
De ses mains, elle épuise l’ombre
Où elle masquait son visage,
A la lumière que fait demain,
A l’enfant qui vient en son sein.
Les feuilles vertes
S’éveiller sur une feuille à
la verdeur retenue, y couler l’encre, comme la coulée ardente d’un haut
fourneau, lire le feu, l’esprit glané dissimulé au regard transparent,
s’éveiller d’un bref recueil de la vie qui bat, qui bat vive et preste.
Passage de l’instant.
Elle bat sur une feuille à son
ardeur reconnue, et bat du sang, oui rouge et rouge encore, petit cœur
tremblant, en rumeurs éclairées par l’âme chahutée, des vers serrés
immaculés. Page et page et page…
Des pages et des pages !
arc-boutées, sûres
des cavernes
des piliers
des pages !
La blancheur est une graine et
sa force sans limites. Et lui qui va… La peur est verte au voyageur sur le
fil blanc de ses demains. Il marche sur la feuille
verte à mille mains de ses caresses, à mille mots le refrain, il marche vers…
Ô lente coulée de l’encre et
lente la force sourde. Les yeux ont bu, évacué, ce que le cœur n’a vu.
L’encre a séché avant que le ressaut de l’âme n’en ait cueilli la grâce.
Pauvreté clouée là dans l’iris comme un liège étanche à son propre
ravissement. La stupeur abouchée au sens. Aucun ! Aucun, même bref, même
rude, espoir vissé à la chamade des sens. Décrier sans s’écrire.
La feuille verte a le vol que
peu de larmes retiennent. Et, salée sur la joue, à même la béance de la
souffrance, prend le temps de sa déchirure. Confettis de désirs.
La feuille verte s’envole.
Aucun regret
des mots tus
des ravages
du silence.
Et pourtant la main courait à
la rencontre des mots, petits lévriers messagers, caresse et hardiesse
mêlées, un rien d’espoir, idée fugace, concrétion du silence qui prend le
poids intense de ce qui, là, s’arrête, se figeant dans l’abrupt du sentiment.
Le silence est passé
Le silence est resté
où les scories accumulées ont brodé la chimère des absences blessantes, le
cœur ravine insensible la beauté du jour.
©Jean-Baptiste
Cilio, inédit
Pour la présentation de l’auteur :
voir ici même la rubrique Gueule des mots
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CILIO
recherche Eliette Vialle
juin 2017
Créé
le 1 mars 2002
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