Petits tours de champ
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CONTE 

Le grillon chanteur

Par-delà les villages, les lueurs roses cernaient les montagnes et les vallées. La ligne indigo de l'hori­zon donnait à l'œil nu l'illusion que le ciel s'achevait avec le coucher du soleil.

C'était un soir de grandes chaleurs. Le silence régnait.

Le grillon, comme d'habitude, faisait son cri-cri nocturne dans le champ. Or, un serpent qui dormait près de là le prit mal. Il se leva et sortit furieux de sa cachette. S'avançant sans faire de bruit, du côté d'où venait le chant, il aperçut sur un monticule terreux, un grillon, contre des feuillages, en train de crier hors de son trou :

- Griing ! Griing ! Griing !

- J'ai prêté l'oreille à tes élucubrations, l'apostro­pha le reptile, et j'ai entendu ton appel à l'affronte­ment : «Mort au serpent !»

- Il est temps que tu reprennes tes esprits, rétor­qua le grillon. Je ne chante pas : «Mort au serpent». Tu as dû mal interpréter mes propos.

- Tu m'as réveillé, dit le serpent, en exaltant ma mort. Je viens te défier.

- Je crois qu'il y a un malentendu, Griing ! Griing ! Griing ! C'est une invitation à la nuit, aux rêves et au sommeil pour les vivants, expliqua le grillon.

- Menteur ! C'est de la provocation ! Tu ne vas pas te moquer de moi très longtemps, affirma le serpent, fou de rage.

La dispute battait son plein. Le rat palmiste, gardien du village, vint à passer par là. Pressentant le danger, il conduisit les antagonistes jusqu'à la palabre.

Devant les juges, le serpent prit le premier la parole :

- J'étais dans ma maison et je dormais ! J'ai subitement entendu cet individu pousser un cri de guerre : «Mort au serpent», alors je suis sorti pour l'affronter dans un combat singulier.

Il était hors de lui et formulait des menaces. Il n'avait peur de personne.

Le grillon, extrêmement surpris d'apprendre ce que son voisin pensait de son chant, tenta de se défendre :

- Je suis né chanteur. Je suis créé pour bercer le repos du soleil, apaiser les tourments du jour et dire dans ma langue les clameurs de la nuit. Je ne crie pas : «Mort au serpent». Mon voisin, trop éloigné de mon terrier, a mal interprété mes inten­tions. J'annonce le crépuscule : si je ne le fais pas, nulle terre ne connaîtra le sommeil.

- Tu mens ! l'interrompit son adversaire.

- Je vous prie de me croire, supplia l’insecte.

Les juges ne l’écoutèrent pas et le con­damnèrent au silence. Ils avaient très peur du re­dou­table reptile qui montrait, lui, comme argument, sa méchante denture.

Pour le grillon, ce fut l'étonnement, la surprise, la douleur et la déception. Inconsolable, la mort dans l'âme, il ne se manifesta plus à la tombée du jour.

Ainsi, le soleil resta au zénith; le crépuscule disparut de l'univers, l'ombre et l'obscurité déser­tèrent la terre. Personne ne sut qu'il était temps d'aller dormir ! La nuit n'apparaissait plus.

Peu à peu, la peur et l'incertitude saisirent hommes, femmes et enfants. L'inquiétude augmen­tait. L'insomnie, l'attente désespérée du repos et la nervo­sité gagnaient chaque corps, torturaient chaque esprit. Les gens, très fatigués, s'évanouissaient les uns après les autres et plus personne n'avait envie de travailler.

La population, angoissée, fut plongée dans une grande stupeur. Elle croyait la fin du monde ar­rivée car le soleil ardent durait depuis des jours.

Le chef du village, mis au courant avec retard de ce que le grillon avait prédit, ne put retenir sa colère. Il se rendit, impatient, chez l'insecte incri­miné :

- Dis-moi, petit grillon, ton chant a-t-il un lien avec le coucher du soleil ?

- Je l'ai dit aux juges qui m'ont interdit de chanter. Maintenant, le monde est en émoi. C'est leur faute. Dans notre pays, celui qui possède la dent que l'on craint, fait la loi. Ainsi, je n'ai pu m'imposer. Les juges ont méprisé mon opinion.

- J'irai les trouver et je les remplacerai. Ce sont des incapables ! Toi, chante maintenant !

- D'accord, je vais le faire ! Mais à l'avenir, il faudra accorder aux habitants la chance de s'expri­mer et obliger les juges à écouter les deux parties.

Sitôt que le grillon eut poussé son premier cri, le soleil disparut à l'horizon. Les esprits de la nuit surgirent enfin des fourrés et des clairières. Les étoiles scintillèrent dans le firmament et toute la po­pulation s'endormit.

Depuis, l'équilibre demeure permanent entre le jour et la nuit.

Lire le conte selon Kama Sywor Kamanda

Texte de Kama Sywor Kamanda
recherche Cécile Guivarch

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Créé le 1 mars 2002

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