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Archives : Contes et chansons 

 

Novembre-Décembre 2020

 

Odeurs d’enfance

de Mireille Podchlebnik

 

(à propos du livre L’odeur du café de Dany Laferrière)

 

 

Le livre de Dany Laferrière « L'odeur du café » respire la poésie et l'arôme qui s'en dégage, lorsque sa grand-mère Da le prépare et le distribue généreusement aux visiteurs, fait affleurer les souvenirs d'enfance.

Je me revois au temps des repas familiaux pris dans la salle à manger de notre minuscule appartement du 46 rue René Boulanger à Paris et je me souviens de cet instant précis où, à la fin du repas, ma mère trempait délicatement un morceau de sucre dans sa tasse de café. Elle buvait son café très lentement et toujours de cette façon-là. Le sucre ne devait pas être laissé trop longtemps dans le liquide noir sous peine de s'écraser entre les doigts, se dissoudre et finir noyé. Elle le mouillait d'un geste bref et bien rodé puis savourait son canard avec délices, heureuse de ce moment de paix. La suprême récompense pour nous les enfants était de pouvoir en croquer un petit morceau car il allait de soi que le café n'était pas une boisson autorisée aux enfants. Pour le mériter, il fallait être suffisamment grands ou suffisamment sages.

Je me souviens de ces moments de douceur et de calme lorsque m'asseyant sur ses genoux à la fin du repas, elle me faisait l'honneur de partager son plaisir. Je trouvais un goût bien étrange à ce mélange, entre amertume et suavité. Mais trop fière d'avoir bénéficié de ce privilège habituellement réservé aux grands, je ne laissais rien paraître de mon étonnement et ravalais rapidement une grimace de dépit.

Je ne l'ai jamais vu moudre le café à la manière des grands-mères. Celles qui bloquaient entre leurs cuisses le célèbre moulin de bois Peugeot, le tenant d'une main tandis que l'autre tournait vigoureusement la manivelle jusqu'à écrasement complet des grains. La poudre ainsi obtenue était alors récupérée dans le petit tiroir de bois de ce bel objet dont j'ignorais à cette période l'existence.

Plus tard, devenue adulte, je me suis mise à collectionner ces moulins à café par nostalgie peut-être d'une vie de campagne et des grands-mères que je n'avais jamais eu. Les moulins bien alignés sur une étagère que je leur ai réservée dans l'appentis me racontent encore des histoires.

À la maison, on utilisait dans mon souvenir un moulin électrique qui faisait entendre un ronronnement plus ou moins saccadé. Ce bruit paraissait interminable lorsque j'aspirais au calme et essayais de prolonger ma nuit. Mais lorsque je me levais suffisamment tôt, je pouvais en grimpant sur une chaise atteindre l'appareil et appuyer très longuement sur le couvercle qui déclenchait la mécanique. Faire comme une adulte et provoquer autant de vacarme m'emplissaient d'une grande joie. Le café était moulu à la perfection lorsque j'arrêtais la pression, les doigts quasiment meurtris !

La poudre de café était ensuite déposée dans le réceptacle de la cafetière de métal sur lequel on versait progressivement et délicatement l'eau bouillante de manière à éviter tout débordements... Une bonne odeur de café se répandait bientôt dans tout l'appartement.

Il fallait aussi chauffer le lait et je me souviens de cet objet plat et arrondi en verre posé au fond de la casserole dont le claquement signalait que le liquide allait bientôt bouillir. Ce bruit indiquait le moment propice pour arrêter le feu avant que le lait ne s'échappe et ne se déverse sur la cuisinière.

La boisson matinale des enfants, servie dans un grand bol, comportait un mélange de café additionné d'une bonne dose de lait. Le lait laissait parfois en surface une peau épaisse que je voulais à tout prix retirer tant sa consistance me dégoûtait. Dans notre café au lait, réputé aujourd'hui comme peu digeste, voire toxique selon les tendances, on trempait avec délices un morceau de baguette bien croustillante et généreusement beurrée. Le dimanche était à l'occasion le jour des croissants que mon père ou ma mère nous ramenaient de la boulangerie située à deux pas de la maison, rue de Lancry et que plus tard nous leur apporterions à notre tour.

Je ne savais pas alors que ces petits riens du quotidien avaient tant d'importance, je les prenais comme allant de soi et jusqu'à la lecture de ce livre, jamais je n'avais ressenti aussi fortement ce goût de mon enfance…

 

©Mireille Podchlebnik

22 mars 2020


Nous avons accueilli Mireille Podchlebnik à plusieurs reprises, en voilà un bref rappel : sélection de mars 2016, groupage Francosemailles de janvier-février 2018, poèmes en accompagnement d’une exposition de Sophie Hassoun-Beghin à Sanary-sur-Mer en novembre-décembre 2018.

 

 

Mireille Podchlebnik

Francopolis novembre-décembre 2020

 

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Créé le 1 mars 2002

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