Le Salon de lecture

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ARCHIVES  SALON

 

Janvier-Février 2020

 

 

Invité : Gilbert Renouf

 

« … pleurer de joie sur la clarté d’un livre… »

 

Poèmes pour Francopolis

 

Avec un mot de lecture de Mireille Diaz-Florian (*)

 

L’arbre bleu, monotype de Roselyne Fritel, octobre 2018

 

PLEIN CIEL

 

(extraits)

éd. Villa Cisneros, 2020

 

 

Il faut que la tendresse soit

irréfutable comme le jour

indomptable comme la nuit

 

Ce que l’on m’a donné je te le donne

et plus je te le donne

plus m’en vient à donner

 

***

 

Ne crains rien si mes bras te relâchent

leur croix est une passion libre

 

Dévore mon souffle

habite mes nuits

enserre-moi de ce que tu m’ouvres

 

livre-moi le silence

et tranche-le d’un coup

de paroles claires

pour m’apprendre à mourir

 

 

La vie est en toi comme un arbre

avec ses chants d’oiseaux

j’y referme mes bras pour apprendre leur vol

 

comme un printemps immense

 

juin 2017

 

 

 

LE RECUEIL D’APRÈS

 

(extraits)

 

Ce soir

comme chaque soir

après que le soleil m’a ôté son soutien

c’est l’heure du combat

contre la tristesse

et contre le chagrin

 

Ce soir

comme chaque soir

lorsque les derniers rougeoiements

pâlissent dans le noir

je pense au jour

à ce jour

où je viendrai te chercher

pour le souvenir des soirs paisibles

pour un nouveau présent par toutes les fenêtres

pour tout ce qui n’est plus

et que nous réinventerons

pour la guérison des êtres chers

pour un nouveau chemin éclairé

pour que les oiseaux reviennent chanter

que leur chant nous rappelle

ce à quoi nous sommes promis

pour l’amour qui est notre seul bien

qui est tout ce que nous avons à donner

pour notre misère de ne pas toujours le donner

pour les repas de chaque jour comme une fête

de pains multipliés dans nos mains ouvertes

pour les fleurs dans nos bras

leur parfum retrouvé

pour le bien que nous souhaitons

et que parfois nous parvenons à faire

pour ceux qui cessent un instant de désespérer

par nos pauvres mots désemparés

et notre main qui serre

pour les amis qui pardonnent

pour les paroles du Christ

pour la flamme de la bougie

qui veille sur nos ombres

 

 

 

Je pense au jour

où je viendrai te chercher

pour pleurer de joie sur la clarté d’un livre

qui nous aura aidés à vivre

pour la danse des rivières

en l’honneur des montagnes

pour le secret partagé des edelweiss

pour le café du matin

pour les trahisons qui nous ont appris le pardon

pour la confiance dans les yeux

 

Je viendrai te chercher

pour tout ce que j’ignore

tout ce que je ne sais pas entreprendre

et pour nos héroïsmes

quand nous faisons ce que nous pouvons

pour la consolation de nos passés

pour les rituels qui nous unifient

pour ton humour et mes déchirures

pour tout ce que nous brûlons

comme on doit brûler quand on aime

 

Ce jour-là

je viendrai te chercher

pour la gloire des ancêtres

leur présence d’anges

nos impatiences de moineaux

pour l’espérance de la crèche

pour nos peaux

qui sont l’habit de fête de nos faiblesses

pour le combat de la douceur

pour ce que nous versons

dans le cœur des enfants

pour qu’ils apprennent à vivre

une vie moins violente

 

Je viendrai ce jour-là

te chercher

pour le sommeil de nos parents

pour ces regards parfois croisés

dans une seconde de bonté

pour ceux qui comptent sur nous

pour nos peurs et nos victoires sur elles

pour le ciel des peintures

l’intimité de la musique

et le courage des poètes

pour la paix des chats et la confiance des chiens

pour l’hellébore et la jacinthe

le pain frais et le muguet

pour le vent d’un baiser

qui met dans ma bouche la soie de tes cheveux

pour un verre de champagne

la finesse des bulles

 

Ce jour-là

je viendrai te chercher

pour nos étreintes dans les églises

pour ces paysages qui existaient avant moi

et pour ceux qui demeureront dans ma mort

pour tout ce que j’ai reçu

pour tout ce que je ne comprends pas

pour tout ce qui m’est incompréhensible

et à jamais le restera

pour tous ceux qui réécriront ce poème

 

je viendrai te chercher

 

 

***

 

Par la fenêtre

les arbres nus dorés de soleil couchant

remuent leurs branches

comme une foule avide d’attention

 

Mais rien ne se passe

pas d’autres voix

que le vent

le long des murs

et la protestation des pins

 

À l’abri

je couche sur les pages d’un livre

la dernière lumière du jour

 

 

***

 

 

Il n’est pas impossible qu’un jour

je te rejoigne définitivement

j’aurai cessé de compter les nuits sans sommeil

j’aurai soulevé des matins de lassitude

renoncé à mes derniers barreaux

et jamais ton épaule ne manquera à ma tête

 

Tu es tous les jours derrière chaque porte

au bas de l’escalier à l’angle de la rue

tu passes dans mes yeux comme passent les heures

pas une n’est soustraite et chacune me bat

 

Je connais les saisons aux habits que tu portes

tant de soleils passèrent sans que je ne le sache

et j’ai cru bien des fois ne le revoir jamais

 

         Je regarde partir

au loin de la fenêtre

un bateau comme un songe

 

comme celui qui ne sait pas

ce qu’en fera la mer

 

 

***

 

 

J’ai vidé mes dernières bouteilles de bon vin

en l’honneur de l’amour

 

Maintenant devant moi

je n’ai plus que des cadavres exsangues

 

qui ne sont même pas consignés

 

 

***

 

 

 

J’ai dansé sur la mer comme une pluie d’étoiles

J’ai parlé à des milliers de gens qui ne voulaient rien savoir

Je suis rentré chez moi où ne m’attendait plus l’amour

j’ai débouché une bouteille

la plus prestigieuse de ma cave

et je l’ai bue jusqu’au fond du désespoir

Je n’ai pas même titubé pour rejoindre le lit

que personne ne déferait pour moi

je pouvais dormir tranquille

aucun amour ne viendrait m’éveiller

Mais je n’ai pas fermé l’œil

la nuit était trop blanche

et je n’avais aucune fatigue d’amour à récupérer

seulement une lassitude sans poids

J’ai allumé la lampe

j’ai attrapé un livre sur le chevet

mais aucun livre ne pouvait plus m’atteindre

Alors j’ai mis la radio

les voix étaient inaudibles

il restait la musique

avec son trousseau de baumes et de poignards

J’ai dû finir par oublier le ciel

et aux premiers oiseaux de l’aube

je suis même parvenu à me réveiller

et rien n’avait changé

c’était toujours le même corps

et c’était toujours la même absence

 

 

Février-septembre 2019

 

 

 

 

COSQUEVILLE

 

(extrait)

Amateurs Maladroits éd.2019

 

 

Cher Adrien,

 

   Quand je pense à toi, mon grand-oncle, et c’est souvent, c’est du bleu qui m’arrive. À tel point que je ne peux plus prononcer, ou seulement penser le mot tendresse sans voir bleu. Cela à cause bien sûr de tes yeux, de tes vêtements de pêcheur, de ta casquette de marin. Tu parlais peu, tu souriais beaucoup. Tu venais souvent prendre tes repas chez grand-mère, presque tous les jours. Ta gentillesse discrète résistait à ses rudoiements dont tu étais régulièrement victime. Tu ne réagissais que par désemparent, du moins c’est le souvenir que j’en ai. Certains êtres ne peuvent concevoir que l’agressivité doive se partager. Ces êtres-là préfèrent multiplier l’amour. Oh ce n’est pas forcément dans de grandes déclarations, il n’y a pas forcément de grands débordements. Un regard, un petit geste, un silence opportun là où tout le monde parlerait pour ne rien accueillir…

 

   Parfois je t’accompagnais jusqu’à chez toi au hameau Denneret. Tu avais un gros et admirable chien, j’ai oublié son nom, qui est mort à force de manger des chiffons. Tu en avais eu beaucoup de chagrin. Je crois que cet animal était au quotidien de ta solitude le seul être vivant qui te montrait de l’affection sans faille. Je suis entré peu de fois dans ta petite maison, deux pièces cimentées, sombres, froides, monacales. Tu vivais là depuis très longtemps. Ta femme était morte depuis des années, je ne l’avais jamais connue. Elle n’avait jamais habité cette maison, pourtant, lorsque tu partais de chez grand-mère, tu disais toujours : « J’m’en va rentrer t’che nous. » À chaque fois que cette phrase me traverse, j’entends l’amour se déchirer. Comme tu avais dû l’aimer, cette femme ! Bien sûr que tu habitais encore et toujours avec elle, puisqu’elle n’avait jamais cessé d’habiter en toi. Tu n’avais pas « refait » ta vie comme l’on dit. Mais refait-on sa vie ? Les histoires que l’on se raconte… On recoud maladroitement les blessures, on met une pièce aux genoux écorchés de nos rêves tombés, on n’est plus qu’une prière n’est-ce pas. Tu es souvent dans mes prières. Pas dans celles un peu convenues que je récite le matin et le soir, non. Tu es dans le ciel que je regarde maintenant par la fenêtre, tu es dans cette encre, tu es dans mon amour enfui, tu es dans la lumière que mangent les petits pois. J’espère que cette lettre te parviendra. Si Dieu auquel parfois je parviens à croire existe, il fera cela pour moi. Tu ne peux pas être que cette absence coulée sous un bloc de granit noir que je vais saluer quand je passe par là. Tu ne peux être seulement cela puisque je te sens en moi.

 

   Je me poste au bout du chemin le long du Mouchet, je te regarde rentrer chez toi, chez vous, sur ton vélo tu t’éloignes. Demain tu reviendras. Forcément, tu reviendras.

 

mai 2019

 

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Roma, Villa Médicis

©K. Abello

Né le 16 octobre 1957 à Cherbourg. Commence à écrire en 1973 (poèmes, chansons, nouvelles, récits).

Nombreux spectacles chansons/poésie en tant qu’auteur-compositeur-interprète ; lecteur pour plusieurs associations ; comédien dans plusieurs pièces ; voix pour des films sur des peintres ou des écrivains ; publications dans de nombreuses revues littéraires, invité à de nombreuses soirées littéraires, fêtes du livre, Printemps des Poètes, Nuit de la Poésie…

A créé et dirige la revue numérique La lettre sous le Bruit, au nom de laquelle il organise, avec l’association Gangotena, des rencontres-lectures en partenariat avec la médiathèque de Hyères-les-Palmiers.

A écrit pour des catalogues de peintres et de photographes. Il est l’auteur d’une soixantaine de livres. Derniers parus :

Présences, éd. Villa-Cisneros, 2019

Cosqueville, Amateurs Maladroits éd., 2019

Donnez-moi quelqu’un qui aime il comprendra ce que je dis (éd. Villa-Cisneros), 2020

 

 (*)

Gilbert Renouf : mode d’emploi

 

Pour parler de Gilbert Renouf, il convient de respecter un certain nombre d’étapes que je me propose d’énoncer en espérant que toutes contribueront à favoriser la rencontre dans ce salon de lecture 2020.

 

1-Installer un décor qui le situe dans deux espaces distincts dont on pourrait imaginer qu’ils aident à l’approcher. On peut y voir à l’arrière-plan, le ciel mouvant, aux gris subtils, du Cotentin où il est né, puis tendre la toile vive du ciel méditerranéen sous lequel il a planté sa vie.

 

2-Déplacer ensuite légèrement l’angle de vue pour le regarder marcher dans une ruelle vénitienne. Ecouter, avant de le voir disparaître au coin d’une place, le clapotis des eaux du canal sous un pont.

 

3- Mémoriser ce passage où vous devinez sa passion italienne.

 

4- L’apercevoir devant sa table de travail dans le beau silence de l’écriture.

 

5- Choisir de façon parfaitement aléatoire le moment où il relit un texte dont il serait satisfait.

 

5- Tenter de deviner, si vous le croisez, ce qui vibre en lui de toute chose vue, de tout paysage traversé, de tout être rencontré.

 

6- Lire ses textes en sourdine avec la voix qui, sûre et grave, est la sienne.

 

7- Relire ses poèmes pour suivre sa route où la signalisation révèle les tournants du cœur, l’exigence de l’esprit.

 

8- Le laisser repartir pour respecter la force de sa solitude.

 

9- Vous procurer ses textes.

 

10- Les ranger amicalement dans votre bibliothèque, à portée de main.

 

Mireille Diaz-Florian                                                                                                        

 

 

 

Salon de lecture :
Gilbert Renouf

Recherche Mireille Diaz-Florian

 

Francopolis, janvier-février 2020

 

Créé le 1 mars 2002

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