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ÉCHO de Juliette Clochelune
à la présentation de Christian Bobin


"Tel un chat noir de l'habitude, il attend au bout de son septième étage, moustache dorénavant rasée, que le vent entre, ou une fleur, allongé des heures durant. Dolent, triste, il attend d'avoir la même légèreté que l'oiseau qu'il regarde longuement par sa fenêtre".
Que fait Bobin sinon "attendre le passage de Dieu ou d'un insecte, ou de rien"."
J'ai eu envie de faire écho aux mots de Sabine, surtout à ce passage, car je m'étais amusée à disposer en haïkus étoilés les lueurs de Christian Bobin suite à ma lecture de sa "Bibliothèque de nuages"... Bien sûr, il ne s'agit pas de vrais haïkus, juste quelques flocons pris ainsi en coin de rêverie, au coin du feu de cheminée de Christian... Plutôt des nuages de trois lignes ;-) Il me semble que Christian, comme le haïku, cherche l'ultra regard, les interstices de lueurs, au travers son attente, l'évènement le plus simple prend regard, racine et rêverie, et par là résonne avec ce que j'entends dans le haïku... Tout comme le chat, à travers son repos, son écoute, son attente, et surtout la lenteur qui d'un coup peut devenir vol extrème, Christian lui, en plus, nous partage cette expérience. La mise en lumière, la mise à l'essentiel, comme s'il nettoyait les mots, le quotidien pour nous le rendre clair, lumineux...

Voici donc ces flocons, ma petite fenêtre-écho...
  
Sur la neige couvrant la boite aux lettres,
l'étoile minuscule d'une patte d'oiseau
_ de fraîches nouvelles du ciel.
 
*
 
Chaque fois que je m'éloigne d'une page fraîchement écrite,
je découvre à mon retour ce qui a fané sur les rameaux de papier, recroquevillé d'inutile.
Le temps qui passe est un ami précieux qui nous dépouille du superflu.
 
*
 
L'âme est plus subtile que l'air;
la main de la mort ne peut se refermer sur elle.
J'écris pour trouver l'heure qu'il est dans l'éternel.
 
*
 
Je dépose la vieille montre de mon coeur chez Jean-sébastien Bach.
Quand je la reprends elle est comme neuve
et sonne toutes les secondes.
 
*
 
Notre âme regarde passer les wagons de nos projets,
assise dans le fossé
où elle mâche un brin d'herbe.
 
*
 
L'âme est une petite fille qui n'en finit pas d'apprendre à lire.
Assise sur une chaise d'ombre, suivant du doigt une phrase de lumière,
ses pieds qui ne touchent pas terre se balancent au rythme de ses trouvailles.
 
*
 
Je touche le réel avec des mains de bébé
qui tapotent tout ce qui passe à leur portée.
Mes phrases, ce sont ses mains.
 
*
 
A la mort de son amie la vieille dame lui envoya des fleurs. Une heure après elle mourait à son tour.
Les fleurs arrivèrent le lendemain, offertes à une morte par une morte.
On ne saurait imaginer un don plus pur.
 
*
 
La mort se cache derrières nos fêtes
comme un enfant se cache derrière un arbre.
On voit toujours le bout de ses souliers.
 
*
 
 
On ne sait pas ce qu'est la poésie.
On sait juste que c'est donner son sang
aux anges qui passent.
 
*
 
Tout m'est lecture.
La plus grande partie de ma bibliothèque est dans le ciel,
avec ses volumes dépareillés de nuages, jamais à la même place.
 
*
 
Vivre _ longer une muraille jusqu'à trouver une brèche lumineuse.
J'ai découvert de telles fissures dans le jaune asourdissant des pissenlits, ces enfants pauvres du soleil.
J'avance très lentement. Je mourrai sans être arrivé au fond du jardin.
 
*
 
Les reines qui me visitent
portent une robe de nuage à l'ourlet décousu,
et des souliers de pissenlit.
 
***
 
 
flocons de Christian Bobin
cueillis de son livre: "Une bibliothèque de nuages"
éditions Lettres Vives, collection "entre quatre yeux"
sortie le 28 septembre 2006

 



Par Juliette Clochelune
pour Francopolis
décembre 2006 




Créé le 1 mars 2002

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