Il
était une fois, dans un je ne sais où, une petite fille.
Cette petite fille voulait découvrir la Poésie, ce je ne
sais quoi qui embellit la vie. Car tout était triste autour
d’elle. Un voile d’ombres et de brumes l’entourait, un rideau de pluie
et de larmes mêlés. Cette petite fille sans nom, ce je ne
sais qui, avait dans le cœur une chanson, une mélodie qui
l’accompagnait et la rendait plus gaie. Elle aurait voulu que tout
fût gai autour d’elle, cela la rendait toute triste de voir un
univers sans couleur, des ombres de vie. C’est pour ça qu’elle
se disait : «je dois découvrir la Poésie, elle
rendra l’univers plus beau, aussi beau que la chanson que j’ai dans le
cœur.»
Elle errait dans un mystérieux manoir, happée par une
sombre rêverie. Elle voulait partir au plus vite à la
quête de ce trésor. Sa petite chanson si jolie l’aidait
à vaincre la peur qui rôdait autour d’elle, cette
monstrueuse bête qui voulait la retenir, déchirer ses
ailes pour l’empêcher de voler. Car cette petite fille avait des
ailes, des ailes invisibles mais la peur est un être
maléfique qui voyait tout. La peur savait qui était cette
petite fille et ce qu’elle recherchait, et à tout prix, elle
devait la retenir. Mais elle ne pouvait rien contre la chanson qui
émanait de la petite fille, cette chanson était magique
et envoûtait la peur. Charmée, elle se dissipa et la
petite fille put continuer son chemin, s’envola et transperça le
manoir qui disparut à son tour, comme s’il n’avait jamais
existé. A sa place une étoile était née. La
petit fille la vit et la trouva si belle qu’elle l’embarqua sous ses
ailes. Elle avait maintenant sa chanson et son étoile, une
musique et une couleur qui éclairaient son parcours.
Après plusieurs jours de vol, elle vit un pays, un pays qu’elle
ne comprenait pas, où tout était en ordre. Elle
décida de s’y arrêter : «on ne sait jamais, je
pourrai peut-être découvrir la Poésie dans cet
endroit bizarre.» Ce royaume était gouverné par une
méchante reine. Cette reine s’appelait Raison. Raison dirigeait
tout, tous devaient lui obéir. Les êtres, les choses
étaient modelés par raison. Tout semblait si froid, si
ennuyeux, si gris. La petite fille chanta sa chanson, fit briller son
étoile et déploya ses ailes. La reine écouta la
chanson et vit l’étoile, elle se mit à rire et à
voler à l’envers, son rire valdingua à travers le royaume
et se transforma en un immense éclat de rire et de folie. La
petite fille repartie avec ce fou rire. Elle était plein
d’espoir et pensait bientôt rencontrer la poésie. Elle
avait déjà beaucoup d’amis : sa chanson, son
étoile, son rire fou. Elle savait qu’ils l’aideraient à
trouver la Poésie et peut-être qu’ils l’aideraient
à découvrir son prénom, ce prénom perdu.
Un jour, elle se trouva dans une contrée bruyante, pleine de
sons qui lui étaient inconnus. C’était le royaume du
langage structuré, le royaume de la prose. Elle chanta sa
chanson mais les habitants ne la comprirent pas. Pourtant, ils aimaient
la chanson et à leur tour, ils se mirent à chanter dans
un langage qu’elle ne comprenait pas. Elle vit un chat qui l’adopta
aussitôt. Ils se comprenaient, parlaient un langage muet. Le chat
reconnut cette petite fille mais ne pouvait lui dire qui elle
était. Elle seule devait le découvrir. Elle repartit avec
le chat vers de nouveaux horizons, laissant ce brouhaha inintelligible
derrière elle.
Ce chat étrange ne ressemblait à rien. C’était le
gardien de la poésie, son symbole. Il avait les sept couleurs de
l’arc-en-ciel. Son regard, son sourire avaient ce quelque chose
d’ineffable qui hypnotisait la petite fille. Elle aimait ce chat
magique et aurait voulu que la Poésie ressemblât à
ce chat, à cet arc-en-ciel de sensations qui ronronnait dans son
coeur. Elle donna l’étoile au chat pour faire briller son cœur,
elle lui donna aussi le fou rire pour faire éclater son sourire.
Une sorcière les avait aperçus et elle était dans
une colère aussi noire qu’elle. C’était une
sorcière colérique, mal lunée. Evidemment, elle
n’avait pas un cœur étoilé. Cette sorcière
incarnait le mal, elle ne savait pas chanter et la chanson de la petite
fille la fit frémir, ses dents grincèrent, ses poils se
hérissèrent. Elle comprit qui était cette petit
fille, elle sut immédiatement son prénom. La
sorcière était cousine avec la Peur, elles étaient
semblables. Elle voulut jeter un sort à la petite fille et au
chat arc-en-ciel, mais elle ne put rien contre eux car la chanson
toucha la sorcière et la métamorphosa en fée.
La
petite fille demanda à la fée si elle savait où
elle pourrait trouver la Poésie. La fée ne lui
répondit pas mais lui offrit un miroir enchanté. La
petite fille y aperçut un lac et un petit garçon triste.
Elle remercia la fée et partit à la recherche de ce lac
et de ce petit prince qui semblait si seul, qui semblait tout savoir.
Elle dût passer par le royaume des Adultes. Elle croyait voir la
reine Raison et le roi Langage dans ce lieu de géants qui
semblaient ne pas se rendre compte de sa présence. Ils virent le
chat et le trouvèrent si bizarre qu’ils voulurent l’emprisonner
pour l’examiner pour comprendre cet animal anormal. Tout devait
être normal dans le royaume des Adultes, et s’ils ne comprenaient
pas une chose mystérieuse, ils la disséquaient,
l’étudiaient pour savoir à quoi ils avaient à
faire. Mais le chat était rapide, et comme il ne ressemblait
à rien, il se transformait à loisir. La petite fille
n’avait même pas envie de chanter sa chanson pour des Adultes qui
ne la remarquaient même pas, des Adultes qui voulaient faire du
mal au chat arc-en-ciel. Elle repartit avec une infinie tristesse dans
le coeur en pensant à ce monde d’apparences. Le chat lui offrit
son plus beau fou rire, alors ils sourirent tous deux et partirent
ensemble sur le dos d’un nuage, à la rencontre de la
Poésie.
Le lac chanta en apercevant la petite fille et le chat. Ils
descendirent de leur nuage. Le Petit Prince était là. Il
pensait à son ami Antoine qui était reparti dans son
avion. Il voulut jouer avec le chat. La petite fille regarda dans le
lac, et là, elle découvrit la Poésie. Elle vit son
image dans le miroir, le reflet dans le lac était le même.
Elle comprit alors tout. Elle comprit qu’elle était la
poésie, elle sut pourquoi elle avait perdu son prénom,
que c’était elle-même qu’elle avait cherché. Elle
savait.
Elle
sourit au Petit Prince qui la regarda, la prit par la main et se mit
à rire. Le chat eût son plus beau fou rire et la
poésie chanta. Le Petit Prince vit l’étoile dans le cœur
du chat, il sut qu’il devait partir avec eux, c’était
l’étoile de son ami Antoine. Le Petit Prince, la Poésie
et le chat qui ne ressemblait à rien revinrent dans ce je ne
sais où en noir et blanc pour embellir le monde avec leurs
regards magiques, parfumer le monde de poésie avec leurs regards
poétiques.
Ils
redonnèrent du souffle au monde avec leur Poésie, leurs
regards, suivis par tous les enfants. Ils partirent avec leur folie,
leur amour, leur poésie à la conquête de la Raison,
à la métamorphose de l’Adulte, en semant leur
poème.
Juliette Clochelune (21 ans en 1994)