|
LECTURE CROISEE ALBANE GELLE / ANTOINE EMAZ
une femme elle reste à la fenêtre elle ne
se jette pas par-dessus bord elle n'ouvre
pas elle regarde la vitre ou quelque chose
dehors derrière la vitre on n'en sait rien
elle ne dit rien de ce qu'elle voit est-ce
qu'elle voit seulement et puis son front
il est collé ça fait de la buée sur cette vitre
qui la sépare du monde
Albane Gellé, Un bruit de verre en elle, Inventaires invention, 2002, page 25
|
s’il y a des visages dessous
plus guère personne pour voir
un mouvement d’ombres comme de feuilles
peu à peu une mousse
ou du lierre
dans la tête
on distingue mal
les noms lèvent seuls
les figures les dunes
les coins de rues les ciels
par vagues
et puis retombent
sans plus de bruit
dans l’œil
vie sans vie
qui reste
Antoine Emaz, Os, Tarabuste, 2004, page 50.
|
il
avait mis quelques poèmes dans sa
main, comme on attire les pigeons.
Elle était jeune, elle n’a rien vu,
Trop près s’est approchée.
elle
lentement enfonce ses doigts dans
le sable de la plage, voudrait se
rappeler le goût du sucre roux,
sur l’étagère de la cuisine
elle
quand il dort, se sent si seule.
hésite à prendre son carnet, pour
une fois voudrait ne pas écrire
il
dort à côté d’elle, allongée qui
écrit. Lequel des deux fait de beaux
rêves ?
extraits de je te nous aime, Éditions Cheyne Éditeur, 2004, page 20, 23, 76 et 84
|
Peur
jusqu’à plus soif ou suée
comme de l’eau montant
dedans
eau de mémoire
de plus en plus haute
jusqu’à la bouche
fermée
simple trop-plein mais assez lourd pour peser en tête dé- faire
la vie on ne sait pas d’où peut venir ce plomb brutal du ciel de crâne
il est on est dessous c’est tout rien de net n’a causé la peur mais
elle reste dans le corps la main qui attaque à la plume la page la
main qui n’éclaire pas
on pourrait peut-être gagner encore en arrangeant les mots peut-être
en prenant de bien plus loin les choses peut-être mais peu d’écart
pour l’heure l’urgent reste ce vide bruissant qui monte
commeunroulisunmouvementenroulé demots comme une vague de langue ourlée
puis son déferlement qui claque alors là oui la peur de voir
venir tout autant que le muet le rien le blanc pur de l’écume
ou mousse de mots comme produit vaisselle autant impossible à
former poème alors rien que la peur de ne pas pouvoir se sortir entier
des mots et de ce qui les a fait surgir ça oui comme s’il n’y avait
pas de maîtrise face à cette force lâchée poète
ou pas habitué ou non à voir craquer ces digues de langue et
savoir ou pas les colmater c’est à peu près ça comme
un déluge sans sens dans lequel on est pris et se noie dans un fracas
de syllabes que l’on ne guide plus mais il tourne un fouillis d’images en
vrac une lame de fond de tête un tourbillon de vase où se mêlent
clair et sombre réussites et ratages des années le tout d’une
vie brassée d’un coup laissant à nu l’os dessous quand ça
cesse et qu’on reste muet comme épuisé de rien mais là
encore après à respirer
Antoine Emaz, Os, Tarabuste, 2004
|
retour à l'article
|