Olga et les masques
à travers la clé des contes
Olga et les masques
écrit par Thierry Cazals et illustré par Maurizio A.C.
Quarello aux
éditions : Sarbacane - parution : le 9 octobre 2007
En découvrant Olga et
les masques, la nouvelle parution de Thierry Cazals, l’envie m’est
venue d’offrir un petit billet pour tenter d’ouvrir les portes du livre
et la clé des contes aux amis-lecteurs de Francopolis.
Pour éclairer nos échanges, j’ai pioché dans
ce que me répondait Thierry en semant ses propos entre
guillemets et en italique. En un jeu de miroirs, voici donc
reliés ces deux
regards, qui je l'espère, en feront naître d'autres.
(Une suite sur les contes et les sons sera
prévue en approfondissement pour le mois prochain…)
***
“J’aperçois
des millions de lettres noires qui se ruent vers moi comme autant de
guêpes en furie...
C’est alors qu’un mot me traverse
l’esprit, tourbillonne dans ma gorge, se faufile entre mes dents,
glisse
sur le bout de ma langue...
Un mot brûlant comme la
foudre, vaste comme le désert, pointu comme les piquants d’une
rose...
Un mot qui n’a pas besoin de
lettres pour s’écrire.”
(Thierry Cazals - Olga et les
masques - éditions Sarbacane)
Dans Olga et les masques, il y a quelque chose
au-delà des mots qui permet de s’en affranchir... De
trouver le passage du
corps-cri au conte incarné.
Ces
lettres
crissent le secret. Le mot magique est un cri inaudible, trop profond,
que
ne peuvent exprimer les mots ordinaires.
« Le mot qu’Olga a
prononcé n’était pas vraiment un mot mais
quelque chose de plus secret, de plus insaisissable.
Orphée (quatre ans — mon fils) a compris que le mot magique
avait forcément quelque chose de magique qui ne peut se limiter
à une seule chose figée. »
Les bruits sont très tactiles, sensibles.
Le ploc ploc ploc du lavabo engouffre Olga, l’enferme dans
la prison du miroir.
Les adultes plaquent le masque sur le visage boueux d’Olga.
Crasse du visage d’Olga, crasse comme un masque. Sous ce
masque crasseux, les parents d’Olga ne voient plus son vrai
visage, son vrai coeur et lui disent : “va te laver”.
Elle chute dans
le lavabo comme Alice dans le terrier du lapin blanc. Alice en chutant
chutant, chut, chut, chut, plus de bruit, mais les mots jaillissent en
questions
et réponses insensées d’Alice qui perd le langage usuel
pour
explorer la magie du non-sens.
“De temps en temps, un étranger comme toi
surgit
et brise notre sérénité. C’est un danger pour nous
car
il est le seul à avoir un visage à lui. Nos lois nous
imposent toutefois de l’accueillir, le nourrir, le loger, en attendant
qu’il puisse revêtir à son tour un masque, le jour de ses
onze ans...
Mon anniversaire ! J’avais complètement oublié mon
anniversaire ! Mais le fait est que j’allais avoir pile onze ans dans
deux jours. Ceux d’ici étaient terriblement bien
informés.”
(Thierry Cazals - Olga et les masques - éditions Sarbacane)
Dans Humpty-Dumpty (parfois traduit par Gros Coco),
l’un des chapitres de De l’autre côté du miroir, on
montre
à Alice, au moyen de la soustraction suivante : 365 - 1 :
364
qu’il vaut mieux (une année équivalant à 365
jours)
fêter ses 364 non-anniversaires contre un seul et unique
oui-anniversaire...
Abolir le masque du quotidien répétitif pour que tous les
jours “notre vie ne dure pas plus qu’un jour.”
“Merlin a 1000 ans.
1000 ans + 1 jour (mais pas n’importe quel jour, puisqu’il s’agit
d’aujourd’hui).
(...)
Après tout, c’est peut-être ça le secret : que
toute notre vie ne dure pas plus qu’un jour.”
(Thierry Cazals - Mon ami Merlin - éditions Motus)
Cet unique oui-anniversaire d’Alice, cet
unique aujourd’hui de Merlin que tous deux
préfèrent si justement, révèlent la
singularité de chacun, son visage. La personne, en dehors de sa
naissance de chair, se perd alors dans des jours sans sens. Les trois
cent soixante-quatre ou mille autres jours restants ne sont que masques
plaqués, insectes grouillant de sons insensés.
Nous naissons dépossédés du langage, nous crions,
pleurons, gazouillons, gesticulons. L’enfant a un pré-langage
que
nous traduisons, dans notre besoin de sens, par des onomatopées.
Nous lui disons tout en les mimant le vroum du camion, le badaboum de
la
chute, le miaou du chat, le toc-toc de la main frappant à la
porte.
L’enfant vient aux mots par les sons et les images. Par l’écoute
des contes et poésies de notre propre enfance.
Les calligrammes, par exemple, disposent les vers d’un poème
pour qu’ils évoquent par le dessin le sujet même de ce
poème. Thierry s’en sert en les détournant dans L’enfant
qui avait peur
du silence (éditions Motus), conte qu’il a lui-même
illustré, où l’on voit le mot secret
calligraphié dans la forme d’un poisson ou formant les
moustaches d’un chat. Lewis Carroll quant à lui a disposé
les vers d’un limerick (comptine qu’il détourne toujours
en jeux de non-sens) dont le sujet épouse la forme d’une queue
de souris.
Le
langage,
les mots, les paroles ne sont pas des outils neutres ou bienfaisants.
Lewis Carroll habille les sons de
diverses façons. Ses personnages portent des noms dont le son
évoque la forme, Humpty-Dumpty, Tweedledum et Tweedledie. Ces
noms donnent du fil à retordre aux traducteurs car ils se
rapportent à d’anciennes comptines anglaises basées sur
les limericks (petits poèmes anglais jouant sur les
sonorités et les thèmes) tout en épousant le corps
même du personnage... Ces sons ont un sens oeuvrant à
l’éclosion de la logique et la poésie du non-sens... Dans
la terre du non-sens, une oeuvre originale s’est créée...
En leur offrant une terre commune
d’archétypes (pas toujours les mêmes venant d’un pays ou
d’un autre mais parfois semblables car les archétypes naissent
en deçà du langage), des racines grandissent et
permettent à l’enfant le développement de son imaginaire.
« L’imaginaire est une terre familière.
Une façon d’explorer la réalité en
dévoilant ses
racines profondes. Chacun a besoin de se confronter à ses
dragons
et ses monstres, ses fantômes et ses ogres, ses fées et
ses
sorcières. Si nous ne le faisons pas, les dragons viendront dans
nos
villes de béton et d’acier nous demander des comptes. »
Pour un “il était une fois” offrons-leur nos
contes. Ne craignons pas l’émerveillement, la magie des
êtres, la beauté du monde. Miroirs à traverser,
regards à ouvrir, cauchemars à bercer, rêves
à briller...
“Aussitôt, l’attaque stoppe net. Le géant
s’affaisse comme un pauvre pantin désarticulé. Son masque
explose en
mille morceaux.”
(Thierry Cazals - Olga et les masques - éditions Sarbacane)
« Écrire et partir d’une
situation de départ forte symboliquement, d’une
image-clé, ici, la peur des masques. Le masque est un
visage qui efface le visage. Écrire pour éclairer ce
problème, trouver une issue par le biais
des personnages de ce conte.
Ecrire pour voir s’allumer des étincelles dans l’oeil de nos
semblables.
Nous sommes tous comme Alice invités à découvrir
l’autre côté du miroir. »
Ou comme Harry Potter, conviés à plonger
dans le miroir du Risèd pour retrouver les racines de sa famille
gravée sur sa cicatrice.
“À la place, j’aperçois le visage
terriblement pâle et fatigué de mon père... Ou de
ma mère...”
(Thierry Cazals - Olga et les masques - éditions Sarbacane)
Écrire pour devenir adulte vivant, non adulte
mort. Écrire et vouloir que l’enfant en soi brille toujours dans
le visage de l’adulte, ne soit plus relégué à un
ancien masque. À la question posée en entrée de
classe de 6ème : “quel métier voudras-tu faire plus tard
?”, Thierry avait répondu : paléontologue.
« Un écrivain est comme un
éclaireur, il perçoit les mouvements profonds, les
courants souterrains qui parcourent la société.
Comme un spéléologue de l’âme et du coeur
humain, on creuse des galeries, des tunnels, on plonge sous
l’apparence des choses, on s’aventure de l’autre
côté du miroir.
Qui se cache derrière le masque ? Y compris le masque de la mort
?
Si ce n’est nous, mais NOUS sur un autre plan. »
“Un jour, mon ami Merlin et moi, nous irons quelque
part où il n’y aura plus ni “moi” ni “Merlin”. (...) Un pays
couvert de pommiers sauvages aux fruits luisants comme des ronds
tracés par
un enfant dans la buée.”
(Thierry Cazals - Mon ami Merlin - éditions Motus)
« Écrire comme lire c’est partir en
quête de notre visage, et nous débarrasser de tous nos
masques, nos rôles préfabriqués.. Les vraies
oeuvres invitent toujours
le lecteur - petit ou grand - à voir le monde pour la
première fois.
Le lecteur qui aura nourri, exploré, jardiné son
imaginaire sera beaucoup plus armé pour affronter les dures
réalités de la vie. Ce que nous rencontrons en chemin -
épreuves, défis, obstacles, échecs,
réussites... - ne sont que de petits cailloux posés sur
le chemin de notre propre éclosion. »
“Aujourd’hui, la barbe de Merlin est passée sur
mon front. Elle a emporté un régiment de pensées
tristes et collantes comme des toiles d’araignée. Je vois les
choses différemment à présent. Comme un escargot
qui aurait brisé sa vieille coquille et aurait fait son nid dans
le coeur spiralé du soleil.”
(Thierry Cazals - Mon ami Merlin - éditions Motus)
Juliette Clochelune et Thierry Cazals
pour Francopolis
novembre 2007
Note: Séance de dédicace
à Montreuil
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