« …
désir de vocables élémentaires »
ou
Du poème
(*)

OVNIS,
monotype de Roselyne Fritel, 2016
Il est
temps de faire renaître la première et la troisième personne du présent.
Je suis
celle qui de mot en mot interroge l’écriture dans ses méandres et ses
lumières, dans son sens et son non-sens, dans sa conscience et son
indifférence.
Celle qui
persiste à arrondir la langue et rejeter les angles morts.
Nous
sommes individus pluriels dans l’oxymore la plus totale et nous tentons de
faire battre nos cœurs à l’unisson.
***
Sans
visages, sans corps mais pleins d’une présence, les mots suivent le cours
de la rivière, les sentiers de la forêt, la mémoire d’enfance, la tristesse
de la perte et s’embouent de larmes.
À suivre
les pèlerins du poème, il semblerait qu’une tendresse déplie ses ailes et
emporte les images vers des cieux cléments.
***
Ancrer son
chant n’est pas plonger un corps mort au fond de l’eau et tuer la
respiration du sable et des algues.
Ce n’est
pas attacher sa voix aux seules mélodies reconnues.
Ancrer son
chant c’est le retenir dans l’espace du poème.
C’est au final de la symphonie défaire la lourde chaîne qui
brisait sa chair et ouvrir l’un après l’autre ses anneaux de fer pour y
placer mot après mot le poème.
***
L’éternité
du poème suit le chant sinueux de nos vies.
Il partage
l’éveil du jour, le pain quotidien, la lecture dans le métro, le regard d’un
inconnu, le frôlement d’un bas de soie.
Il se mêle
à la foule des autoroutes pour gagner la forêt, les prairies, l’océan,
retrouver les campagnes saisonnières qu’il grave dans son souvenir.
***
La nuit
tombe sur les débris d’hier, un temps neuf peut saisir le sifflement des
lucioles et ouvrir l’arc en ciel de l’horizon.
Le corps s’inscrit dans l’esquisse du
poème appelant à ‘laide des mots pleins de sens.
Pourtant c’est toujours l’heure du
défi devant l’inconnu qui s’agite et émerveille face à ces
alliance venues du plus obscur de nous-mêmes.
***
De pas en pas la route chemine jusqu’à
son destin et chacun sait du dénouement la finitude.
Comme le poème, l’amour, la beauté, comme
ce qui nous porte à la verticale de nous-mêmes, des bribes de chair s’effritent
et amenuisent notre espace, confrontés à ce refus bouillonnant de lâcher
prise et de ne plus pouvoir chanter gloria mais seulement requiem.
***
Encrer le
poème de son sang rouge de fièvres et laisser couler dans ses veines
bleuies les mots d’une humanité qui aurait pour visage le désir d’une
fleur, d’une rivière, des prés odorants après la pluie, du chant du
rossignol, de l’eau fraîche d’une source vive.
Le désir
de vocables élémentaires et transparents magnifierait le sentiment d’amour.
***
Ce jour, auprès de vous, le poème
veut revenir.
Il s’était peu à peu éloigné de son
chant et tenait à distance ses ardeurs promises.
Loin des variations et des vocalises,
abandonné des lais moyenâgeux et des sonnets renaissants, le chant bat
tambour d’une renommée asymétrique qui de rock en roche et de pierre qui
roule rassemble d’autres voix.
***
À chaque jour un chant creusé de
terre, semé de cailloux, encordé d’idylle, refusant de courber le dos sous
la voilure déchirée par l’ouragan des hommes et des éléments.
À chaque nuit un chant d’amour et la
caresse de la lune sur les peaux hérissées de plaisir et de gouttelettes de
sueur.
Au matin d’un nouveau monde y
aura-t-il toujours un cœur palpitant au rythme des étoiles en quête du chemin ?
***
Art poétique
La source se tarit et les mots noyés
dans des yeux troublés d’ombre ne tracent que plaisir d’instant et s’entortillent
de ficelles vites rompues par les avaries et la violence des tempêtes.
La beauté veille en poupe d’un
bastingage qui la protège mais jusqu’à quel bris de bois et de voiles, jusqu’à
quel abandon des dieux.
Voguer au ciel de traîne jusqu’à la
définitive rencontre des goélands et la contempler.
Elle, l’innommable, avec ses ailes
de géant dans son obscure et mystérieuse lumière.
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