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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

Été 2025

 

 

Paul Couëdel : Les uns les autres.

 

Par Patrice Perron

 

 

(*)

 

 

 

 

Dans cet ouvrage de belle qualité graphique, Paul Couëdel, artiste-peintre et poète, parle d’une humanité tellement massifiée que l’individu disparaît presque. Cela apparaît parfaitement dans les tableaux qui animent le livre. Les personnages n’ont, souvent, plus de visage individualisé, ils sont noyés dans la foule. Dans le choix des mots, l’auteur utilise le On. Hors, dans la vie de tous les jours, le on pâtit d’une connotation péjorative. Ce On traduit l’anonymat et la perte de la personnalité, exprimés dans cet ouvrage.

 

Ainsi, le recueil, qui commence par un tableau, offre ces premiers vers : On est apparu sans savoir d’où l’on venait / On s’en ira sans savoir où l’on va / On ne fait que passer. Plus loin, l’auteur exprime l’interrogation : Partout des gens / qui s’interrogent / qui se croisent se mélangent s’agglutinent / Des gens qui regardent quoi ? / Et qui s’en vont où ? Paul Couëdel utilise aussi d’autres formes d’anonymisation, par le « Ceux » :

 

Ceux que l’on a chassés

ceux qui ne veulent pas rester

ceux qui ne peuvent pas rester.

 

Il évoque aussi, dans ce texte, l’exode de sinistre mémoire. Sentiment renforcé par le tableau placé en regard de ce court poème, p. 14, dont le graphisme fait penser au film (dessin animé) La plus précieuse des marchandises, diffusé en salle, en fin d’année 2024.

 

      

 

 

D’ailleurs, à ce titre, je me permets de souligner l’importance des œuvres d’art dans ce recueil. C’est un tableau qui ouvre l’œuvre et la clôt. Il y a un tableau en face de chaque texte ; il renforce la lecture, et parfois, c’est l’inverse.

 

Le vers Ceux que l’on a chassés exprime ces sentiments lourds d’anonymat et de perte d’individualité. Il y a les ceux et le on, inconnu qui martyrise.  Plus loin : Foule d’anonymes / qui cherchent l’ailleurs / parce qu’il ne pourra être pire / même s’il n’est pas meilleur. Je ne peux pas résister au plaisir de citer l’entièreté de la page 23 :

 

Comment se retrouver se reconnaître

dans l’indistinct des foules

Peur de l’agglutinement

              de l’accumulation

              de l’entassement

 

peur de l’instinct grégaire

              de la meute

de tout ce qui mène à l’émeute au slogan

au véhément à l’exacerbé

 

Mais saisir les nuances

se désencarter se dégager …

 

                         

 

Paul Couëdel met en lumière le sentiment d’enfermement, de perte d’identité des vivants de ce monde. Et l’acte d’accusation porté par lui, dont je vous propose l’intégralité pour la bonne perception du sens, tombe à la page 25 :

 

Communication à tout va

messages précipités

pour le tas de followers

de friends inconnus

qui réagissent tout pareil

émoticônes pour tout vocabulaire

 

Vie dans le virtuel.

 

Et surprise, le tableau placé en regard est le seul aux formes quasi géométriques, illustrant le monde virtuel, peut-être l’illusion que représentent, aux yeux de l’auteur, l’internet et le metaverse ?

 

            

 

C’est alors la transition vers l’espoir : Présence / prendre son temps / conversation / ponctuée … / de sourires. Ouf ! La pensée individuelle est toujours là, peut-être temporairement sauvée : Quand bien même tout sera dissout / rester vigilant et veiller. Savoir préserver notre liberté. L’idée de la mort aussi est là, même dans l’anonymat du On, dans ce poème :

 

De toute façon on partira

on n’aura rien

ce serait aussi bien

les linceuls n’ont pas de poches.

 

                 

 

Sensation renforcée par ces mots : À ce qu’on dit / on aura rendu l’âme.

 

Et le texte se ferme par ce vers traduisant une certaine résignation : à quoi bon jouer les sages. Puis un tableau clôt le livre, comme le ferait une couverture.

 

             

 

Voilà un recueil qui, d’une part, pose plein de questions sur le sens de notre vie et, d’autre part, nous exhorte à préserver notre personnalité et nos libertés pour ne pas sombrer dans un anonymat destructeur, dont rêvent peut-être certains autocrates. Propos plutôt salutaires de Paul Couëdel face à la réalité du monde d’aujourd’hui.

 

©Patrice Perron

 

 

(*)

 

Paul Couëdel, Les uns les autres. Éditions Des Sources et des Livres. 4ème trimestre 2024. ISBN 979-10-97070-85-4. 56 pages. 15 €.

Fusains, pastels, sépias, sanguines, pierres noires, trois crayons, acryliques sur toiles et huiles sur toiles de l’auteur.

 

 

 

Créaphonie :

Paul Couëdel, lu/vu par Patrice Perron 

Francopolis, été 2025

Recherche Dana Shishmanian

 

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Créé le 1er mars 2002