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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

Novembre-décembre 2022

 

 

 

Dans la nuit de l’amour.

 

Poèmes de Hafid Gafaïti / peintures de Rini Ferhi

 

 

(*)

 

 

 

les étoiles

j’ai veillé les étoiles

parfois si près

que j’ai failli en perdre la vue

et elles devenir veuves

 

comme chaque berger

délaissé par la mer

je me suis consolé

de miel et de silence

 

trahi par tous les saints

ayant épuisé chaque livre

ne me reste-t-il

que les lèvres diaphanes de ta nuit

 

***

 

 

la femme de sable

du miel et des baisers

blessures et larmes

sous sa chemise de nacre

le jour à ses pieds

 

elle ignore trésors et guerres

flottant au-dessus du monde

sa voix son souffle sa caresse

rendent jalouses roses et légendes

 

quand au crépuscule qui halète

ses amants le désespoir épousent

elle s’élance vers les dunes

épargnant seuls les égarés les poètes

 

***

 

 

l’éveil

quand vient le soir

mon cœur s’ouvre à nouveau

avec mon amie

je mange je bois célèbre l’Un

 

oh sages et bourreaux

pourquoi aurais-je peur de la vérité

laissez-moi caresser l’oubli

je sais que je mourrai demain

 

depuis toujours les étoiles tombent

et d’autres mondes se créent

de la poussière aux fleuves

jusqu’à la naissance de l’été

 

j’ai assez vécu lutté et cherché

pour n’avoir ni idoles ni maîtres à servir

dans la nuit de l’amour je dors

je ne sais où je vais me réveiller

 

***

 

souveraine

lumière tactile de l’aube

avant que tes mains n’inventent le soleil

et que le vent entre tes lèvres naisse

 

nous n’avions pas besoin de dieux

et vivions sans les anges alors

 

***

 

 

l’île promise

armure impeccable

œil de paon

grisé

en ce corps ouvert

bouche nue

vers l’île

promise

 

guerre du temps

de la barque

contre la plage

le cri

à l’aube de la peau

de la blessure

et de la vérité

 

***

 

 

 

the beloved (1)

i woke up yesterday

with my beloved

i did not look at the sun

the moon i ignored

 

why would i need

to worship the stars alone

while her skin covers my body

her eyes with summer bathe me

 

la bien-aimée

je me suis réveillé hier

avec ma bien-aimée

je n’ai pas regardé le soleil

la lune j’ai ignoré

 

qu’ai-je besoin

d’adorer les astres seul

alors que sa peau couvre mon corps

ses yeux me baignent d’été

 

***

 

 

le poète triche

entre la lumière et l’eau

les astres ruissellent

dans le cœur de la nuit

et naît toute la souffrance

 

transi entre les mensonges de l’hiver

et la mémoire de l’argile

pour sauver sa peau

le poète triche

 

***

 

 

back to Greece (2)

in the time of your love

when the sea covered the stars

and the paths spoke to the island

there were shepherds and sailors

singing to the rhythm of our pace

 

in the time of your words

i followed the dreams of grass

as we walked facing the waves

age and flesh didn’t matter then

and dawn had a new gaze

 

in the feast of your joy

the world had no limit

i traveled with very little

carrying only your pearls

and the tears of the stars in my bag

 

retour en Grèce

au temps de ton amour

quand la mer couvrait le ciel

et les sentiers parlaient à l’île

il y avait des bergers des marins

qui chantaient au rythme de nos pas

 

au temps de tes mots

j’ai suivi les rêves d’herbe et de rosée

tandis que nous marchions face aux vagues

l’âge et la chair ne comptaient pas alors

et l’aurore avait d’autres yeux

 

dans la fête de ta joie

le monde n’avait pas de limite

je voyageais avec très peu

emportant seulement tes perles

et les larmes des étoiles dans mon sac

 

***

 

 

 

lotus kiss (3)

always

on the path of love

the sage fails

 

but

your embrace is holier than power

your silence warmer than truth

 

baiser de lotus

toujours

sur le sentier de l’amour

le sage échoue

 

mais

ton étreinte est plus sainte que le pouvoir

ton silence plus chaud que la vérité

 

***

 


 

l’attente

je ne fais que traverser

rues armes baisers païens

et de la ville

les bruits les voix

 

sous le fleuve

racines voyageuses

sur le pont

formes d’aujourd’hui

enceintes de demain

 

rempart contre le ciel

ou stigmate rauque de l’étreinte

les oiseaux vivent et meurent

pour ton regard pour ta soie

 

***

 

 

secret garden (4)

i know the desert

as you know my heart

i stared at the stars

from the top of your wound

 

jardin secret

je connais le désert

comme tu connais mon cœur

j’ai fixé les étoiles

du haut de ta blessure

 

***

 

 

 

Jewish song II (5)

this woman is a modern heroin

every day she goes to work

nourishes her children with more soul

and the streets with her resolute pace

 

when we meet and she reads to me

her love story with Saint John of the Cross

i find it hard to wait for the day

when i’ll wear the fire of her world

 

and i can’t wait for the time

when she tells me again

about how she and Salomon loved

and we all wrote the Song of Songs

 

chanson juive II

cette femme est une héroïne

tous les jours elle va au travail

nourrit ses enfants avec plus d’âme

et les rues avec son pas résolu

 

quand on se rencontre et qu’elle me lit

son histoire d’amour avec Saint Jean de la Croix

j’ai du mal à attendre le jour

je m’habillerai du feu de son monde

 

et je ne peux attendre le moment

elle me racontera encore

comment elle et le roi Salomon ont aimé

et nous avons tous écrit le Cantique des cantiques

 

***

 

 

amours voyageurs

me réveillerai-je au matin

les bras noyés dans ta chevelure

jaloux des oiseaux qui s’y cachent

des psaumes qui s’y récitent

 

je cours épouser tes yeux

avant les mots sur tes lèvres

quand ta main me guide

et tes poèmes me caressent

 

ton parfum arrimé à l’été

ton corps saint et doux

je poursuis ma route

sur l’éveil de ta peau

 

à l’aube ou dans le creux de la nuit

quand les hommes prennent peur

de la terre aux étoiles

nous suivons le chemin

 

 

© Peintures Rini Ferhi / © Poèmes Hafid Gafaïti (juillet 2022)

 

(1) (2) (3) (4) (5) Ces poèmes écrits originellement en anglais sont traduits en français par l’auteur.

 

 

 

(*)

 

Hafid Gafaïti est une voix poétique majeure, une voix mémoire, une voix racine, mais également une voix espoir et transcendance, celle de la confiance.

Une volonté d’ériger une passerelle entre l’Occident et l’Orient pour lutter contre l’obscurantisme et l’ignorance.   

La poésie, aujourd’hui plus que jamais, est un état d’urgence, une nécessité humaine, un acte à échelle d’homme lui restituant sa grandeur.

Hafid Gafaïti le confirme, l’univers, la nature sont garants de sagesse et nous replacent, grotesques que nous sommes, face à nous-même, alors qu’un grain de sable porte l’éternité et pour le poète, peut donner naissance à ses mots au-delà du non-dit, du non-évoqué.

Il arrive parfois que le langage d’Hafid Gafaïti nous entraîne dans un labyrinthe au risque de nous égarer afin de mieux nous retrouver.

Certains de ses textes contiennent la densité initiatique d’un haïku mais ne nous y trompons pas, il est plus délicat de toucher à l’essentiel que de sombrer dans le piège du dithyrambe. 

Il est inutile parfois de prétendre nommer, Hafid Gafaïti le sait : « La terre était précieuse elle n’avait pas de nom »  

Discrète, la femme est bien présente dans l’œuvre de notre poète car il la sait porteuse de l’annonciation des mots de demain, ceux d’un devenir possible, que seul l’homme simple saura comprendre.

Hafid Gafaïti sait et se méfie de la « vanité lucide de la poésie », c’est bien pourquoi il n’en préserve que l’essentielle substance, tout en étant conscient qu’il convient de demeurer dans la prudence des mots.

En homme sage, il reste attentif à la prophétie, au silence, à la flamme de chandelle si chère à Gaston Bachelard, ce merveilleux philosophe des poètes.

En passant par Jérusalem, Hafid Gafaïti rencontre symboliquement Bouddha au cœur de trois monothéismes de la discorde, alors il ferme les livres de la prière, des pleurs, des litanies, des lamentations et des promesses non tenues de l’insoutenable mensonge.

Chacun de ses textes pose la question du sens de l’existence, de la crédibilité du dit, du verbe dans un monde où tout n’est que falsifications.

Notre poète alors veut : « oublier les humains pour les aimer à nouveau. »

Chez Hafid Gafaïti, pas un mot de trop, les textes sont ciselés, polis, afin d’en mieux révéler l’intime de leur éclat, c’est une poésie qui exige de son lecteur d’être méritée, d’être perçue, d’être décryptée, elle ne s’offre pas comme une dévergondée, il faut la courtiser, c’est le prix de l’amour qui se doit d’être respecté et glorifié.

Cet amour s’appelle Poésie et c’est bien ce que vous êtes venus partager ici avec Hafid Gafaïdi, tout en sachant que l’acte de poésie est une respiration de l’âme et son élévation vers l’humanité et l’universel.

 

Michel Bénard

Lauréat de l’Académie française

 

Faire connaissance avec l’œuvre poétique de Hafid Gafaïti: aux éditions L’Harmattan ; aux éditions Al Manar.

  

***

 

Rini Ferhi, peintre et dessinatrice, est une artiste singulière et authentique, elle est une instinctive qui travaille dans la réalité et le vif du sujet. D’esprit humaniste, elle est toujours fascinée pour le mystère de l’homme, l’élément humain, saisir le corps, capter l’invisible, traduire les intériorités, dépasser la notion esthétique, pour mieux aborder la vérité. Car la beauté n’est pas toujours là où l’on croit, il faut savoir en découvrir le fil caché.

L’univers féminin prédomine, le mystère du corps de la femme se révèle sous le crayon ou le pinceau de Rini Ferhi, cependant elle peut travailler à partir d’éléments masculins avec autant de conviction. Notre artiste a ce don particulier du dessin, son trait est précis, spontané, par sa vivacité il touche à l’essentiel, rien de superflu, rien de peaufiné, le trait doit rester dans l’intention du geste, en cela nous pourrions songer à partir de cette écriture graphique à Egon Schiele, la délicatesse et la sensualité en plus, aucune provocation chez notre amie, simplement la métamorphose du beau. La vie tout simplement comme elle s’impose à nous, la femme reine dans son élément naturel.

Ce n’est pas un hasard si notre créatrice a déjà exposé avec de grands artistes de renoms

Oui, il nous faut retenir la maitrise de son art, sa technique qui est le plus souvent du marouflage. Elle introduit dans ses travaux divers éléments, le sépia, la brou de noix, le café, le chocolat, etc.

Rini Ferhi transpose les rêves dont elle a besoin pour nourrir ses créations, elle s’évade, croque la vie, et offre de l’amour en restituant une beauté purifiée.

Comme tous les artistes, Rini Ferhi a ses coups de passion, il est évident qu’elle porte un regard particulier sur l’art flamand et ses incontournables merveilles. Mais ce sera sur une petite anecdote chargée d’humour que je conclurai. Un de ses peintres et maitres de cœur est Rembrandt qu’elle affectionne particulièrement, et avec un petit sourire narquois, elle me dit : « Regarde mon R, tu vois je signe comme Rembrandt…/… » En attendant, nous ne pouvons que nous incliner devant son vrai talent à dimension humaine. Je reprendrai l’expression d’une amie poète franco-allemande Rome Deguergue, qui dirait : « Humain, trop humain ! »

 

Michel Bénard

Lauréat de l’Académie française

 

 

 

Créaphonie : Hafid Gafaïti / Rini Ferhi

Francopolis, nov.-déc. 2022

Recherche Dana Shishmanian

 

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Créé le 1 mars 2002