Ici commence
Ailleurs s’achève
ICI
est
Là vient
s’approche
Mots du silence pour
rejouer
ceux
qui jamais ne furent
̶ n’ont
pu jaillir dans la parole
Lumière en nous demeure
même
en l’ombre
EST
ce
qui ne s’éteint pas
Nous lui donnons notre
regard
comme
au dessin sa couleur
la
matière fugitive
d’un
trait de craie

Feuillées nocturnes
De l’obscur
s’écoule
sous les feuilles jaunies
Nous poursuivons la source
L’ombre portée des mots a
glissé sur le sol
Échappée du réel en elle
rien ne pèse
Elle est la plume ôtée de l’aile
l’envol
et la chute
̶ d’un même instant fugitif
Solitude provisoire
où
rien ne tient ni ne sombre
Solitude passagère
des
nuits et des aubes
que
sauve le poème
comme
un premier jour
Sauve
aussi cette peinture
de
flaques souillées de terre
De petites ombres dessinent
la
trace de nos pas
̶ empreintes
de vies
sèves
passagères

Les eaux bleues
Chemins
jamais
affranchis du monde
tracés
contre une haie d’absences
Chemins fidèles résistants
Les jours s’allongent avec
leurs ombres
Les nuages changent nos
regards
Entre les roseaux des oiseaux tissent
des
nids comme des cages
Au risque du chemin
la
flamme roide des rives
Les distances enjambent le
temps
Ce qui part est sans mesure
̶ rayon
de lumière dans l’atelier
Les jours
se
comptent à rebours
Les nuits font le tour des
images
Le matin s’affaire à ses devoirs
L’hiver s’est emparé du
cœur
Une brume traverse la rue
froide
À la fenêtre close
toute
la buée du monde
Dans l’atelier
une
peinture en cours

Branche de givre
Une fine poussière
sur
la toile
comme
laissée à mûrir
C’est un pan de mur
qui
ouvre tout à coup
des
perspectives
Nous sommes l’argile du
rêve
que
nous cherchons à peindre
La lumière serait une porte
de sortie
Les fleurs cet hiver n’ont
pas gelé
ont
fait avec nous ici ou là
en
silence
serment
d’espérance
Attente
sans nom
sans
mots ni images
Nul paysage ici
nul
vert d’herbes ou de feuillages
Un vent pousse formes et
couleurs
dans
un puits de clarté
C’est un lieu ouvert et béant
̶ un temps vide au regard
Ne pouvoir prendre
pied
nulle
part ailleurs que sur la toile
(ce
miroir du souffle)
avec
les mains prises
dans
l’écheveau du poème
la
pulsation des gestes
qui
signent l’âme

Courbe
de rive
Mouvements
d’un songe
emprise
d’un fleuve
sans
appartenance
Fleuve de peinture qui
tente
de
perdre la figure
pour
saisir les passages
Lieu de peinture ce corps étrange
où
naissent les formes
où
se perdent les mots
en
leurres et couleurs fugitives
offertes
aux rivages
̶ pour noyer les
apparences ?
Tout
ce qui retombe
dans
sa solitude native
peut-être
plane un instant sur nos vies
puis
s’avance dans la nuit
de
l’autre côté de nos rêves
dans
la chambre ardente où corps et images
se
mêlent ou se séparent
De ce monde aussi fugace
qu’un
feu d’herbes
venir
au jour c’est porter l’aube
à
son incandescence
̶ oublier
le mourir
Les mots se meuvent entre nos mains
Les yeux regardent sans
comprendre
Ils aiment ce qu’ils oublient de vivre
ils
vivent ce qu’ils ont perdu

Éclats de glycine
L’instant se redresse
contre
les briques de l’enfance
La toile est un champ de
batailles
Aux plus hautes
graminées
à
la beauté accordée à l’azur
à
tout ce sable que la source remue
à
tous ceux que nous avons
perdus
nous
vous aimons dans ces reflets
à
la façon des oiseaux
intercesseurs
des passages
nous
vous aimons
sur
l’aile lumineuse des matins
Esquisses
à peine
ces
ombres lamées d’ajours
cette
part de ciel entre les toits
le
fleuve à l’horizon ces jardins
suspendus
ces
pierres de méditations
qu’un
rien efface
ou
allège
Esquisses d’arbres
Lignes fuyantes du fusain
Tracés d’un seuil
insoupçonnable
Nous avons longtemps marché
longeant
le fleuve
effleurés
par moindre végétal
Notre regard portait loin
Aujourd’hui en quelques traits
nous
contemplons l’immense
sur
une unique trace
Nuit de vent
frôlements échos
claquements
dans
la maison sous les portes
sous
les fenêtres
̶ un vent errant
Pluie fluide du poème
entre
les branches
des
phrases et du silence
Au fond du sommeil
même
là dans le lit abrité du vent
à
rebours du fleuve du temps
l’absence l’attente le suspens
̶ rafales
de notre ciel intérieur

Le nid
À
la source du ciel
le
silence d’un dieu
Les sternes sont de retour
sur
les langues de sable
Musique d’eau et de
naissances
Le vent souffle épure le visible
On oublierait presque le
temps
d’avant
les mots
pour
un lieu fait de regards
On oublierait le monde
s’il
n’était si présent
dans
la maison du silence
Sur la toile
l’air
passe entre les formes
Le corps se laisse ouvrir
par le regard
La lumière change avec le
monde
la
toile selon ma confiance
en
dépit du désordre des jours
Nous allons
puisque
rien n’est égal
et
notre chemin n’est qu’à suivre

Fleuve
en feu
Devant
la fenêtre
la
rue vide et ses lignes de fuite
Le regard découvre
l’absence
Dans le silence du monde
plus
un seul visage d’homme
L’espace est nu
Nous brûlons nos peurs
au
feu de la distance
derrière
des portes closes
Les herbes les pierres nous attendent
et
le silence à fleur de terre rejoint
l’air
bu
par le fleuve
À l’abri dans nos
corps
se
défont nos savoirs
Douceur grise
le temps
d’une image effacée
une
sorte d’ombre s’échappe
de son
dessin
Gestes de lenteur
blanchissent
nos peines oisives
Les mots neigent dans
l’obscur
Sur le lin de la toile
des mots
blancs sans parure
veillent
sous le charbon des ébauches

Lianes d’ambre
Volutes
de
lumière dans la chambre
Nos mains éveillent des oiseaux
des
levées d’herbes soyeuses
et
perles douces
Le soir les mots restent sur la toile
collés
sous des feuillages d’ombres
et des
averses de gris
Migrations
Les mots du poème se défont des
images
La nuit descend
et nous
délivre
© Marie Alloy
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