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décembre 2013

« C’est encore l’année Césaire !»
Centenaire de sa naissance

1913-2013

Aimé Césaire : Lettre à  Maurice Thorez, Paternalisme et fraternalisme.
Histoire d’une (dés) illusion.
par Denis Émorine


Aimé Césaire à Fort-de-France2
Ils ne sont pas légion les intellectuels  qui eurent le courage de démissionner du Parti Communiste Français à l’époque de l’URSS triomphante. On pourrait les compter sur les doigts de la main : Albert Camus en 1937 ; Paul Nizan en 1939 après le pacte germano-soviétique …  Aimé Césaire fut de ceux-là après la diffusion du rapport Khrouchtchev, en 1956.

Césaire adhère au parti communiste en 1945. Son « Discours sur le colonialisme » paraît en 1950, préfacé par Jacques Duclos, dans une petite maison d’édition liée au parti. Le rapport Khrouchtchev en révélant les crimes de Staline au monde, va  faire prendre conscience au poète qu’il a été et qu’il s’est trompé. En effet, jusqu’à cette date, Césaire est persuadé que le parti de Thorez est le seul qui puisse combattre efficacement les excès du colonialisme qu’il a dénoncés avec virulence. Césaire a été un adhérent docile : n’a-t-il pas assisté aux obsèques de Staline en 1953 avec quelques caciques du parti dont Thorez ? Ce n’est pas faire injure à sa mémoire que de rappeler ces faits. Bien au contraire, son revirement n’en est que plus méritoire et suscite notre admiration.

Césaire et Thorez se connaissent bien. Le poète a commis quelques poèmes pour « le fils du peuple » vite oubliés et reniés. Du moins, peut-on le sup
poser. Mais au-delà de ces péchés véniels, Césaire est déjà connu à cette époque en temps que poète et pamphlétaire.

Bien loin du lyrisme parfois excessif du Discours sur le colonialisme,  la Lettre à Maurice Thorez1  privilégie la sobriété et la violence du style pour mieux refléter l’indignation du poète qui flagelle « des pontifes plus que jamais pontifiants » à
« l’incapacité sénile ». On ne  saurait mieux dire.

Ses reproches au parti communiste sont de plusieurs ordres :

-    Après le rapport Khrouchtchev sur Staline, il n’y a eu aucune autocritique du PCF qui reste stalinien. Césaire parle ainsi de « son inaltérable satisfaction de soi » et de son « retard historique ».

-    Césaire réagit également en « homme de couleur » qui marque une distinction entre  la lutte contre le colonialisme et celle de l’ouvrier de la métropole contre le capita-lisme.   Il   rejette   avec force le vote du parti sur les pouvoirs spéciaux  en Algérie ; ce qui, bien entendu, est absolument rédhibitoire pour ce défenseur des peuples opprimés et colonisés. Césaire marque ainsi la spécificité du peuple noir contre la supériorité re-vendiquée de l’Occident et ses valeurs défendue par les bourgeois   et les communistes occidentaux. Cette attitude étant celle de Staline.

-    Enfin, le poète condamne violemment la politique du Parti Communiste Français en Martinique qui a usé du « nœud coulant de l’assimilation » pour mieux la couper de ses racines, c’est-à-dire de l’Afrique Noire.

***

En ce qui concerne le rapport  Khrouchtchev, le Parti Communiste Français mettra longtemps  en cause son authenticité. Césaire est bien conscient de son incapacité à se réformer.

Les troupes soviétiques envahissent Budapest le 4 novembre 1956 et répriment sau-vagement l’insurrection. Il y aura environ 200 000 morts du côté hongrois  (cf. revue Hérodote).  Là encore, Césaire a raison puisque, dans sa lettre de démission, il dénonce la prétention de « Staline et de ses sectateurs » à guider les « peuples attardés » vers la Raison et le Progrès.  Le sectateur Khrouchtchev ne vaut pas mieux que son prédécesseur.

Césaire verra toujours en l’Afrique, mère originelle de la civilisation des Antilles,  une source d’inspiration. C’est au marxisme auquel  il croit toujours à cette époque, de se mettre au service des colonisés du monde et non l’inverse.
La rupture est consommée. En 1958, Césaire crée le Parti Progressiste Martiniquais. Sans un regard en arrière, fort de ses convictions, « L’homme de couleur » et revendiqué comme tel continue son chemin ; mais ceci est une autre histoire.

Bibliographie : David Alliot : Aimé Césaire et le Parti Communiste Français (Editions Pierre-Guillaume de Roux)

1. (Lettre parue le jour même dans la revue Présence africaine, le 24 oct. 1956 ; le lecteur d’aujourd’hui peut en prendre connaissance sur le Net : sur le site de l’Humanité du 18 avril 2008, en hommage à Aimé Césaire qui venait de mourir et sur le site " Les mots sont importants, du même jour "

2. (La photo : Aimé Césaire à Fort-de-France, novembre 2001 (© 2001, Susan Wilcox – reproduction Césaire-île en île)


***

Avec Césaire. Et tout le reste…

par Denis Emorine

Juillet 1978. J’avais vingt-deux ans. Contrairement à Paul Nizan, je laisserai sans doute dire que c’est le plus bel âge de la vie. J’étais étudiant en lettres modernes à la Sorbonne. Je n’affirmerai pas que ma vie a changé cette année-là mais j’ai appris ce que le mot « rencontre » signifie. J’étais  en vacances en Martinique pendant deux mois. Un privilège certes. Une chance également pour qui veut la saisir. Je logeais dans la famille d’un ami martiniquais de mon âge. Que connaissais-je de la Martinique? Rien. Enfin si, des livres : André Breton et surtout Aimé Césaire…

Etait-ce suffisant pour découvrir ce département d’outre-mer qui devint français en 1635 soit plus d’un siècle avant la Corse?  Je l’ignore. J’avais lu Césaire avec l’enthousiasme et la candeur  d’un jeune homme épris de littérature et d’absolu. Le beau-père de mon ami travaillait à la mairie de Fort - de -France. A l’époque, dans tous les foyers martiniquais, il y avait une photo du maire de Fort- de –France dont j’admirais l’écriture,  le lyrisme, la révolte… Que sais-je encore ? Sans hésiter, j’ai demandé à mon hôte s’il pouvait m’obtenir un rendez-vous avec Aimé Césaire. Charles n’a pas paru éton-né. « Je vais voir ce que je peux faire » m’a-t-il répondu et ce fut tout.

Au cours de mes promenades,  je voyais  parfois le maire de Fort- de- France et son chauffeur dans une DS noire. Les gens le saluaient de loin ; il répondait toujours amica-lement à leurs signes.

Un jour, Charles est venu à ma rencontre avec un sourire entendu : «  Tu as rendez-vous avec l’homme que tu voulais voir, demain à quatorze heures, à la mairie ». J’ai tout de suite apprécié la périphrase.  Ainsi, Il m’attendait. Je ne savais quoi penser. J’avais emporté   Les armes miraculeuses  en vacances, un de mes livres préférés. Je décidai de le prendre avec moi. Que pouvais-je faire de plus ?

A 14 heures précises, j’entrai dans la mairie. « Vous êtes attendu » me dit-on avant même que je me présente. On m’introduisit dans un bureau. Césaire se leva et me tendit la main en souriant. Ce qui me frappa tout d’ abord, ce fut son amabilité et cette manière spontanée de mettre son interlocuteur à l’aise.  Je n’éprouvai aucune timidité. Je me sen-tais de plain-pied avec lui. De quoi avons-nous parlé ? A ma  grande confusion, je ne m’en rappelle plus exactement. Je n’ai pas pris de notes, je ne peux donc restituer notre dialogue avec précision. Il m’écoutait parler de littérature, de Paris et de son œuvre avec attention.

Je me souviens d’une phrase qu’il a prononcée en souriant : «  Je ne suis pas le roi Christophe ». Je pensai fugitivement à une autre affirmation de Césaire (je cite de mé-moire) : «  L’indépendance conquise,  commence la tragédie ». Ce fut vrai pour Haïti, pour l’Algérie et pour bien d’autres pays. Pensait-il alors à la Martinique ? Je ne lui ai pas demandé.

Parfois, on frappait à la porte. Lorsque la personne entrait, il faisait signe qu’il ne voulait pas être dérangé et notre conversation reprenait.




Et maintenant, plus de trente ans après ?... 

C’est trop tard, me dira-t-on. Curieuse-ment, je n’ai pas cette impression même si je suis bien incapable de restituer le contenu de cet entretien.

L’avouerai-je ? Je n’en éprouve aucun regret

La page est tournée.
 
C’était en juillet 1978. J’avais vingt-deux ans. Et tout le reste est littérature.

Denis Emorine



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Aimé Césaire
  par Denis Emorine.
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Francopolis décembre 2013


Créé le 1 mars 2002