rencontre avec un poète du monde

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ARCHIVES : VIE – POÈTE 

Novembre-décembre 2022

 

 

 

Boris Gamaleya

 

Présentation par François Minod

avec l'aimable  participation de Patrick Quillier.

 

Et 21 poèmes inédits

 

(*)

 

 

 

Une image contenant personne, homme, extérieur, portant

Description générée automatiquement

Boris Gamaleya est né le 18 décembre 1930 à Saint-Louis. Son père, de vieille noblesse ukrainienne, reliée à un ancêtre qu'il a en commun avec Alexandre Pouchkine se réfugie à La Réunion après la révolution d'Octobre et meurt quand l'enfant est âgé de 2 ans. Sa mère, réunionnaise est de lointaine origine portugaise. L'enfant passe ses premières années, déterminantes pour la révélation de la teneur poétique du monde, à Makes, petit village de montagne, puis à la Rivière Saint-Louis chez ses grands-parents. Son adolescence tourmentée est éclairée par la découverte des œuvres de Leconte de Lisle. Gamaleya publie ses premiers poèmes dans les journaux L'Avenir du Sud, Le Peuple et La démocratie. Après des études secondaires à Saint-Denis, il va en France poursuivre son cursus. Il retourne à La Réunion en 1955 et enseigne le français dans différents collèges de l'île. Il milite au parti communiste réunionnais (PCR) et surtout commence à se passionner pour la culture populaire. L'ordonnance dite Debré, qualifiée de scélérate, le renvoie en France pour un exil de douze ans. Il accomplit des études de linguistique et de russe à la Sorbonne.

Tout en recueillant dans les champs de canne les comtes et poèmes de la tradition orale de « la culture de la nuit » et en les publiant régulièrement (avec des articles de la langue créole), il enseigne à La Réunion jusqu’en 1985. Il rompt définitivement avec le PCR.

Vali pour une reine morte (1973) fait date dans l'histoire de la poésie, en raison de sa liberté, de sa richesse, de ses audaces. Gamaleya construit jusqu'à sa mort une œuvre éclatée attachée « aux services euphoriques du dépassement » où il se fait le chantre inlassable des mythes polyphoniques et constitutifs de la créolité, mais une créolité ouverte à l'Autre à l'infini et débarrassée définitivement de toute forme d'esclavage. Une dimension cosmo-poétique et spirituelle est présente à travers toute son œuvre, ce qui en fait purement et simplement une des grandes voix de la francophonie, à l'égal d'un Édouard Glissant.

Il a longtemps vécu dans le grand âge à la Plaine-des-Palmistes avec sa femme Clélie Gamaleya (auteure de Filles d'Héva trois siècles de la vie des femmes à la Réunion). Installé à Barbizon en 2012, Boris Gamaleya est décédé la 30 juin 2019 à Fontainebleau. À l'instar de celles de Leconte de Lisle (1977) et d'Auguste Lacaussade (2006), ses cendres ont été transférées dans son île natale en septembre 2020.

Le colloque international Boris Gamaleya, poète indianocéanique de l'Univers s'est tenu à l'Université de la Réunion du 17 au 22 octobre 2022.

Un autre colloque avait eu lieu précédemment à Nice (actes édités par Patrick Quillier et Dominique Ranaivoson : Boris Gamaleya, « Les Polyphonies de l’extrême » : actes du colloque de Nice, Université de Nice – Sophia Antipolis, 25-26 novembre 2004 augmentés d’exégèses de textes inédits de l’auteur. Saint-Maur-des-Fossés : Sépia, 2011).

Voir pour plus d’infos le site de B. Gamaleya, et le site Île en île).

 

(*)

Nota bene : tous les textes proposés ci-dessous sont des inédits.

 

 

Le dodo étoilé

Aux frêles opulences

Des bateaux inconnus rayonnent aux portes de l'enfance rosiers-les-eaux longs ibis

dans le tollé des branches

le pur temps regarde le toit du crocodile solidaire d’une vieille écorce de vie

et des amonts qui bouchent tout attrait
galets à pied courant vers des reflets d'étoiles que tu t’amuses à dire méconnaissables

 

Aux trop véloces

Ciel ! écurie d'oriflammes pour roche écrite en poudre de banquise

escampette du mauve

cœur  d'ozone grillé à l’horizon

à moi rosaire comptant balafres aux pieds - ramiers assagis –

du géant esprit

tu débarques du peuple des abeilles

l'étang gargar s'égrène

dans l’écumante cavalcade des himalayas

croisés de galaxies

tendre filon
pêche les bergeries

la lune casse en tombant le corail autre rêve

les rictus des petits richelieus

entrent – tinte stupeur pensée sonique - dans le poème d’une mienne blessure

sourire à la reine du rivage

dieu verger s’ébroue en tes entrailles

 

Terres hystériques

Arrière-feu de cuisine pour image du conflore

tendre à loups entendus les pièges d'une tige

Dieu s'est-il surpassé en nos manques ? trop fine mouche abat atout oui

est-ce pour faire un mystère en filigrane

du farfar live” qui sans se tromper de fond de rêve

nous colle un dodo kapok

conclave des immensités dans la source

l’esprit ôte sa peau féline

les pantouns roucoulent à travers les seychelles

les bouchons au levant boustent leurs plaines blanches

les télègues livrées si près de l'embouchure

 

Rare pureté de Nova

Ouina fécondité des tambours de la grâce tu n’en crois pas tes cieux

qu’y a-t-il dans le saccage à dos d’Éole? j’ai pleuré d’amour

pour nos pantins de paysages leurs rencontres avec des étoiles de travers

les prétextes pour un nouveau relief

dans le moindre de tes paradoxes

s’évoquent les mollusques magellanesques les mots dénoués de la musique

il pleut des escadres brisées on fume aux antipodes

les tablas que l’on peut

Au palais-neige

 

Jardine nos langueurs et reçois la survie

noircissent les armures les cascades ne comptent plus

leurs feux de nuit

les croisées n’ont besoin que de sentir la menthe le python de sable plein les cieux
la pensée immortelle et ses hybridacées

honneur aux bras cachés au fond du museum

 

La terre a bien ouvert les falaises

La nuit Rotschild ne joue pas du violon mais à la cordelette

au machin de l’homme qui donne de l’émotion ( un pouvoir tout va bien” définit la culture )

cœur chinois des roseaux la guerre pousse un râle je te confie mon dernier rôle à réparer

à l’endroit où je te picore les prunelles

et tu fais circuler les passereaux

tu leurres au bon moment les nasses

c’est merle tout bleu xylophones sujets à retouches plaies d’îles

pluies d’ailes

mali cui cui en point de mire

trop de fées à la fête

à tout crin quand même tes doigts ont ce don-là des volées d’échassiers embrument les remparts

 

Scie pour une tête de Mercoule

La route se fraie une mémoire ciel enfiévré de pléthores d’oiseaux

le soleil cascavol sent la vanille une image volée à la voisine

un lit de principe entre les caisses les dents de lait et les caillasses

quel bilan pour la morte raison

la lune mardi-gras poisson-coffre des berges ou vieille chienne dans un jeu de bowling

sans nous contaminer on la réhabilite

le correcteur ouvre ses plus grands yeux

sur les croix vertes du levant proche les autotombes d’un kapokier lémure à petits sauts

d’une ligne d’horizon

 

Kalaou forêt de pierre

Les calaos au bec de prophètes nichent dans le givre

des éclairs entassés ont remanié le ciel

grains de pluies kirikou-si

une froide clarté jouxte le désastre kirikou-sa

retourne le miracle

des vraies semences

 

Dulcie

La pluie

au creux de ta main

songe s’ouvre

l’oiseau

que flèche le vent

tient debout

le mot qui de loin t’inspire l’étoile caravelle

pleure pas tes esclavages

âge ancien

 

Géo-rengaine

D’abord fut le schéma mental d’une rivière... d’abord fut le schéma mental d’une rivière...

d’abord fut le schéma mental d’une rivière...

C’est après que les parois du cirque cédèrent

 

Course des béliers

Statues de l’ici-bas
avez-vous un aïeul en vue ? décembre n’est que solo place vacante pour les cannes les autres notes

les figures des comptables

pas un cri du soir sur le toit ni d’ailleurs sur le tout

l’univers en quatre-bornes cotise aux tirages des pléiades sur les oursons tondus
dans le brouillard

l’arbre de Jésus cerne

nos mines compassées

les ombres du vent jamais lasses de nous ressembler

 

Montagnes vues le soir

du haut de la rivière des pluies

sur tout cela qui existait depuis longtemps

à bourse déliée

On ne sait plus comment cela a commencé un chien ferme la parenthèse

d’une mésaventure

surdité ou regard non libéré

champs à demi sabrés vers les cases lointaines

et le géant espace attendu

 

La vérité devant derrière

L’enclos coule ses clochettes nos géants pacifiques

et le ciel encombré de plaques de silence la lune enchante un quartier de rivière

nous jouons sur le sable à bâtir des fortins un coq casse la portière

bigre ! un tigron migrateur

a bondi sur un banc d’écailles

le chat s’est enfui du monastère

et de becs roses

 

Chariot pintades

Ta présence coupe en deux le jour en armes

qui mène le baal admet la surenchère

Seigneur - oignez de boue les mots qui n’y voient goutte on ne va pas renaître en tenue de combat...

Reprends-toi donc si je te morigène

comment peut-on si tôt jouer aux nains des sous-bois?

bonheur gris perle

il pleut sur les tombes

poc-poc membranes

et tiges brunes

la pierre plombée d’eau lourde bloque l’envol de tonnes de pensée

de longs yeux m’implorent

 

Ce que l’esprit vole à la kermesse

Sur l’hippocampus on joue au ping-pong

la nuit nous restitue le troisième œil pour la croix la plus belle

dans le bois à venir des campêches

chance pour l’enfer

longtemps après sans faute le vent fait du camping

au lieu-dit nos désastres

longtemps encore

le grillon de shiva discontinue la lune gravit à ravir

l’intellect dans ses pulses

Serre sa dernière vis à la nuit les freins vont lâcher

un bruit sec a tinté au mitan des abois ton corps d’étoile

brûle bon an mal an entre de lentes mains

l’oiseau d’aitain d’une secte secrète n’en est pas encore au rêve de la veille

les dépressions mettent le cap sur nos crépuscules

le dodo se planche

sur l’arc à mâts ouverts

entre deux formules du malheur

le poisson-chat lape la voie le comble pour les voiles qui n’ont pas résisté

 

Étang gaulette

Les bardes dans les margosiers

La cuisine se réveille

on en a pour un déluge

les mille-pattes se reconstituent les entrailles de Marie

forgent les perles du feu pour sa part martienne

l’île-autel respire mieux

Empêche grande torpeur

Seigneur de m’envahir

aie l’œil toujours dessus les schémas du cœur gros

nomade en tous les sens

il rend gorge rouge aux mots amour

se donne à entendre cloche que vent rallie

tourne autour d’elle-même en quête d’une demeure

à la beauté mouvante

ce que le coq décrète

l’allée l’arrête où la question se pose au flanc d’un pack noir de manèges pour quel pêcher

les honorables alamandines?

quel âge ont les fanjans?

le chaton Ipopo

regarde les œillets

au museau lémurien

aux étranges yeux d’anges

 

De bas en haut l’escadre

Le Père Noël a cassé le tram-train il neige tout un édredon

Néva plus loin que l’île montagne incréée

grands paons de rumeur

un petit feu du ciel

brûle près du volcan

 

Le temps en caramel hectopascalisé

Chien noir garde le dogme
sombre silence

quelque part se trouve l’autre bout de l’étant

les grands fonds assourdis d’une mise en garde

plus d’enfance abattue

en nos superficies

et droit de progresser

à nos périphéries

lors au tour de l’Éthique de tourner la page

voici que vient le vent aimables transcendances

ouvrir tes cimes sans fin

aux bleuités salaziennes

piquées d’étoiles blanches

 

Arbalète ou laser

Cela ne fait ni froid ni chaud ni clair-obscur s’il pleut tout un après-midi de missiles

sur les silos de décembre

ni paix ni guerre

les dilutions s’attisent

un ciel jaune - autre temps - nous voit naître

au-dedans de tout ce qui s’écoule Sisyphe des galets pleins les bras

dans les rondes de l’eau

regrets

les foukés suivent tes appels et parenthèses

 

Entre l’ébène et l’acajou

Une étoile a choisi de te regarder entre deux chaînes

Dieu est-il un verbe encore tout chaud

insolites formalités

mots d’une question en queue leu leu

et si les musiques de l'ombre avaient un simultanéisme

bien dans tes cordes?

 

zoulou zoulou

Tu attends d’être recueillie

d’un fouillis de ré-émergences

les astres n’en sont plus à compter les éclairs ton énergie ne craint aucune manigance

rêve de plus hors saison tu te démarques haut de l’arbre pour les otaries

d’oratorios moite parcours pour le chef d’œuvre de la vie

tu jures d’être encore plus attentive

à ne rien libérer de tes multiples rôles

Village de rires sous les houles

Clin d’œil cibles en miettes pardonne ma méprise

tu n’étais pas

à l’improviste l’éclair que je redoute

le reproche qui me foudroie tu conduisais le rire

qui jamais ne s’arrête d’un visage pour les anges

de sable

imprimé sous les houles

loin d’ici commencé

terres noyées

trous noirs pour plein d’étoiles

très loin

de Saint Brandon

Silence désirs des sources

traits oubliés de l'oiseau

une mort s'infinise

au lit du premier ciel

maîtresse d'élégance

et tu mets en riant dehors notre intérieur

les joyaux dans tes jarres de sable comme en plis de coquillage
ma mémoire

horizon d'utopie

un clair verger loge en nos étoiles

Ainsi fait le récif nouvelles années à bout de fil

les humains si bon leur semble reprennent poste

sur la planète amirale

parmi leurs mélanges antérieurs de salves d’étoiles

et de marlingoses...

sur les sources pleurent les oiseaux de ton nid là-haut de feuillage

tu peux voir toute l'eau de la mer

 

 

 

Une vie, un poète : Boris Gamaleya

Francopolis novembre-décembre 2022

Recherche François Minod

 

Créé le 1 mars 2002