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graphiques empreintes de poésie

ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

Novembre-décembre 2022

 

 

 

DEMEURES DU FUGITIF

 

Poèmes et tableaux de Marie Alloy

 

Chaque jour, une phrase suffirait

si elle éclairait la journée.

 

Paul de Roux

AU JOUR LE JOUR

 

 

17 petits hors-temps inédits, suscités par le confinement de 2020, accompagnés par 8 peintures à l’huile sur toile de Marie Alloy, Format 130 x 97 cm, 2021-2022. (Droits réservés - ADAGP)

 

(*)

 

 

Ici commence

 

Ailleurs s’achève

ICI est

 

   vient 

s’approche

 

Mots du silence pour rejouer

ceux qui jamais ne furent

̶  n’ont pu jaillir dans la parole

 

Lumière en nous demeure

même en l’ombre   

EST

ce qui ne s’éteint pas

 

Nous lui donnons notre regard

comme au dessin    sa couleur

la matière fugitive  

d’un trait de craie

 

Feuillées nocturnes

 

De l’obscur

 

s’écoule sous les feuilles jaunies

Nous poursuivons la source

 

L’ombre portée des mots a glissé sur le sol

Échappée du réel   en elle   rien ne pèse 

Elle est la plume    ôtée de l’aile

l’envol et la chute  

̶  d’un même instant fugitif


 

Solitude provisoire

 

rien ne tient   ni ne sombre

Solitude passagère

des nuits et des aubes

que sauve le poème

comme un premier jour

 

Sauve aussi cette peinture

de flaques souillées de terre

 

De petites ombres dessinent

la trace de nos pas

̶  empreintes de vies  

sèves passagères


 

Les eaux bleues

 

Chemins

 

jamais affranchis du monde

tracés contre une haie d’absences

Chemins fidèles     résistants

 

Les jours s’allongent avec leurs ombres

Les nuages changent nos regards 

 

Entre les roseaux   des oiseaux tissent

des nids     comme des cages

 

Au risque du chemin 

la flamme roide des rives

Les distances enjambent le temps

Ce qui part est sans mesure

 

̶  rayon de lumière dans l’atelier


 

Les jours

 

se comptent à rebours

Les nuits font le tour des images

Le matin s’affaire   à ses devoirs

 

L’hiver s’est emparé du cœur    

Une brume traverse la rue froide

 

À la fenêtre close

toute la buée du monde

 

Dans l’atelier

une peinture en cours

 

Branche de givre

 

Une fine poussière   

 

sur la toile

comme laissée à mûrir    

 

C’est un pan de mur

qui ouvre tout à coup 

des perspectives

 

Nous sommes l’argile du rêve

que nous cherchons à peindre

 

La lumière serait une porte de sortie

 

Les fleurs cet hiver n’ont pas gelé

ont fait   avec nous   ici ou là     

en silence  

serment d’espérance


 

Attente sans nom

 

sans mots    ni images

Nul paysage ici

nul vert d’herbes ou de feuillages

 

Un vent pousse formes et couleurs

dans un puits de clarté

C’est un lieu   ouvert et béant

̶  un temps vide au regard

 

Ne pouvoir prendre pied 

nulle part ailleurs   que sur la toile     

(ce miroir du souffle)

 

avec les mains prises

dans l’écheveau du poème

la pulsation des gestes

qui signent l’âme

 

Courbe de rive

 

Mouvements d’un songe

 

emprise d’un fleuve

sans appartenance

 

Fleuve de peinture qui tente

de perdre la figure

pour saisir les passages

 

Lieu de peinture   ce corps étrange

naissent les formes  

se perdent les mots

en leurres et couleurs fugitives

offertes aux rivages

 

̶  pour noyer les apparences ?


 

Tout ce qui retombe

 

dans sa solitude native

peut-être plane un instant sur nos vies

puis s’avance dans la nuit

de l’autre côté de nos rêves

dans la chambre ardente où corps et images

se mêlent ou se séparent

 

De ce monde aussi fugace

qu’un feu d’herbes

venir au jour   c’est porter l’aube

à son incandescence 

̶  oublier le mourir

 

Les mots se meuvent   entre nos mains

Les yeux regardent sans comprendre

Ils aiment   ce qu’ils oublient de vivre

ils vivent   ce qu’ils ont perdu


 

Éclats de glycine

 

L’instant se redresse

 

contre les briques de l’enfance

La toile est un champ de batailles   

 

Aux plus hautes graminées 

à la beauté accordée à l’azur

à tout ce sable que la source remue

à tous ceux   que nous avons perdus 

 

nous vous aimons    dans ces reflets

à la façon des oiseaux 

intercesseurs des passages

 

nous vous aimons

sur l’aile lumineuse des matins

 

Esquisses à peine

 

ces ombres lamées d’ajours

cette part de ciel    entre les toits

le fleuve à l’horizon    ces jardins suspendus

ces pierres de méditations

qu’un rien efface  

ou allège

 

Esquisses d’arbres

Lignes fuyantes du fusain

Tracés d’un seuil insoupçonnable

 

Nous avons longtemps marché

longeant le fleuve 

effleurés par moindre végétal

Notre regard portait loin

 

Aujourd’hui   en quelques traits

nous contemplons l’immense

sur une unique trace

 

Nuit de vent

 

frôlements   échos   claquements

dans la maison   sous les portes  

sous les fenêtres

̶  un vent errant

 

Pluie fluide du poème  

entre les branches    

des phrases   et du silence     

 

Au fond du sommeil  

même    dans le lit abrité du vent     

à rebours du fleuve   du temps   

l’absence     l’attente    le suspens

 

̶  rafales de notre ciel intérieur


 

Le nid

 

À la source du ciel

 

le silence d’un dieu

 

Les sternes sont de retour

sur les langues de sable

 

Musique d’eau et de naissances

Le vent souffle   épure le visible 

 

On oublierait presque le temps 

d’avant les mots

pour un lieu fait de regards

 

On oublierait le monde  

s’il n’était si présent

dans la maison du silence


 

Sur la toile

 

l’air passe entre les formes

Le corps se laisse ouvrir par le regard

 

La lumière change avec le monde

la toile    selon ma confiance

en dépit du désordre des jours

 

Nous allons 

puisque rien n’est égal

et notre chemin n’est qu’à suivre


 

Fleuve en feu

 

Devant la fenêtre

 

la rue vide et ses lignes de fuite 

Le regard découvre l’absence

 

Dans le silence du monde

plus un seul visage d’homme

L’espace est nu

 

Nous brûlons nos peurs

au feu de la distance

derrière des portes closes

 

Les herbes  les pierres  nous attendent

et le silence à fleur de terre  rejoint l’air

bu par le fleuve

 

À l’abri dans nos corps  

se défont nos savoirs


 

Douceur grise

 

le temps d’une image effacée

une sorte d’ombre s’échappe

de son dessin

 

Gestes de lenteur

blanchissent nos peines oisives

 

Les mots neigent dans l’obscur  

 

Sur le lin de la toile

des mots blancs   sans parure

veillent sous le charbon des ébauches  


 

Lianes d’ambre

 

Volutes

 

de lumière dans la chambre

Nos mains éveillent des oiseaux

des levées d’herbes soyeuses

et perles douces

 

Le soir    les mots restent sur la toile

collés sous des feuillages d’ombres

et des averses de gris

 

Migrations

 

Les mots du poème se défont des images  

La nuit descend  

et nous délivre

 

© Marie Alloy

 

 

(*)

 

Une image contenant personne, intérieur, vert

Description générée automatiquement

Marie Alloy, Peintre Graveur, 2019. Photo signée D. Chauveau

 

Marie Alloy est née en 1951 dans le Pas-de-Calais, elle vit et travaille dans le Loiret depuis 1985. D’une famille originaire de Douai, où vécut Marceline Desbordes Valmore, où a peint Camille Corot, et où Arthur Rimbaud a écrit ses Cahiers de Douai, c’est sur ce sol natal que Marie Alloy a modelé, dès l’enfance, sa sensibilité poétique et artistique. Après des études artistiques et durant ses années d’enseignement, Marie Alloy a continué à peindre et écrire (poèmes et écrits sur l’art) et dès 1993, elle a créé sa maison d’édition Le Silence qui roule pour associer poésie et gravure (ou peinture) et ouvrir l’atelier à d’autres voix et regards.

Sa recherche poétique et picturale est quotidienne, nourrie par la nature, cette nature devenue un lieu du hors du temps, en marge du monde, où trouver un peu de cette lumière de paix qui rend visible, lucide et rapproche du réel (les bords de Loire ont cette vertu spirituelle).

La question de l’effacement de soi revient souvent dans ses poèmes, inséparable de la peinture et des mouvements souterrains du non-dit ̶ quête d’un silence intérieur toujours précaire mais porté par l’émotion vraie, que ce soit en peinture ou en poème.

Son site pour retrouver ses éditions, son parcours et ses créations : www.lesilencequiroule.com

 

 

 

Créaphonie : Marie Alloy  

Francopolis, nov.-déc. 2022

Recherche Éric Chassefière

 

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Créé le 1 mars 2002