PLEIN CIEL
(extraits)
éd. Villa Cisneros, 2020
Il faut que la tendresse soit
irréfutable comme le jour
indomptable comme la nuit
Ce que l’on m’a donné je te le donne
et plus je te le donne
plus m’en vient à donner
***
Ne crains rien si mes bras te
relâchent
leur croix est une passion libre
Dévore mon souffle
habite mes nuits
enserre-moi de ce que tu m’ouvres
livre-moi le silence
et tranche-le d’un coup
de paroles claires
pour m’apprendre à mourir
La vie est en toi comme un arbre
avec ses chants d’oiseaux
j’y referme mes bras pour apprendre
leur vol
comme un printemps immense
juin 2017
LE
RECUEIL D’APRÈS
(extraits)
Ce soir
comme chaque soir
après que le soleil m’a ôté son soutien
c’est l’heure du combat
contre la tristesse
et contre le chagrin
Ce soir
comme chaque soir
lorsque les derniers rougeoiements
pâlissent dans le noir
je pense au jour
à ce jour
où je viendrai te chercher
pour le souvenir des soirs paisibles
pour un nouveau présent par toutes les
fenêtres
pour tout ce qui n’est plus
et que nous réinventerons
pour la guérison des êtres chers
pour un nouveau chemin éclairé
pour que les oiseaux reviennent chanter
que leur chant nous rappelle
ce à quoi nous sommes promis
pour l’amour qui est notre seul bien
qui est tout ce que nous avons à donner
pour notre misère de ne pas toujours le
donner
pour les repas de chaque jour comme une fête
de pains multipliés dans nos mains ouvertes
pour les fleurs dans nos bras
leur parfum retrouvé
pour le bien que nous souhaitons
et que parfois nous parvenons à faire
pour ceux qui cessent un instant de
désespérer
par nos pauvres mots désemparés
et notre main qui serre
pour les amis qui pardonnent
pour les paroles du Christ
pour la flamme de la bougie
qui veille sur nos ombres
Je pense au jour
où je viendrai te chercher
pour pleurer de joie sur la clarté d’un
livre
qui nous aura aidés à vivre
pour la danse des rivières
en l’honneur des montagnes
pour le secret partagé des edelweiss
pour le café du matin
pour les trahisons qui nous ont appris le pardon
pour la confiance dans les yeux
Je viendrai te chercher
pour tout ce que j’ignore
tout ce que je ne sais pas entreprendre
et pour nos héroïsmes
quand nous faisons ce que nous pouvons
pour la consolation de nos passés
pour les rituels qui nous unifient
pour ton humour et mes déchirures
pour tout ce que nous brûlons
comme on doit brûler quand on aime
Ce jour-là
je viendrai te chercher
pour la gloire des ancêtres
leur présence d’anges
nos impatiences de moineaux
pour l’espérance de la crèche
pour nos peaux
qui sont l’habit de fête de nos faiblesses
pour le combat de la douceur
pour ce que nous versons
dans le cœur des enfants
pour qu’ils apprennent à vivre
une vie moins violente
Je viendrai ce jour-là
te chercher
pour le sommeil de nos parents
pour ces regards parfois croisés
dans une seconde de bonté
pour ceux qui comptent sur nous
pour nos peurs et nos victoires sur elles
pour le ciel des peintures
l’intimité de la musique
et le courage des poètes
pour la paix des chats et la confiance des
chiens
pour l’hellébore et la jacinthe
le pain frais et le muguet
pour le vent d’un baiser
qui met dans ma bouche la soie de tes
cheveux
pour un verre de champagne
la finesse des bulles
Ce jour-là
je viendrai te chercher
pour nos étreintes dans les églises
pour ces paysages qui existaient avant moi
et pour ceux qui demeureront dans ma mort
pour tout ce que j’ai reçu
pour tout ce que je ne comprends pas
pour tout ce qui m’est incompréhensible
et à jamais le restera
pour tous ceux qui réécriront ce poème
je viendrai te chercher
***
Par la
fenêtre
les arbres
nus dorés de soleil couchant
remuent leurs
branches
comme une
foule avide d’attention
Mais rien ne
se passe
pas d’autres
voix
que le vent
le long des
murs
et la
protestation des pins
À l’abri
je couche sur
les pages d’un livre
la dernière lumière du jour
***
Il n’est pas
impossible qu’un jour
je te
rejoigne définitivement
j’aurai cessé
de compter les nuits sans sommeil
j’aurai
soulevé des matins de lassitude
renoncé à mes
derniers barreaux
et jamais ton
épaule ne manquera à ma tête
Tu es tous
les jours derrière chaque porte
au bas de
l’escalier à l’angle de la rue
tu passes
dans mes yeux comme passent les heures
pas une n’est
soustraite et chacune me bat
Je connais
les saisons aux habits que tu portes
tant de
soleils passèrent sans que je ne le sache
et j’ai cru
bien des fois ne le revoir jamais
Je regarde partir
au loin de la
fenêtre
un bateau
comme un songe
comme celui
qui ne sait pas
ce qu’en fera la mer
***
J’ai vidé mes
dernières bouteilles de bon vin
en l’honneur
de l’amour
Maintenant
devant moi
je n’ai plus
que des cadavres exsangues
qui ne sont même pas consignés
***
J’ai dansé
sur la mer comme une pluie d’étoiles
J’ai parlé à
des milliers de gens qui ne voulaient rien savoir
Je suis
rentré chez moi où ne m’attendait plus l’amour
j’ai débouché
une bouteille
la plus prestigieuse
de ma cave
et je l’ai
bue jusqu’au fond du désespoir
Je n’ai pas
même titubé pour rejoindre le lit
que personne
ne déferait pour moi
je pouvais
dormir tranquille
aucun amour
ne viendrait m’éveiller
Mais je n’ai
pas fermé l’œil
la nuit était
trop blanche
et je n’avais
aucune fatigue d’amour à récupérer
seulement une
lassitude sans poids
J’ai allumé
la lampe
j’ai attrapé
un livre sur le chevet
mais aucun
livre ne pouvait plus m’atteindre
Alors j’ai
mis la radio
les voix
étaient inaudibles
il restait la
musique
avec son
trousseau de baumes et de poignards
J’ai dû finir
par oublier le ciel
et aux
premiers oiseaux de l’aube
je suis même
parvenu à me réveiller
et rien
n’avait changé
c’était
toujours le même corps
et c’était
toujours la même absence
Février-septembre 2019
COSQUEVILLE
(extrait)
Amateurs Maladroits éd.2019
Cher Adrien,
Quand je pense à toi, mon grand-oncle, et
c’est souvent, c’est du bleu qui m’arrive. À tel point que je ne peux plus
prononcer, ou seulement penser le mot tendresse sans voir bleu. Cela à
cause bien sûr de tes yeux, de tes vêtements de pêcheur, de ta casquette de
marin. Tu parlais peu, tu souriais beaucoup. Tu venais souvent prendre tes
repas chez grand-mère, presque tous les jours. Ta gentillesse discrète
résistait à ses rudoiements dont tu étais régulièrement victime. Tu ne
réagissais que par désemparent, du moins c’est le souvenir que j’en ai.
Certains êtres ne peuvent concevoir que l’agressivité doive se partager.
Ces êtres-là préfèrent multiplier l’amour. Oh ce
n’est pas forcément dans de grandes déclarations, il n’y a pas forcément de
grands débordements. Un regard, un petit geste, un silence opportun là où
tout le monde parlerait pour ne rien accueillir…
Parfois je t’accompagnais jusqu’à chez
toi au hameau Denneret. Tu avais un gros et
admirable chien, j’ai oublié son nom, qui est mort à force de manger des
chiffons. Tu en avais eu beaucoup de chagrin. Je crois que cet animal était
au quotidien de ta solitude le seul être vivant qui te montrait de
l’affection sans faille. Je suis entré peu de fois dans ta petite maison,
deux pièces cimentées, sombres, froides, monacales. Tu vivais là depuis
très longtemps. Ta femme était morte depuis des années, je ne l’avais
jamais connue. Elle n’avait jamais habité cette maison, pourtant, lorsque
tu partais de chez grand-mère, tu disais toujours : « J’m’en va
rentrer t’che nous. »
À chaque fois que cette phrase me traverse, j’entends l’amour se déchirer.
Comme tu avais dû l’aimer, cette femme ! Bien sûr que tu habitais
encore et toujours avec elle, puisqu’elle n’avait jamais cessé d’habiter en
toi. Tu n’avais pas « refait » ta vie comme l’on dit. Mais refait-on
sa vie ? Les histoires que l’on se raconte… On recoud maladroitement
les blessures, on met une pièce aux genoux écorchés de nos rêves tombés, on
n’est plus qu’une prière n’est-ce pas. Tu es souvent dans mes prières. Pas
dans celles un peu convenues que je récite le matin et le soir, non. Tu es
dans le ciel que je regarde maintenant par la fenêtre, tu es dans cette
encre, tu es dans mon amour enfui, tu es dans la lumière que mangent les
petits pois. J’espère que cette lettre te parviendra. Si Dieu auquel
parfois je parviens à croire existe, il fera cela pour moi. Tu ne peux pas
être que cette absence coulée sous un bloc de granit noir que je vais
saluer quand je passe par là. Tu ne peux être seulement cela puisque je te
sens en moi.
Je me poste au bout du chemin le long du Mouchet, je te regarde
rentrer chez toi, chez vous, sur ton vélo tu t’éloignes. Demain tu
reviendras. Forcément, tu reviendras.
mai 2019
|