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ARCHIVES : VIE – POÈTE 

 

Une Vie, un Poète :

 

Monique W. Labidoire

par Dana Shishmanian

 

 

Il n’est nullement dans mon intention ici de retracer le parcours de la poète Monique W. Labidoire, rappeler le trauma fondateur de son œuvre, et brosser son portrait, tout en lumières surgies d’ombres et de fentes cachées, transposées dans les oxymores de la parole : des plumes remarquables l’ont déjà fait, avec sensibilité, pertinence, et talent.

Que les lecteurs de Francopolis trouvent avec bonheur l’ample présentation faite par Jean-Paul Giraux au Territoire du poème, le 17 décembre 2010 (publiée dans Concerto pour marées et silence, revue, numéro 4 de 2011), ou celle, tout aussi  remarquable, donnée par Martine Morillon-Carreau au Mercredi du poète – manifestation que Monique avait elle-même animée, pendant une vingtaine d’années – le 24 janvier  2018 (voir vidéo ici), ou encore, celle du Recours au poème, qui rappelle surtout ses travaux critiques (sur Guillevic, bien sûr, en tout premier lieu, sur Andrée Chedid, Marie-Claire Bancquart, Alain Duault, Marc Alyn, Jean-Michel Maulpoix, André Velter, Serge Wellens, Bernard Vargaftig, Claudine Helft, Richard Rognet, Max Alhau, Gabrielle Althen, Maurice Couquiaud et beaucoup d’autres…).

Ses vingt-cinq recueils de poèmes (une liste incomplète mais avec des liens pour commander, pour ceux qui sont accessibles auprès des éditeurs, peut être consultée sur le site mapetitelibrairie) témoignent d’une patiente, progressive, asymptotique approche de la parole poétique, par le dedans : ce qu’elle est, comment elle grandit en nous, vers quoi elle tend, où elle nous porte… Le poème est, finalement, le seul et unique thème de cette écriture qui tend, comme toute écriture majeure, vers l’idéal du Livre. Et comme le dit très bien Jean-Paul Giraux : « Du coup, le poème devient un territoire où on se cache et où se vit – encore et toujours – la nécessité du silence. Ainsi voit-on la parole circuler à travers l'écriture dans une perspective formelle qui semble dire, en priorité, l'absence du poète, son refus de se dévoiler, quelque chose dont on pressent que ce pourrait être les effets d'une menace qui survit à elle-même, une reviviscence. Bref, le poète se trouve en situation de dire que "les mots ont moissonné le chant" puisque l'écriture seule marque sa présence et que tout se passe comme s'il était, dans son propre poème, un voyageur venu se rendre compte de l'état des lieux, incognito. »

Sa présence dans Francopolis : Gueule des mots de janvier 2014 et de décembre 2014 ; lecture-chronique de décembre 2014 ; note de lecture au recueil Gardiens de lumière, Alcyone, à la rubrique Francosemailles d’avril 2017.

Que le groupage ci-dessous, extrait de son dernier recueil, Voyelles bleues, consonnes noires, délecte le lecteur autant que cela fut une délectation pour moi de le constituer, en lisant et relisant les pages de ce livre exquis qu’on a envie d’emporter avec soi sur l’île de tous les naufrages, si île il y a encore – ou sinon, dans l’abîme de soi. Merci, Monique, pour cette « obscure et mystérieuse lumière » que nous dévoile ton Poème !

 

D.S.

 

 

« … désir de vocables élémentaires »

ou Du poème

(*)

 

OVNIS, monotype de Roselyne Fritel, 2016

 

 

Il est temps de faire renaître la première et la troisième personne du présent.

Je suis celle qui de mot en mot interroge l’écriture dans ses méandres et ses lumières, dans son sens et son non-sens, dans sa conscience et son indifférence.

Celle qui persiste à arrondir la langue et rejeter les angles morts.

Nous sommes individus pluriels dans l’oxymore la plus totale et nous tentons de faire battre nos cœurs à l’unisson.

 

***

 

Sans visages, sans corps mais pleins d’une présence, les mots suivent le cours de la rivière, les sentiers de la forêt, la mémoire d’enfance, la tristesse de la perte et s’embouent de larmes.

À suivre les pèlerins du poème, il semblerait qu’une tendresse déplie ses ailes et emporte les images vers des cieux cléments.

 

***

 

Ancrer son chant n’est pas plonger un corps mort au fond de l’eau et tuer la respiration du sable et des algues.

Ce n’est pas attacher sa voix aux seules mélodies reconnues.

Ancrer son chant c’est le retenir dans l’espace du poème.

C’est au final de la symphonie défaire la lourde chaîne qui brisait sa chair et ouvrir l’un après l’autre ses anneaux de fer pour y placer mot après mot le poème.

 

***

 

L’éternité du poème suit le chant sinueux de nos vies.

Il partage l’éveil du jour, le pain quotidien, la lecture dans le métro, le regard d’un inconnu, le frôlement d’un bas de soie.

Il se mêle à la foule des autoroutes pour gagner la forêt, les prairies, l’océan, retrouver les campagnes saisonnières qu’il grave dans son souvenir.

 

***

 

La nuit tombe sur les débris d’hier, un temps neuf peut saisir le sifflement des lucioles et ouvrir l’arc en ciel de l’horizon.

Le corps s’inscrit dans l’esquisse du poème appelant à ‘laide des mots pleins de sens.

Pourtant c’est toujours l’heure du défi devant l’inconnu qui s’agite et émerveille face à ces alliance venues du plus obscur de nous-mêmes.

 

***

 

De pas en pas la route chemine jusqu’à son destin et chacun sait du dénouement la finitude.

Comme le poème, l’amour, la beauté, comme ce qui nous porte à la verticale de nous-mêmes, des bribes de chair s’effritent et amenuisent notre espace, confrontés à ce refus bouillonnant de lâcher prise et de ne plus pouvoir chanter gloria mais seulement requiem.

 

***

 

Encrer le poème de son sang rouge de fièvres et laisser couler dans ses veines bleuies les mots d’une humanité qui aurait pour visage le désir d’une fleur, d’une rivière, des prés odorants après la pluie, du chant du rossignol, de l’eau fraîche d’une source vive.

Le désir de vocables élémentaires et transparents magnifierait le sentiment d’amour.

 

***

 

Ce jour, auprès de vous, le poème veut revenir.

Il s’était peu à peu éloigné de son chant et tenait à distance ses ardeurs promises.

Loin des variations et des vocalises, abandonné des lais moyenâgeux et des sonnets renaissants, le chant bat tambour d’une renommée asymétrique qui de rock en roche et de pierre qui roule rassemble d’autres voix.

 

***

 

À chaque jour un chant creusé de terre, semé de cailloux, encordé d’idylle, refusant de courber le dos sous la voilure déchirée par l’ouragan des hommes et des éléments.

À chaque nuit un chant d’amour et la caresse de la lune sur les peaux hérissées de plaisir et de gouttelettes de sueur.

Au matin d’un nouveau monde y aura-t-il toujours un cœur palpitant au rythme des étoiles en quête du chemin ?

 

***

 

Art poétique

La source se tarit et les mots noyés dans des yeux troublés d’ombre ne tracent que plaisir d’instant et s’entortillent de ficelles vites rompues par les avaries et la violence des tempêtes.

La beauté veille en poupe d’un bastingage qui la protège mais jusqu’à quel bris de bois et de voiles, jusqu’à quel abandon des dieux.

Voguer au ciel de traîne jusqu’à la définitive rencontre des goélands et la contempler.

Elle, l’innommable, avec ses ailes de géant dans son obscure et mystérieuse lumière.

 

 

 

(*) Extraits de Voyelles bleues, consonnes noires. Editions Alcyone (collection Surya), novembre 2019 (voir Annonces).

 

Une vie, un poète

Monique W. Labidoire,

Francopolis janvier-février 2020