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CONTE
Le conte selon Kama Sywor Kamanda
Lire le conte : Le grillon
chanteur
Je
vous invite, par la magie de mes contes littéraires enracinés
dans les mythes et les traditions qui ont bercé mon enfance
à pénétrer l'imaginaire qui demeure caché
en vous-même. J’espère qu’ils vous permettront
d'échapper au quotidien pour entreprendre avec moi un long
et passionnant voyage au pays des rêves.
Je souhaiterais partager avec vous la beauté des paysages,
mais aussi la richesse de la culture ici honorée. Ces histoires
seront pour vous et pour moi une quête d'absolu, un mouvement
vers le monde parallèle, mais surtout une synthèse harmonieuse
entre le réel et l'irréel. Puisse le soleil du conte
bercer vos âmes rêveuses et poétiques de toutes
ses intenses et profondes incantations !
Par-delà les réalités apparentes, mes récits
apportent à l'esprit humain la perception des univers étranges
de la connaissance initiatique jusque-là insoupçonnés.
Un conte qui fascine son lecteur est un vent qui l'emporte au plus
profond de son imaginaire dans un vertige magique fait de transes
et de réminiscences. Ces mythes et ces croyances construisent
à la fois la recherche de la vérité des origines
et l'œuvre immortelle de la pensée créatrice. Les
pesonnages de ces contes, comme nous, se retrouvent dans les tourmentes
qui naissent de la révolte et de la démesure. L’idéal
poétique a toujours une grande place dans leur structure et
dans leur fondement. Ainsi, les contradictions et les passions de
la vie se retrouvent mêlées dans une symbiose existentielle.
Mes contes font découvrir la féerie de l'âme et
lui transmettent la ferveur mystique. Ils expriment, au-delà
de l'imaginaire, les mythes et les symboles de la société
négro-africaine dans toutes ses richesses et ses diversités.
Ils partent d'un évident constat: la nécessité
du merveilleux dans toute la création humaine.
J'ai utilisé toutes les ressources de la tradition tant écrite
qu’orale, reçue de mes ancêtres, où se mêlent
des éléments venus principalement de la civilisation
bantoue de l'Égypte ancienne, de la Nubie, en somme, de toute
l'Afrique à travers les âges, de mes réminiscences
et, enfin, de mes expériences personnelles. Le conte inspire
les sources de la créativité. Ses modèles stimulent
notre capacité à nous surpasser face aux épreuves
de la vie. L'idéal et le rêve d'absolu sont l'œuvre
commune des contes à travers les imaginaires collectifs. J'apporte
ainsi ma contribution à la connaissance de l'Afrique, de ses
mystères, de sa poésie, de ses us et coutumes et de
la richesse de ses diverses communautés humaines.
À travers ces textes, les premiers contes littéraires
africains, je parle de ce que peu de lecteurs connaissent de l'Afrique
noire : la vie quotidienne, et la vie rêvée, l’histoire
réelle et celle occultée par les différentes
colonisations dont l’Afrique a été victime.
La savane, les cultures et les civilisations, la faune et la flore,
les hommes et les femmes dans leurs passions rencontrent ici l'écho
de leur inestimable valeur.
Ces écrits témoignent de l’originalité
et de la fertilité de l'imaginaire négro-africain. Les
forces vitales, les génies, les animaux, les êtres doués
de pouvoirs magiques, les féticheurs, les sorciers s'y côtoient.
J'offre ici un voyage entre le réel et l'irréel, le
naturel et le surnaturel, l'imaginaire et la raison.
La vérité de l'invisible, les mystères des sociétés
secrètes africaines, ainsi que des personnages my¬thiques
bantous s’incarnent dans une existence littéraire et
participent à la grande variété thématique
de la féerie africaine. Les couleurs, les symboles, dans ce
monde du merveilleux, apportent une touche inter-ethnique et multiculturelle.
Ces contes ne se rattachent pas à un pays, mais à l'ensemble
du continent africain. Ils s'adressent au lecteur avide d'évasion,
de merveilleux, de l'étrange, voire de l'extraordinaire.
Je voudrais vous transporter, comme un vent doux emporte les effluves
des fleurs, au pays des rêves magiques propres aux royaumes
de l'enchantement. Aussi n’est-il pas futile d’examiner
ensemble la place du conte dans les traditions littéraires.
La poésie m’autorise à exprimer les émotions
les plus intimes et les convictions les plus secrètes à
travers une vision qui n’en demeure pas moins une somme de réflexions
philosophiques sur la vie, la mort, l’homme et les soubresauts
des sociétés que j’ai pu rencontrer au cours de
ma vie.
En faisant croire à chaque être humain qu'il est un prince,
possédant les capacités et les chances de devenir roi,
le conte offre à chacun de nous une ambition dans la vie :
celle de se surpasser.
Mais quelle distinction établir entre un conte et une nouvelle
? La spécificité d'un conte est d'être féerique.
Le merveilleux est du domaine du conte et l'intelligible, de celui
du roman ou de la nouvelle. C'est la féerie qui le distingue
de tout autre genre littéraire, tel le roman, la nouvelle,
la fable, la légende. La nouvelle, elle, est concrète,
son sujet est en général emprunté à la
vie quotidienne. C'est en quelque sorte un récit journalistique
où il y a une mise en scène logique des événements
en respectant les normes de la vie, en inscrivant l'histoire dans
le cosmos. En outre, la nouvelle est temporelle, à la différence
du conte. Cette différence vaut également entre le conte
et le roman.
Et quant aux personnages, ceux du conte sont souvent doués
du pouvoir magique, extraordinaire et surhumain, ceux des romans et
de la nouvelle obéissent aux limites cognitives et physiques
de notre univers mental, sensoriel et spatial. D'autre part, la cosmogonie
du conte permet à la pensée humaine d'aller au-delà
de nos capacités réelles et spirituelles. C'est pour
cette raison que le conte entretient notre idéal, mais aussi
enrichit l’imaginaire populaire.
Celui du conte est indispensable à l'être humain. Il
entretient en l'homme le sens du rêve et l'aspiration de son
âme vers l'absolu. Ainsi, chaque être humain à
travers la lecture ou l'écoute du conte, entreprend un voyage
à l'intérieur de lui-même, voire au plus profond
de ses réminiscences. Donc, sans cette création littéraire,
l'humanité n'aurait jamais évolué au point d’atteindre
des civilisations aussi raffinées et impressionnantes que celle
de l'Égypte antique et de la Nubie. Reflet de la mémoire
collective constituée de nos us et coutumes, de nos mœurs
et de nos croyances, le conte en est le meilleur porteur. Aussi retrouve-t-on
en lui les modes de vie et de pensée de la population dont
il émane.
Cependant, le conteur renie la paternité du conte, arguant
que le récit qu'il présente lui a été
rapporté par un tiers. Il attribue ainsi en quelque sorte l'origine
du récit à l'ensemble de la communauté humaine
ou animale. Ce n'est pas le cas du romancier ni du nouvelliste qui,
eux, se présentent le plus souvent comme créateurs littéraires.
Tous deux utiliseront le vocable "je" alors que le conteur
dira toujours "il", c'est-à-dire "il était
une fois", ce qui est une manière évidente de récuser
toute paternité de l'histoire qu'il nous livre.
Le conte peut également naître d'un fait insolite, d'une
expérience de vie ou de l'imagination de l'auteur. Ce dernier
point rapproche le conte oral ou écrit de la production romanesque
ou de la nouvelle. Cette dernière est forcément individuelle
et souvent nombriliste.
La fable, elle, a une portée moralisatrice, tandis que le conte
ne recherche pas fondamentalement ce but. Au contraire, il tend à
initier le lecteur ou l’auditeur à la sagesse ancestrale
et universelle qui transpose la mythologie première des origines
de l'humanité. De là, cet humanisme profond qu’exprime
la philosophie exaltée par le conte en tant que genre littéraire
le plus proche de l'homme indépendamment de sa culture, de
son vécu et de son savoir intrinsèque.
La fable use des animaux comme des personnages imaginaires pour établir
la distance entre la réalité et la fiction, toutefois
aussi, elle se sert d'animaux comme alibi dans un élan de dérision
et d'humour. La fable est une critique sociale. La vérité
masquée est souvent une de ses raisons d'être. Le conte
est l'exaltation de l'imaginaire social. Dans la fable, on use de
l'humour, de la dérision pour mieux dénoncer les erreurs,
les incompétences et même les méfaits de gouvernants
face au peuple. C'est une satire sociale profonde quoique cachée
d’une société où règnent l'hypocrisie,
la tyrannie et l'arbitraire du monarque.
Le conte use aussi de l'humour et de la dérision, avec un objectif
différent, celui d'amuser et de distraire. Ce sont aussi les
buts de la fable. Quant à l'utilisation des animaux dans le
conte, ils interviennent comme des personnages réels, dotés
de qualités et de défauts, jouissant parfois de mêmes
aptitudes que les êtres humains. Ils peuvent dès lors
posséder des pouvoirs prodigieux et maléfiques sur la
vie de l'homme, sur sa destinée. Rôle qu'ils n'ont pas
dans les fables.
Dans le conte, il n'y a pas de moralité plaquée sur
le récit. Parfois, il arrive cependant qu'elle se dégage
d'elle-même, à l'insu du narrateur. Le décor varie
dans un conte oral, mais ne bouge plus dans un conte écrit.
Il s'inspire de ce qui est beau, surprenant et exceptionnel pour amplifier
et surpasser le réel. Le décor de la nouvelle ou du
roman est toujours réaliste, proche du quotidien.
La légende, par rapport au conte, transpose les mérites
du héros mythique. Elle sert principalement de support aux
croyances religieuses. Les mythes, les interdits et les vertus de
bravoure et d'héroïsme servent de toile de fond à
la légende afin de stimuler les rêves de l'esprit humain.
Le conte opère différemment, chez lui, le sacré
et le profane s'interpénètrent. Dans la légende,
seul le sacré est exalté, magnifié et accepté.
Le récit légendaire est lié au mythe qui vise
à promouvoir le côté extraordinaire des interlocuteurs.
Le but du conte vise à créer un idéal supérieur,
à rêver un dieu, un surhomme caractérisé
par la maîtrise de soi, la quête d'absolu et le dépassement
des forces naturelles. L’essence du conte est une vérité
surnaturelle et extraordinaire. Celle de la légende est souvent
un mensonge lié aux croyances populaires. Liée à
l'épopée, elle clame le patriotisme et les valeurs chevaleresques,
guerrières qui, en réalité, visent à asservir
l'individu au pouvoir mythique, à la nation et à l'autorité
de la tribu ou de l'État.
Et que dire de la poésie par rapport au conte ? La poésie
libère la parole de toutes les contraintes. C’est un
champ où se cultivent les libertés et les espérances,
un lieu de naissance pour les idées révolutionnaires.
C’est une matrice de prise de conscience et de quête d’identité.
Grâce à l’acte poétique, la liberté
d’un peuple commence par son divorce avec la peur qu’inspirent
souvent les systèmes politiques, idéologiques, financiers
et religieux.
La plus belle poésie nous transmet souvent la vie intérieure.
Celle de nos émotions fondamentales, de nos aspirations légitimes
et sacrées et de nos croyances les plus secrètes. Le
poète est le créateur du monde intérieur, mais
aussi de l’espace extérieur. Les sources d'inspiration
poétique sont liées au moi et au sur-moi. D'où
l'influence de la société et des rapports de l'individu
avec son milieu, dans le fondement de toute œuvre poétique.
La poésie est le haut-lieu de résistance de la parole.
C'est ce qui fait, justement, la particularité de chaque poète.
Ce dernier est comme le nouvelliste ou le romancier, l'homme du vécu.
Le conteur n'est que rarement l'homme du présent.
Pour en finir avec ces critères de différentiation,
j'ajouterai que le conte est toujours abstrait, imaginaire, populaire
et issu des souvenirs de la mémoire collective. La nouvelle
et le roman sont des récits personnels qui mettent en exergue
la vie, la vision et l’expérience de leur propre auteur.
Une nouvelle peut appartenir au genre fantastique, au monde de l’imaginaire
et de la féerie aussi. Le conte exprime l'idéal sublimé,
le merveilleux et l'imaginaire non-réalisable. La nouvelle,
elle, relate la vie, l'expérience, les souvenirs. Le conte
peut être oral ou écrit, mais la nouvelle, le roman et
la fable n'existent que lorsqu'ils sont écrits. La poésie,
comme le conte, peut être dite comme elle peut être écrite.
Ce point rapproche souvent la poésie de l'art de conter.
Le conte oral, par rapport au conte écrit, est avant tout un
récit qui appartient à la tradition populaire. Sa structure
le distingue du conte écrit parce qu'elle est malléable,
changeante et ouverte à toute modification et à tout
instant. La capacité de modifier le récit en cours de
narration permet des infidélités. Le conteur peut, durant
l'histoire, faire intervenir l'assistance dans le cours du récit.
L'imitation des personnages est aussi une deuxième caractéristique
du conte oral. Car le conte écrit ne permet pas d'imiter parce
que la structure est figée. L'imitation des personnages, des
cris d'animaux ou d'autres éléments naturels, tels la
foudre, la mer, le vent ou le tonnerre n'est possible que dans le
conte oral. Cela est exclu dans un conte écrit où l'on
doit respecter la structure, l'esprit et le décor imposés
par l'écrivain. Ainsi, l'improvisation qui laisse la place
aux ajouts est la caractéristique principale du conte oral.
Le conte écrit se distingue par son invariabilité, sa
fidélité, la rigidité de sa structure et la suppression
de l'improvisation, il impose la renonciation aux ajouts. Il fixe
la mémoire de manière définitive. Le décor,
la forme et le fond restent inchangés et inchangeables dans
le temps comme dans l'espace. Ce n'est pas le cas pour le conte oral.
Quant au conte, il me permet d’exprimer toutes les richesses
de l’esprit dont j’ai pu m’imprégner de la
naissance jusqu’à ce jour. C’est aussi le genre
à travers lequel je parviens à partager une part importante
de l’amour de l’autre, du fantastique et de l’étrange
avec le lecteur. Grâce au conte, l’humanisme devient une
réalité dans le patage des valeurs, des rêves
et des aspirations. Toutes les passions y trouvent leur expression
la plus sublime, comme dans la poésie. Ainsi, que j’écrive
de la poésie ou des contes, je me sens dans le même univers
de création. Les contes, c’est aussi le voyage vers un
ailleurs toujours plus magique et plus optimiste.
Toutefois, mes contes, comme la plupart des contes littéraires,
s’adressent aux hommes et aux femmes de tous les âges,
chaque catégorie trouvant, à travers les récits
spécifiquement adaptés à sa génération,
les éléments nécessaires à satisfaire
sa curiosité intellectuelle et humaine.
Lire le conte : Le grillon chanteur
Texte de Kama Sywor Kamanda
recherche Cécile Guivarch
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