Du jour
La main coule au diapason
de la rivière mêlant ses doigts aux herbes, heurtant quelque branchage
flottant. L’oreille s’ouvre au tintement limpide des musiques aquatiques
tandis que la mélodie du jour ne retient que la mémoire lointaine d’un
temps aujourd’hui perdu. À la fenêtre ouverte des cités nouvelles, les
pigeons et les moineaux se disputent l’épaisse rumeur des chantiers de
vie. (p. 8)
De la nuit
L’obscur fait son chemin et le
soir glisse vers sa fin. L’entrée en finitude agresse les joies du jour,
sa lumière, ses orages, ses nuages blancs et seule
la nuit constellée d’étoiles réanime le frémissement. La nuit ne peut
finir. Elle étire ses membres au plus haut du jour, emprunte quelques
musiques, mouille ses lèvres à la source et franchit vaillamment le gué
pour atteindre la rive du jour. (p. 11)
Du jour
Et dit le poète : c’est à
l’aube qu’on guillotine et qu’on
mitraille comme si la nuit rejetait
toute culpabilité d’actes barbares. Ou comme si le jour pouvait porter le condamné à croire encore à la bonté de la lumière. Le
dernier regard vers le ciel aurait
peut-être saisi la lumière, mais c’est dans
la terre que le corps s’ensevelit. La destinée
du jour est vouée à l’obscur et ni lune ni éclipse ne pourront altérer son visage. (p. 20)
De la nuit
C’est bien de nuit noire
qu’il s’agit. Lettres et mots n’accompagnent plus le désir, la palette du
peintre s’est éteinte, la rondeur du sein s’est gravée dans la paume
d’une main et les bruits alentour amplifient notre mémoire. Mais la
mémoire s’illumine et éclaire les ténèbres dans lesquels s’ajoute les
voix de la nuit, les musiques d’un au-delà du temps qui permet de mieux
chanter miserere. (p. 21)
Du jour
Question de ciel et de lumière.
Question de couleurs et de formes vives. Trop de jour peut modifier les
sens et l’effervescence, éclairer le paysage de voluptueuses rondeurs,
entourer d’un halo brillant quelques signes mensongers, capturer raison
et nature. Mais qui ordonne ou désordonne les mots téméraires du poème
alors que l’écriture questionne simplement. (p. 26)
De la nuit
Elle aussi questionne et se
joint au jour. Devenue amante, elle plie son corps invisible au champ des
muses, à la foi du grand créateur de l’univers. Insomniaque elle allume
la lampe pour éclairer le livre de la connaissance, se désaltère à la
source primaire jusqu’à l’oubli des heures, jusqu’à la disparition de la
lune. (p. 27)
Du jour
Blanc est le jour à l’aube de la
mort. Noire est la mort sous
le linceul et les mots de la mort s’invitent à la fête du poème avant de
plier le genou pour une ultime révérence. Il nous faut ce soir quitter le
jour pour retrouver la nuit et le poème ne sait pas encore si
cette nuit sera éclairée de lune et d’étoiles. Il espère, le poème, que
son existence aura éclairé la nuit devenue bleue et que le bleu du jour
s'unira au bleu de la nuit. (p.
38)
De la nuit
Noir est le néant. Et tandis
que les oiseaux chantent jusqu’à la lisière de la nuit, les nocturnes
enveloppent l’absence à venir, le cœur effleure les touches du piano, les
mélodies disparaissent dans le lointain et s’enlisent dans le silence.
Les mots du poème vagabondent et cheminent vers un autre jour dans un
temps présent à d’autres sourires, à d’autres caresses. (p. 39)
Du silence
Quand le silence appelle les
mots à laide ce n’est pas qu’il rompt une abstinence, qu’il renonce à
vivre l’écho de la montagne, le chant de la rivière, le bruissement des
feuillages. Il veut prodiguer le bonheur de l’écoute, du tintement des
clochettes d’un troupeau proche, de la pousse mélancolique de la
violette, du grésillement du feu dans l’âtre, tous ces instants égarés
dans un temps sans nom. (p.
48)
De la mélancolie
Le poème peu à peu disparaît
rejoignant les morts d’hier et ceux de demain, livres sans sépulture,
trouvères qui ne trouvent plus, beauté du monde, sourires et paroles
réchauffant les cœurs perdus, main amicale. Mélancolie broie le soleil
qui, persévérant dans la lumière, lui intime résolument de se taire, de
regarder mieux les raisins de l’automne, les châtaignes hérissées dans
leur bogue, les girolles au secret des feuilles mouillées et le sourire
de l’enfant dont la main caresse la prairie. (p. 62)
De l’absence
Tout est absence et les mots ne
savent pas toujours remplir le vide du poème. Vide n’est pas silence et
le murmure du dedans agite des milliards de fragments d’indicibles
inconnus. Mais tenter le poème n’est qu’un combat pour rester dans la
présence du monde et la mémoire de ce qui fut. Ainsi coule la rivière
d’un temps toujours impalpable dont les heures parcellées d’une horloge
sans aiguilles balafrent l’imaginaire.
(p. 63)
De la nostalgie
Ce qui réduit en cendres a vécu des heures heureuses, laisse traces
du plain-chant de l’abbaye quand à la sérénité du cloître
le refuge console les plaies du
monde, blessé lui aussi de vitesse, de bruit, de
solitude. Ce
soir, le poème ne
porte plus la confiance
et celle qui arrache les mots à la terre
terrifie les racines
si tendrement acquises et les broie sans
regret dans sa paume. (p. 74)
De l’absence
De l’absence à la nostalgie il n’y
a qu’un tout petit pas qui se
franchit doucement. Pour l'heure il
va de soi et s’en va vers les autres, ceux qui à leur tour franchiront les
espaces du temps, retrouveront
leurs sources, écriront des poèmes, raconteront
les histoires du monde. Sur le chemin
des étoiles ils cesseront de briller mais d’autres tendront la main. (p. 75)
|