Novembre-Décembre 2018
Mireille Podchlebnik
et Sophie Hassoun-Beghin
à Sanary-sur-Mer :
L’exposition de l’exil

La presse locale présentait
ainsi cet événement exceptionnel : « Entre le 8 et le 19
septembre, dans la cadre de la fête des traditions, la Maison Flotte a
reçu une passionnante exposition, mêlant les poèmes de Mireille Podchlebnik et les
œuvres de Sophie Hassoun-Beghin
autour de l’exil. La première adjointe Patricia Aubert rappellera la
longue histoire de Sanary avec les exilés : « Notre commune
est devenue entre 1933 et 1944, le point de rencontre d'écrivains et
d'artistes célèbres fuyant le régime d'Hitler », en faisant
ainsi la « capitale mondiale de la littérature germanophone ».
Comme le soulignera Sophie Hassoun-Beghin : « La commune a
conservé cette longue tradition, continuant à accueillir les artistes et
conservant cette ouverture vers les autres ». Les visiteurs ont
pu apprécier le subtil travail de ces deux artistes, entre devoir de
mémoire et mise en lumière du sens de l’exil. » (Sanary - Culture, samedi 22 septembre 2018).
En fait, ce fut bien plus
qu’une exposition : une œuvre de collaboration étroite, sur le plan
esthétique et émotionnel, entre deux artistes, la poète et la
plasticienne, portée à la reconnaissance du public à la veille, presque,
de la grande séparation qui allait figer leur amitié dans l’intemporel,
puisque Sophie Hassoun-Beghin, souffrante, allait quitter ce monde le 19
octobre.
Je remercie Mireille ainsi
que la famille de son amie pour avoir accepté de me confier les photos
des quelques tableaux de Sophie Hassoun-Beghin reproduits ci-dessous,
tout comme de l’ensemble de l’exposition, permettant ainsi d’offrir aux
lecteurs de Francopolis une belle visite virtuelle, en guise d’hommage et
de reconnaissance pour l’effort de mémoire que cette entreprise a
représenté pour les auteures. Partager l’exil, ce thème universel,
toujours actuel, toujours ancré dans la mémoire des descendants d’exilés,
c’est partager un signe indélébile, somme toute, de la condition humaine.
D.S.
Présentation du projet par les auteures

« Plusieurs séjours dans la région de Sanary nous ont
menées à explorer le parcours de mémoire mis en place par la
municipalité.
En particulier, l’histoire des artistes qui ont fui le régime
nazi dès le début des années 30 et ont trouvé dans cette ville refuge
et inspiration, a fait résonance avec notre propre histoire.
De cette découverte, étayée par la lecture d’auteurs relatant
leur fuite, leur exil et pour certains leur internement dans les camps
du sud de la France, est née l’envie de participer à notre façon à la
transmission de cette mémoire. »
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Parcours général de l’exposition








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Focus sur quelques poèmes et tableaux
Sanary-sur-Mer
Pour Manfred Flügge
Mer bleu azur
Manteau de brume
Le ciel ouvre le
crépuscule
Vagabondages
Formes insolites
Les
nuages
Tracent
Des cocons de
lumière
Ondes
solitaires
Marées éphémères
Au feu des arbres
secs
Une pluie
d’étincelles
Tombe sur la mer
Entre les pointes
de la Cride
Et de la Tourette
Une
plage
Émerge de la paroi
rocheuse
Havre
de paix
Le soleil écarlate
Se meurt
Et le murmure des
étoiles
Est le chant
De l’exil en
méditerranée

Exil
Je porte en moi
Le lourd mystère
La peine des exclus
A jamais disparus
Dans les plaines de
l’Est
Et les forêts
glacées
L’oiseau frissonne
Et son chant
lancinant
Exhume les traces
du passé
Je porte en moi
La chaîne des
esclaves
Titubants et
transis
Sous le joug
récurrent
Des haines
séculaires
Je porte en moi
L’incertitude
Sans attaches et
sans patrie
Les racines brisées
Par l’absence des
morts
Sans sépultures
L’écriture est un
naufrage
Où s’écueillent les jours
Les pays désertés
Et les rêves
obscurs
Le cheminement
perpétuel
De la mémoire en
exil
Extrait
de Passeur de sens,
Éditions En forêt
/Verlag Im Wald, 2007

Les
exilés
Ils portaient copeaux
Et guenilles
Et leurs rêves de liberté
Ils marchaient
toujours plus loin
aux confins
des solitudes
L’infortune
enfouie
au plus profond
de la honte
et du désarroi
Ils étaient
compagnons d’espérance
Dans leurs regards
Brillaient les étoiles
et le reflet de nos âmes
Ils étaient vous
Ils étaient moi
mai 2018

Balades en
méditerranée
Beauté du ciel
Une escale
Soleil de traverses
Le temps d’un
voyage
Dans le bleu
confondu
De la mer et du
ciel
Une ligne laiteuse
À l’horizon
s’installe
Surplombant
Les criques
escarpées
Les arbres penchent
Sous le fardeau
du temps
Figuiers et pins
odorants
Accompagnent
les balades
A travers vignes
A travers bois
S’égarer
Dans les sentiers
Se nicher dans un
lit
De verdure
S’enivrer de cistes
Un papillon entame
Une danse du vent
Chaleur ardente
et chant des cigales
Monotone et
lancinant
Dans le port
Les bateaux
sommeillent
Au loin
Voiliers
Suspendus
Au frémissement de
la mer
22 Décembre 2017


Mémoires
Mémoires des marées
Lointaines
Le vent danse sur la grève
Dans une parabole
Se déroule
La trame indicible des rêves
Les rivages emportent
Les souvenirs
De tous les voyageurs
Sans visage
Marche invisible
Marche de l’ultime
En silence leurs pas
S’esquivent
Au bord de l’eau
Les absents
Parés de longs manteaux de brume
Façonnent le crépuscule
Le souffle à la dérive
Je sillonne
Les méandres de leurs existences
Je me nourris de leur lumière
Je suis
Le Passeur de sens
Extrait de Passeur de sens,
Éditions En forêt /Verlag Im Wald, 2007

Voyageur
Voyageur infatigable
Sans âge et sans visage
Tu erres sur la grève
Au hasard de tes rêves
Ta route comme un miroir
Traverse le temps
Ivresse et solitude
L’asphalte te
contemple
Au gré de tes rencontres
Tu croises dans les villages
Des regards où l’attente
S’étoile dans la nuit
L’espérance te guide
Compagnon de l’exil
Ton errance est infinie
Extrait de Passeur de sens,
Éditions En forêt /Verlag Im Wald, 2007
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Textes de Mireille Podchlebnik
Installations, collages et peintures de Sophie Hassoun-Beghin
Mireille
Podchlebnik,
née
à Paris en 1956, est issue d’une famille d’origine polonaise et
ukrainienne. Engagée depuis de nombreuses années dans un travail de
recherche historique et généalogique, elle relate dans ses écrits, à
travers la poésie, la trajectoire de sa famille marquée par la Shoah.
Elle a publié des poèmes dans des
revues (Intervention à Haute
Voix, Recours au poème, Poésie sur Seine,
Soc et Foc, Comme en poésie) et plusieurs recueils, dont Mosaïques, éditions IHV, 2014, Tailleurs pour femme, La Porte, 2014.
Présence à Francopolis : coup de cœur novembre 2013, juin 2016, sélection d’auteurs de mars 2016 (avec une présentation),
poèmes dans la rubrique Franco-semailles de janvier-février
2018.
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Sophie Hassoun-Beghin est née à Paris en
1959. Après un passage par Constantinople, sa famille paternelle
d’origine arménienne traverse le Bosphore pour arriver jusqu’en France.
Sa création artistique, nourrie par cette histoire, s’exprime à travers
la réalisation de sculptures qui mettent en scène personnages et
fantômes. Elle a créé son « Radeau de la méduse »
représentant le sort malheureux des migrants franchissant la Méditerranée.
Ses autres formes
d’expression, collages et peintures, sont une libre interprétation et
transformation du monde qui l’entoure. Ses œuvres ont fait l’objet de
plusieurs expositions et d’un travail collaboratif avec d’autres
artistes : graveurs, sculpteurs et poètes (voir le
site : https://www.instagram.com/sophbeg/).
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Francosemailles
novembre-décembre 2018
Recherche :
Dana Shishmanian
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