|   Novembre 2017
 
 Isabelle Minière
   Mains   Poèmes inédits   
     Mains de maîtreLe maître frappait dans ses mains, trois fois Pan !pan ! pan ! Une sorte d’applaudissement un son fort et lent en même temps un rythme, un rituel, un refrain   On obéissait aux mains on se mettait en rang, deux par deux ou un par un si on n’avait pas d’ami et si on était en nombre impair Je me demandais : et dans la vie ? Plus tard, dans longtemps, quand on sera grands est-ce qu’il faudra se ranger aussi ? en rang par un, en rang par deux ? en rang par trois, pourquoi pas ?   En rang par un, c’était inquiétant mais rassurant en rang par deux, c’était rassurant mais inquiétant en rang par trois, c’était amusant mais pas très rassurant Autant choisir à pile ou face, jeter les dés Jouer son sort à la marelle, tant mieux si on va jusqu’au ciel   Le temps était lent, le temps était lourd rythmé par les mains du maître, pan ! pan ! pan ! Envie que ça s’arrête tant pis si je vais en enfer     Mains de mèreLes mains de la mère savaient tout faire D’ailleurs elle le disait : « Je suis votre bonne à tout
  faire »   Les mains de la mère étaient partout agiles, alertes, habiles puissantes on aurait dit des singes savants des bêtes de foire des bêtes sauvages   Les mains de la mère pétrissaient la pâte à tarte épluchaient les légumes donnaient des coups repassaient le linge tricotaient giflaient jardinaient nettoyaient frappaient   Les mains de la mère étaient folles affolantes fascinantes effrayantes     Les mains de JeanneLes mains de tante Jeanne étaient tâchées, froissées mains de très vieille dame   Elles avaient fait la guerre beaucoup travaillé, beaucoup pleuré et beaucoup rigolé   Les mains de tante Jeanne se marraient, disaient des gros mots et faisaient rire les enfants   Elles avaient tout vu, tout entendu, tout enduré elles cousaient, dansaient sur le tissu elles s’envolaient   Les mains de tante Jeanne étaient douces, espiègles drôles, attendrissantes   Elles consolaient de la pluie elles consolaient de vivre on aurait passé la vie entière à côté d’elles   On les voulait immortelles     Les mains du pèreLes mains du père ne bougeaient plus comme des oiseaux sans ailes se demandant à quoi ça sert d’être un oiseau si on ne peut pas s’envoler   Les mains du père se désespéraient immobiles sur le lit silencieuses mortes avant d’être mortes   Les mains du père espéraient encore, espéraient parfois le miracle d’un envol d’un mouvement d’un geste   Les mains du père nous causaient un indicible chagrin un indicible espoir on les imaginait vivantes, alertes bientôt, tout bientôt, demain peut-être ?   Comme des oiseaux guéris des oiseaux réparés Les mains du père s’envoleraient, joyeuses et on rirait aux éclats, jusqu’à la fin des temps     Cache-cacheLes mains des petites filles étaient chaudes, en toute saison elles se tendaient, s’ouvraient, prenaient elles jouaient, caressaient, s’endormaient   Les mains des petites filles étaient rondes, douces données, abandonnées si confiantes qu’elles faisaient parfois venir les larmes aux yeux   Les mains des petites filles se cognaient, s’égratignaient cicatrisaient et recommençaient Elles batifolaient, dessinaient, grimpaient aux arbres   Les mains des petites filles riaient, pleuraient, rêvaient elles se savaient en sursis de moins en moins petites…   Les mains des petites filles n’ont pas tout à fait disparu elles se cachent sous un pli de ma mémoire me font signe de temps en temps puis retournent se cacher     Mains imaginairesJe les vois parfois quand je ferme les yeux je  les vois en très gros plan tes mains   Je pourrais dire que je les imagine sur moi et tout le tralala même pas   Je les vois en plus vrai, en plus grand que lorsqu’elles sont là, près de moi je les vois détachées de toi   Je vois tes mains en long en large et en détail chaque doigt comme un monde en soi la peau comme un tissu, plus ou moins plissé, plus ou moins soyeux   Tes mains, plus vraies que vraies, tes mains inventées tes mains immenses, démesurées de quoi s’y noyer   Alors quand je vois tes mains, en vrai, à ma mesure, ça me rassure et je rigole quand je te vois te balader les mains dans les poches     *** 
   
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 | Isabelle Minière est l’auteur de plus d’une quinzaine de romans.
    Elle écrit aussi des nouvelles, des poésies et des livres pour la jeunesse.
    Parallèlement à son activité d’écrivain elle est psychologue clinicienne
    avec une spécialisation en hypnothérapie. Son dernier roman Au pied de
    la lettre a été publié chez Serge Safran éditeur en Août 2017. Pour mieux faire connaissance avec elle, lire dans ce même numéro
    l’entretien avec François Minod dans la rubrique Gueule des mots.   |      Salon
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   Créé le 1 mars 2002 A visionner avec Internet Explorer   |