Les mots se
collent à droite et à gauche
de ma tête,
la modifient, l’assouplissent,
déploient sa peau
allongent le visage
fortifient le menton
transforment les yeux :
l’un rond bien noir,
l’autre carré blanc.
Les deux
ont mangé les joues.
Les feuilles pleines
de mots
collées à ma tête
à la place des oreilles
peinent à me faire voler.
***
Plusieurs fois
par jour
la fille revient
s’empare de moi
grappin à plusieurs crochets qui
s’enfoncent dans ma chair
me soulèvent très haut
et me lâchent :
je me défaits en morceaux.
Quand je me
réarticule
je mets la fille disparue
dans mon échine.
***
La première
chose dont on veut s’emparer au réveil
est l’être le plus profond
que la main veut secouer et réveiller aussi.
Alors on prend
le crayon
et on laboure toute la journée
dans un cahier.
L’œil
n’est jamais qu’œil,
mais un outil nouveau
à chaque fois qu’il trace
un signe.
***
Les souvenirs de
la fille disparue :
couvertures de tout temps
suspendues dans l’air
pour tenir sous le froid
du jour imminent.
La douleur ronge
les crayons
les feuilles
mon clavier.
Son piano aussi.
M’en
extraire :
injonction futile et permanente
mais structurante :
je suis celle qui s’extrait
de MON jour
et de SA nuit.
***
Le
bonheur ?
Quand
s’abstraire de tout
est aussi riche
qu’embrasser, chevaucher
tout toucher.
Parfaite
cariatide :
j’ai pris la forme des caresses
que j’ai eues et pas eues.
Je soutiens le
jour naissant.
***
Ma paume immense
et lisse
caresse la nuit couvrant
moitié de la terre.
Elle protège la
planète.
Je protège la
nuit.
Contre quel
criminel ?
Je n’ai plus de
doigts
juste la paume géante
et dans son creux
la nuit immensément fragile :
elle va disparaître.
L’aube y aidera.
De mes pas
attraper
l’absence parfaite :
le très haut des jours,
son air bleu royal.
***
Un talon de
lumière
a fait son nid
dans ma poitrine.
Il entre et sort
quand il veut.
Je l’abrite
éblouie
et impuissante.
***
Je sors dans mon
jardin
et dès la porte d’entrée
l’air, le soleil, les fleurs
m’attaquent :
mur qui me pousse
et m’empêche de le traverser,
de faire des pas, de sortir.
Pétrifiée et
tremblante
devant cette tombe ad hoc,
celle de la fille,
venue jusqu’ici.
Si je voulais me
jeter par terre
je ne tomberais pas :
l’air du jardin devenu solide
m’en empêcherait.
***
Un chaudron
fume :
tout autour de ses parois extérieures
jaillissent des brins scintillants :
la journée inutile lâche
ses chevaux, enfin.
Le chaudron
refroidit brusquement
se plie et devient
le dos d’un cheval marron
avançant vers le soleil.
Mon squelette en
chaux vive
descend vers vous…
Le serpent que
je n’ai jamais écrasé
Transformé en
bande rigide d’or
Traverse la
route derrière moi.
La chaux
s’évapore, vole,
Nuage de
poussière.
Me voilà.
* Recueil dédié à sa fille,
Clara Pop-Dudouit (1994-2015).
Poèmes reproduits avec
l’aimable autorisation de l’auteure et de l’éditrice,
que nous remercions profondément.
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