Ecrire - lieu de liberté et d’expression de la langue – se nourrit de lectures et de transcriptions du quotidien. Albane Gellé
, au cours d’un atelier en quatre séances, nous emmène sur
le chemin de l’écriture poétique à l’angle duquel nous
rencontrons Antoine Emaz.
A la médiathèque de Rezé,
près de Nantes, chaque samedi de ce janvier 2005, Albane Gellé
arrive, son panier empli de victuailles poétiques. Déjà
les yeux suivent la main qui un à un pose sur la table les recueils
d’Antoine Emaz, mais aussi de Reverdy, André De Bouchet, Paul Eluard,
Guillevic, James Sacré, des revues de poésie contemporaines
(liens vers : Décharge, Petite, Gare Maritime, N4728, Neige d’août,
Traces, etc).
A la deuxième séance, nous savons déjà
que dans un premier temps, il nous faut prendre le temps de lire, de noter
quelques passages, de changer de recueil, de lire encore. Pourquoi ? Albane
Gellé nous souffle qu’Antoine Emaz s’intéresse beaucoup aux
auteurs de poésie contemporaine. Selon lui, écriture et lecture
sont indissociables pour faire avancer la langue. Antoine Emaz nous confirme
son besoin de lecture lors de notre rencontre : « on vient tous de quelque part ». Il nous confie aussi sa fascination pour André Du Bouchet « L’œuvre
de Du Bouchet est vertigineuse. Je me disais que je ne pourrai rien écrire
de mieux et pendant 4 ou 5 ans aucun poème n’a pu sortir de moi, jusqu’au
jour où j’ai compris ce qui manquait chez Du Bouchet et que
j’étais moi-même capable d’apporter». Il conclu : « il faut des maîtres mais aussi savoir prendre de la distance».
Dans le deuxième temps de chaque séance d’atelier,
Albane nous demande de prendre une vingtaine de minutes pour écrire
en « vrac » ce qui nous passe par la tête, notre quotidien,
la semaine écoulée, sans chercher à faire des phrases
cohérentes. Elle nous amène à nous approprier la démarche
d’écriture d’Antoine Emaz qui chaque jour consigne dans un carnet
ses émotions telles qu’elles viennent, une « réaction
brutale », rapide, sans retouches pour retenir l’émotion qui
passe et surtout car il faut que « l’écriture aille aussi vite que l’émotion».
A partir des notes prises au cours de notre temps de lecture et de nos pensées
en vrac, Albane Gellé nous donne les consignes d’écriture et
nous mène sur la route de nos propres textes. «Parce
que c’est dans la lecture que nous pouvons trouver ce qui nous revient, se
l’approprier et le faire résonner dans notre propre expérience », nous dit Antoine Emaz. Textes longs à textes courts, Albane nous fait réfléchir sur le « silence dans le poème
», écrire à partir d’un titre d’Antoine Emaz, à
partir d’une couleur, d’une odeur ou d’un objet, employer la forme impersonnelle
du « on », s’approprier peu à peu les techniques d’écritures
d’Antoine Emaz et faire alors surgir, chez chacun, une écriture particulière.
La dernière séance est très attendue.
Une rencontre avec Antoine Emaz a lieu suivie d’une lecture croisée
avec Albane Gellé. C’est le moment de connaître un peu plus
les procédés d’écriture des poètes, d’avoir réponses
à nos interrogations.
Albane
Gellé et Antoine Emaz, comment vous-vous êtes rencontrés
? Qu’est-ce qui vous a attiré l’un vers l’autre ?
Albane Gellé
J’ai assisté une
fois à une lecture publique d’Antoine Emaz. Je commençais tout
juste à découvrir la poésie française contemporaine.
En écoutant Antoine, j’ai eu le sentiment de parler la même
langue, de partager quelque chose dans cette langue. Ensuite, j’ai choisi
de préparer mon mémoire de maîtrise sur sa poésie.
J’ai eu la chance de le rencontrer et nous sommes devenus amis.
Antoine Emaz
Comme je le dit toujours : « on pique toujours ce qui nous revient
» et donc il m’arrive de « piquer » des choses à
Albane, et vice-versa, même si on le traite de manière différente.
Ce que j’aime chez Albane, c’est son attention pour la réalité,
ce phénomène de condensation. On voit se développer
la vie d’une personne dans un instantané. Et nous avons en commun
le thème de l’enfance et l’économie des mots qui consiste à
rétrécir le poème jusqu’à fixer ce qui est vraiment
essentiel.
Qu’est-ce qui a produit en vous le déclic pour écrire de la poésie ?
Antoine Emaz
J’écris toujours avec
la même force depuis que j’ai commencé à écrire.
Je dirai que ce qui me pousse à écrire c’est un refus profond
du monde tel qu’il est, cette sensation d’être dans un environnement
qui n’est pas respirable. Comme disait Reverdy : « le poète n’a pas suffisamment d’air ». J’écris donc par réaction, par révolte.
Albane Gellé
L’écriture pour
moi est un lieu de liberté et cela me permet de m’investir dans une
langue et c’est cette langue qui me permet de dire comme je perçois
et reçois les choses.
A partir de quoi se construit l’origine du poème ?
Albane Gellé
Il y a la vie derrière,
autour de moi. Le poème me vient par ce qui arrive au monde et ce
qui est autour. La forme vient s’imposer par rapport à la matière.
Antoine Emaz
Le poème arrive par
ce qui nous touche, ce qui nous rend muet. Il arrive à partir de choses
à propos desquelles nous n’avons rien à dire. Le poème
permet de dire les choses qui nous ont enlevé la parole. La poésie
est pour moi un espace libre de l’écriture. Je laisse à l’émotion
la fenêtre la plus large possible. Ce n’est pas moi qui choisit, c’est
le poème qui trouve sa forme quand j’écris.
On parle de double temps dans votre poésie, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Antoine Emaz
Le début d’un poème m’arrive
à partir d’une émotion, de quelque chose qui remue à
l’intérieur. C’est une émotion tellement forte qu’on ne peut
le dire autrement qu’à travers un poème et si on ne le dit
pas, on reste muet et c’est là que ça peut devenir destructeur,
même si parfois il m’arrive d’écrire des choses à vide.
Le poème s’écrit avant tout dans l’urgence, la nécessité.
C’est pour cela que j’écris toujours dans mon carnet, au jour le jour
et comme cela me vient, sans retouche, car il faut que l’écriture
aille aussi vite que l’émotion.
Après il y a un deuxième
temps dans le poème qui est beaucoup plus long. Cela peut prendre
1 mois, peut être 2 ans. Au départ, il y a la matière
verbale consignée dans le carnet. Elle est là, il reste à
la travailler dans le long terme. On enlève, on fait de la menuiserie
et on garde ce qui reste au bout et qui doit tenir la route. C’est ce que
j’appelle le processus d’usure. Je pense que le poète est celui qui
a le plus lu ses poèmes et le temps joue un grand rôle dans
l’usure.
Albane Gellé
Je travaille aussi dans l’urgence, je prends des notes. Après vient le travail, la mise en forme.
Antoine Emaz conclu en disant :
La poésie est indéfinissable,
Reverdy en a même donné une centaine de définitions.
La poésie doit donc se trouver quelque part dans la somme de ces diverses
définitions. Et c’est tant mieux ! Comme ça on continue d’aller
quelque part et d’avancer, beaucoup plus que s’il y avait des règles
et des normes comme dans le roman. La poésie est un lieu dans la langue
où il se passe toujours quelque chose.
Aller à la lecture croisée Albane gellé / Antoine Emaz
Par Cécile Guivarch
pour francopolis
mars 2005
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