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Septembre-Octobre 2020

 

 

Invitée : Sanda Voïca

 

« … ce tremblement de n’importe quel être... »

 

- poèmes inédits -

 

(*)

 

 

 

Le peuplier d’en face

Est mon squelette du matin.

N’importe quel arbre est aussi mon squelette.

Mais je ne le voyais pas.

Je n’ai jamais eu de racines.

Le peuplier n’a jamais eu quelque chose à dire.

Nous voilà associés :

Et surtout voguer,

Souvent en tremblant,

Vous savez, ce tremblement de n’importe quel être

Et n’importe quel arbre

du monde.

Qui pourrait l’interrompre ?

Mon écoute est aussi la vôtre.
Mais vous le savez déjà :

la vôtre

est aussi la mienne.

Une intensité ne s’adresse qu’à une autre intensité.

Je tremble, ivre de rien d’autre que

De constater ce tremblement.

Ivre

de mots

et de ce qui les a provoqués.

Et je souris – je me souris à moi-même – et à mon insu

Quand j’écris.

Finis coronat opus.

Le sourire c’est moi.

Ou bien : je souris, donc j’existe.

Un sourire pour moi / je me souris à moi.

Je n’ai jamais senti cela :

M’adresser à moi, de cette

Manière presque totale.

J’ai compris :

Aimer, c’est sourire.

Le rire est pour après,

Quand les corps se sont réjouis.

Moments de solennité.

Non pas missa solemnis, mais miss,

Pardon : madame solennité

Portrait de Dame ou Reine

dans une attitude solennelle.

 

 

J’ai passé en grande partie la journée

Loin de la maison,

Sur des collines,

Parmi les fleurs et les abeilles.

Des oiseaux à chaque pas.

Quelques gens pressés.

Et pendant ce temps le Poète –

Un que je ne connais pas

Sans visage ou nom

Je sais seulement que c’est le Poète –

a travaillé la terre,

dans mon jardin,

qui n’est pas négligé

au contraire,

mais il a tenu à rafraîchir lui-même

quelques parcelles.

Il les a préparées pour moi.

Maintenant – à moi de jeter les mots dedans.

Je sème dans ces parcelles mes propres mots.

 

 

Des pierres blanches, arrondies

Ou des clochettes sans langue

Tombent en moi

S’alignent dans ma poitrine :

déposées à l’improviste

chacune au bout d’un fil

(quasi marionnettes)

Mais les fils – et le marionnettiste ! –

disparaissent.

Je contemple la lumière mate des pierres et des clochettes

En moi – en rang : se taisent, depuis ce nid

Et je les interroge, enfin, le soir, très tard –

Minuit déjà :

Sont-elles un précipité, comme en chimie,

De quelques moments dans mon jardin ?

De quelques pensées envers ma fille ?

De quelques images d’un rêve ?

De l’attente à briser pour toujours ?

Des tranches même de ma solitude,

Coupées hier, dans ma journée –

Tranches géantes, on aurait dit du pain très frais,

Une boule d’une farine grise.

Tranches appétissantes, entre lesquelles le vide et la joie circulent.

Ce sont elles peut-être qui se sont transformées

En pierres et clochettes, se poser en moi.

Ce qui fait le moteur de ce poème, c’est

Leur chute lente, verticale,

tenues par des fils et alignées –

Leur lumière à la fois mate et éclatante

me tient éveillée.

Autre attente.

Celle des clochettes.

Leur fournir la langue.

Injonction, encore.

Des clochettes-pierres qui sonnent.

 

(*) Poèmes extraits d’un recueil inédit, Parenthèses pour germination.

Photo-autoportrait, mai 2020

Née en 1962 en Roumanie, Sanda Voïca a fait ses études à la Faculté de langues étrangères de Bucarest. Professeur de roumain et de russe entre 1985-1990. Correctrice et rédactrice pour les revues littéraires Contemporanul-Ideea europeană (Le Contemporain-idée européenne) et România literară (La Roumanie littéraire). Entre 1996-1999 a travaillé comme rédactrice pour Monitorul Oficial (le Moniteur Officiel ; l’équivalent du Journal Officiel en France), au Palais du Parlement. Publication en Roumanie de textes variés (poèmes, nouvelle, fragments de roman, notes critiques) dans les principales revues littéraires roumaines, et de son recueil de début, Diavolul are ochi albaştri (Le Diable a les yeux bleus), Editura Vinea (Vinea éd.), Bucureşti (Bucarest), 1999.

En 1999 elle s’installe en France. Depuis, elle écrit exclusivement en français. Publications dans de nombreuses revues littéraires, françaises ou étrangères (papier et/ou numériques) : Terre à ciel, Phoenix, Sarrazine, Décharge, Europe, Recours au Poème, Traversée (Belgique), Moebius (Canada), La Fabrique de l’art (France-Inde), etc. Présence dans plusieurs anthologies, dont Elles écrivent, elles vivent ici en Normandie, Paix… Ou dans des livres collectifs : Le système poétique des éléments (Invenit éd.), Du feu que nous sommes (Abordo éditions), etc. Quelques plaquettes (Ça vient de tomber (la rivière échappée), Des couleurs en profondeurs (éd. du Petit Flou), Et quelle volonté peut-on comparer avec celle de l’amour ? (Les Presses du vide). Les volumes de poèmes : Exils de mon exil, Passage d’encres éd., 2015, Epopopoèmémés, Impeccables éd., 2015, Trajectoire déroutée, Lanskine éd., 2018. Livres dits pauvres, avec des artistes : Ghislaine Lejard, Adeline Contreras, Maria Desmée, Daniel Leuwers, Maud Thiria-Vinçon. Notes critiques, publiées dans Paysages écrits, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, etc. Préfaces pour les recueils des poètes : Dominique Zinenberg, Valérie Canat de Chizy, Morgan Riet. Plusieurs entretiens dans : Alkémie, Le Littéraire, Terre à ciel, Le Petit Journal, Librebonimenteur, etc. En 2010, elle a créé et mené, pendant dix ans, la revue de poésie et arts plastiques (numérique et papier) Paysages écrits.

 

 

Salon de lecture :
Sanda Voïca

Recherche Dominique Zinenberg

 

Francopolis, septembre-octobre 2020

 

Créé le 1 mars 2002

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