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Monique W. Labidoire, Gardiens de lumière

(éditions Alcyone, 2017 - collection Surya)

 

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Les textes sont accompagnés de la reproduction d'une encre de Silvaine Arabo.

 

Ce livre est une merveille : bel objet blanc à tenir en mains, papier d’une texture pleine et soyeuse à caresser avec ses doigts, écriture fine, précise, veloutée comme une calligraphie orientale, s’insérant dans la page telle la pierre sertie dans sa monture. La lecture remplit l’esprit d’un bien être exquis, l’objet livre devient alors la boîte d’un précieux élixir.

La poète approfondit et élargit ici la thématique du poème comme mode d’expression autant que mode de vie, dans son impuissance à changer le monde mais aussi dans sa vocation à en saisir la beauté, à en garder et perpétuer la lumière. Un dialogue incessant entre jour et nuit, vie et mort, oubli et mémoire, esprit et sensorialité… qui met en vue des passages secrets entre les contraires, leurs lignes de confluence insoupçonnées mais bien palpables, et les inversions de responsabilités… Paradoxes vivants qui nous interpellent plus d’une fois : « c’est à l’aube qu’on guillotine et qu’on mitraille comme si la nuit rejetait toute culpabilité d’actes barbares »…

On sent tout un tissu d’allusions littéraires à plusieurs niveaux dans cette texture dense, élégante, riche en couleurs et parfums, où les émotions à peine contenues se prolongent en pensées et les sensations se déversent dans le « vide du poème », pour le remplir du « murmure du dedans » : « Mais tenter le poème n’est qu’un combat pour rester dans la présence du monde et la mémoire de ce qui fut. »

Ces poèmes en prose sont chacun une œuvre d’art à contempler et à méditer. En voici quelques uns, glanés avec bonheur dans ce livre où tout se savoure.

 

Dana Shishmanian

 

 

Du jour

La main coule au diapason de la rivière mêlant ses doigts aux herbes, heurtant quelque branchage flottant. L’oreille s’ouvre au tintement limpide des musiques aquatiques tandis que la mélodie du jour ne retient que la mémoire lointaine d’un temps aujourd’hui perdu. À la fenêtre ouverte des cités nouvelles, les pigeons et les moineaux se disputent l’épaisse rumeur des chantiers de vie.   (p. 8)

 

De la nuit

L’obscur fait son chemin et le soir glisse vers sa fin. L’entrée en finitude agresse les joies du jour, sa lumière, ses orages, ses nuages blancs et seule la nuit constellée d’étoiles réanime le frémissement. La nuit ne peut finir. Elle étire ses membres au plus haut du jour, emprunte quelques musiques, mouille ses lèvres à la source et franchit vaillamment le gué pour atteindre la rive du jour. (p. 11)

 

Du jour

Et dit le poète : c’est à l’aube qu’on guillotine et qu’on mitraille comme si la nuit rejetait toute culpabilité d’actes barbares. Ou comme si le jour pouvait porter le condamné à croire encore à la bonté de la lumière. Le dernier regard vers le ciel aurait peut-être saisi la lumière, mais c’est dans la terre que le corps s’ensevelit. La destinée du jour est vouée à l’obscur et ni lune ni éclipse ne pourront altérer son visage.  (p. 20)

 

De la nuit

C’est bien de nuit noire qu’il s’agit. Lettres et mots n’accompagnent plus le désir, la palette du peintre s’est éteinte, la rondeur du sein s’est gravée dans la paume d’une main et les bruits alentour amplifient notre mémoire. Mais la mémoire s’illumine et éclaire les ténèbres dans lesquels s’ajoute les voix de la nuit, les musiques d’un au-delà du temps qui permet de mieux chanter miserere.  (p. 21)

 

Du jour

Question de ciel et de lumière. Question de couleurs et de formes vives. Trop de jour peut modifier les sens et l’effervescence, éclairer le paysage de voluptueuses rondeurs, entourer d’un halo brillant quelques signes mensongers, capturer raison et nature. Mais qui ordonne ou désordonne les mots téméraires du poème alors que l’écriture questionne simplement.  (p. 26)

 

De la nuit

Elle aussi questionne et se joint au jour. Devenue amante, elle plie son corps invisible au champ des muses, à la foi du grand créateur de l’univers. Insomniaque elle allume la lampe pour éclairer le livre de la connaissance, se désaltère à la source primaire jusqu’à l’oubli des heures, jusqu’à la disparition de la lune.  (p. 27)

 

Du jour

Blanc est le jour à l’aube de la mort. Noire est la mort sous le linceul et les mots de la mort s’invitent à la fête du poème avant de plier le genou pour une ultime révérence. Il nous faut ce soir quitter le jour pour retrouver la nuit et le poème ne sait pas encore si cette nuit sera éclairée de lune et d’étoiles. Il espère, le poème, que son existence aura éclairé la nuit devenue bleue et que le bleu du jour s'unira au bleu de la nuit.  (p. 38)

 

De la nuit

Noir est le néant. Et tandis que les oiseaux chantent jusqu’à la lisière de la nuit, les nocturnes enveloppent l’absence à venir, le cœur effleure les touches du piano, les mélodies disparaissent dans le lointain et s’enlisent dans le silence. Les mots du poème vagabondent et cheminent vers un autre jour dans un temps présent à d’autres sourires, à d’autres caresses.  (p. 39)

 

Du silence

Quand le silence appelle les mots à laide ce n’est pas qu’il rompt une abstinence, qu’il renonce à vivre l’écho de la montagne, le chant de la rivière, le bruissement des feuillages. Il veut prodiguer le bonheur de l’écoute, du tintement des clochettes d’un troupeau proche, de la pousse mélancolique de la violette, du grésillement du feu dans l’âtre, tous ces instants égarés dans un temps sans nom.       (p. 48)

 

De la mélancolie

Le poème peu à peu disparaît rejoignant les morts d’hier et ceux de demain, livres sans sépulture, trouvères qui ne trouvent plus, beauté du monde, sourires et paroles réchauffant les cœurs perdus, main amicale. Mélancolie broie le soleil qui, persévérant dans la lumière, lui intime résolument de se taire, de regarder mieux les raisins de l’automne, les châtaignes hérissées dans leur bogue, les girolles au secret des feuilles mouillées et le sourire de l’enfant dont la main caresse la prairie.  (p. 62)

 

De l’absence

Tout est absence et les mots ne savent pas toujours remplir le vide du poème. Vide n’est pas silence et le murmure du dedans agite des milliards de fragments d’indicibles inconnus. Mais tenter le poème n’est qu’un combat pour rester dans la présence du monde et la mémoire de ce qui fut. Ainsi coule la rivière d’un temps toujours impalpable dont les heures parcellées d’une horloge sans aiguilles balafrent l’imaginaire.  (p. 63)

 

De la nostalgie

Ce qui réduit en cendres a vécu des heures heureuses, laisse traces du plain-chant de l’abbaye quand à la sérénité du cloître le refuge console les plaies du monde, blessé lui aussi de vitesse, de bruit, de solitude. Ce soir, le poème ne porte plus la confiance et celle qui arrache les mots à la terre terrifie les racines si tendrement acquises et les broie sans regret dans sa paume.  (p. 74)

 

De l’absence

De l’absence à la nostalgie il n’y a qu’un tout petit pas qui se franchit doucement. Pour l'heure il va de soi et s’en va vers les autres, ceux qui à leur tour franchiront les espaces du temps, retrouveront leurs sources, écriront des poèmes, raconteront les histoires du monde. Sur le chemin des étoiles ils cesseront de briller mais d’autres tendront la main.  (p. 75)

 

 

 

MoniqueLabidoire.jpgUne belle présentation de Monique W. Labidoire, due à Christophe Dauphin, se trouve sur le site de la revue Les hommes sans épaules. La photographie reproduite ici provient de ce site.

Mais elle est déjà bien connue de nos lecteurs, notamment pour ses confessions en guise d’art poétique (Monique W Labidoire : Le maillon de la chaîne ; L’intimité du poème) et ses réflexions sur la poésie et le rôle du poète (Dialogue sur la poésie entre Monique W. Labidoire et Alain Duault).

Sur son dernier livre, Gardiens de lumière, dont sont extraits les textes ci-dessus, voir la belle chronique d’Alain Duault sur le site Le nouveau recueil.



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avril 2017  
 

 

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Créé le 1 mars 2002

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