Le Salon de lecture


Découverte d'auteurs au hasard
de nos rencontres

ACCUEIL

ARCHIVES    SALON

 

Mai-juin 2018

 

Invitée : Sanda Voïca

 

Écrire dans l’air

 

(extraits de Trajectoire déroutée, éditions LansKine, juin 2018*)

 

http://www.francopolis.net/images2/S.Voica-S.Brassart.jpg

Peinture de Sophie Brassart inspirée par un poème de Sanda Voïca,

en la lecture de l’auteure

(reproduction d’après son blog)

 

Les mots se collent à droite et à gauche

de ma tête,

la modifient, l’assouplissent,

déploient sa peau

allongent le visage

fortifient le menton

transforment les yeux :

l’un rond bien noir,

l’autre carré blanc.

Les deux

ont mangé les joues.

 

Les feuilles pleines de mots

collées à ma tête

à la place des oreilles

peinent à me faire voler.

 

*** 

 

Plusieurs fois par jour

la fille revient

s’empare de moi

grappin à plusieurs crochets qui

s’enfoncent dans ma chair

me soulèvent très haut

et me lâchent :

je me défaits en morceaux.

Quand je me réarticule

je mets la fille disparue

dans mon échine.

 

*** 

 

La première chose dont on veut s’emparer au réveil

est l’être le plus profond

que la main veut secouer et réveiller aussi.

Alors on prend le crayon

et on laboure toute la journée

dans un cahier.

L’œil

n’est jamais qu’œil,

mais un outil nouveau

à chaque fois qu’il trace

un signe.

 

*** 

 

Les souvenirs de la fille disparue :

couvertures de tout temps

suspendues dans l’air

pour tenir sous le froid

du jour imminent.

 

La douleur ronge

les crayons

les feuilles

mon clavier.

Son piano aussi.

M’en extraire :

injonction futile et permanente

mais structurante :

je suis celle qui s’extrait

de MON jour

et de SA nuit.

 

*** 

 

Le bonheur ?

Quand s’abstraire de tout

est aussi riche

qu’embrasser, chevaucher

tout toucher.

 

Parfaite cariatide :

j’ai pris la forme des caresses

que j’ai eues et pas eues.

Je soutiens le jour naissant.

 

*** 

 

Ma paume immense et lisse

caresse la nuit couvrant

moitié de la terre.

Elle protège la planète.

Je protège la nuit.

Contre quel criminel ?

Je n’ai plus de doigts

juste la paume géante

et dans son creux

la nuit immensément fragile :

elle va disparaître.

L’aube y aidera.

De mes pas attraper

l’absence parfaite :

le très haut des jours,

son air bleu royal.

 

*** 

 

Un talon de lumière

a fait son nid

dans ma poitrine.

Il entre et sort

quand il veut.

Je l’abrite éblouie

et impuissante.

 

*** 

 

Je sors dans mon jardin

et dès la porte d’entrée

l’air, le soleil, les fleurs

m’attaquent :

mur qui me pousse

et m’empêche de le traverser,

de faire des pas, de sortir.

Pétrifiée et tremblante

devant cette tombe ad hoc,

celle de la fille,

venue jusqu’ici.

 

Si je voulais me jeter par terre

je ne tomberais pas :

l’air du jardin devenu solide

m’en empêcherait.

 

*** 

 

Un chaudron fume :

tout autour de ses parois extérieures

jaillissent des brins scintillants :

la journée inutile lâche

ses chevaux, enfin.

Le chaudron refroidit brusquement

se plie et devient

le dos d’un cheval marron

avançant vers le soleil.

 

Mon squelette en chaux vive

descend vers vous…

 

Le serpent que je n’ai jamais écrasé

Transformé en bande rigide d’or

Traverse la route derrière moi.

 

La chaux s’évapore, vole,

Nuage de poussière.

 

 

Me voilà.

 

 

 

* Recueil dédié à sa fille, Clara Pop-Dudouit (1994-2015).

Poèmes reproduits avec l’aimable autorisation de l’auteure et de l’éditrice,

que nous remercions profondément.

 

Sanda-bio

Née en 1962 en Roumanie, Sanda Voïca a fait ses études à la Faculté de langues étrangères de Bucarest et a travaillé pour les revues Contemporanul - ideea europeanà et La Roumanie littéraire comme correctrice, entre 1990-1997.

Elle a publié dans les plus importantes revues littéraires bucarestoises poèmes, nouvelles, fragments de roman, ainsi que le recueil  Le diable a les yeux bleus / Diavolul are ochi albastri sous le nom d’Alexandra Voicu, éditions Vinea, Bucarest, 1999.

La même année elle s’installe en France et depuis elle écrit et publie en français sous le nom de Sanda Voïca.

Recueils : Exils de mon exil, éditions Passage d'encres, 2015 (coll. Trait court) ; Epopopoèmémés, éditions Impeccables, 2015 ; Trajectoire déroutée, éditions LansKine, 2018.

Parutions dans des publications et revues : l’anthologie Elles écrivent… elles vivent ici, en Normandie, éditions Les Tas de mots, 2014, revues papier (Moebius, La Page blanche, Place de la Sorbonne...) ou numériques (Le capital des mots, Paysages écrits, Terre à ciel, Ce qui reste, La Levure Littéraire, Terres de femmes).

Depuis 2010, elle est initiatrice et animatrice, avec Samuel Dudouit, de la revue numérique et papier Paysages écrits. Une très belle présentation de cette revue (son numéro 22 de 2015) dans Recours au poème.

Présence à Francopolis : sélection d’auteurs de décembre 2014, rubrique Créaphonie de décembre 2015 (poèmes extraits du livre numérique Corps en cathédrale, avec des collages de Ghislaine Lejard). Sur le recueil dont sont extraits les poèmes reproduits ci-dessus, voir la poignante note de lecture de Georges Guillain sur le site de son association Les découvreurs.

 

 

 

Salon de lecture
Sanda Voïca


Francopolis, mai-juin 2018

 

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer