« C’est encore
l’année Césaire !»
Centenaire de sa naissance
1913-2013
Aimé Césaire : Lettre
à Maurice Thorez, Paternalisme et fraternalisme.
Histoire d’une (dés) illusion.
par Denis Émorine

Aimé
Césaire à Fort-de-France2
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Ils
ne sont pas légion les intellectuels qui eurent le courage
de démissionner du Parti Communiste Français à
l’époque de l’URSS triomphante. On pourrait les compter sur les
doigts de la main : Albert Camus en 1937 ; Paul Nizan en 1939
après le pacte germano-soviétique … Aimé
Césaire fut de ceux-là après la diffusion du
rapport Khrouchtchev, en 1956.
Césaire
adhère au parti communiste en 1945. Son « Discours sur
le colonialisme » paraît en 1950, préfacé
par Jacques Duclos, dans une petite maison d’édition liée
au parti. Le rapport Khrouchtchev en révélant les crimes
de Staline au monde, va faire prendre conscience au poète
qu’il a été et qu’il s’est trompé. En effet,
jusqu’à cette date, Césaire est persuadé que le
parti de Thorez est le seul qui puisse combattre efficacement les
excès du colonialisme qu’il a dénoncés avec
virulence. Césaire a été un adhérent docile
: n’a-t-il pas assisté aux obsèques de Staline en 1953
avec quelques caciques du parti dont Thorez ? Ce n’est pas faire injure
à sa mémoire que de rappeler ces faits. Bien au
contraire, son revirement n’en est que plus méritoire et suscite
notre admiration.
|
Césaire et Thorez se connaissent bien. Le
poète a commis quelques poèmes pour « le fils du
peuple » vite oubliés et reniés. Du moins, peut-on
le sup
poser. Mais au-delà de ces péchés
véniels, Césaire est déjà connu à
cette époque en temps que poète et pamphlétaire.
Bien loin du lyrisme parfois excessif du Discours sur
le colonialisme, la Lettre à Maurice Thorez1
privilégie la sobriété et la violence du style
pour mieux refléter l’indignation du poète qui flagelle
« des pontifes plus que jamais pontifiants » à
« l’incapacité sénile ». On ne saurait
mieux dire.
Ses reproches au parti communiste sont de plusieurs
ordres :
-
Après le rapport Khrouchtchev sur Staline, il n’y a eu aucune
autocritique du PCF qui reste stalinien. Césaire parle ainsi de
« son inaltérable satisfaction de soi » et de son
« retard historique ».
-
Césaire réagit également en « homme de
couleur » qui marque une distinction entre la lutte contre
le colonialisme et celle de l’ouvrier de la métropole contre le
capita-lisme. Il rejette avec force
le vote du parti sur les pouvoirs spéciaux en
Algérie ; ce qui, bien entendu, est absolument
rédhibitoire pour ce défenseur des peuples
opprimés et colonisés. Césaire marque ainsi la
spécificité du peuple noir contre la
supériorité re-vendiquée de l’Occident et ses
valeurs défendue par les bourgeois et les
communistes occidentaux. Cette attitude étant celle de Staline.
-
Enfin, le poète condamne violemment la politique du Parti
Communiste Français en Martinique qui a usé du «
nœud coulant de l’assimilation » pour mieux la couper de ses
racines, c’est-à-dire de l’Afrique Noire.
***
En ce qui concerne le rapport Khrouchtchev, le
Parti Communiste Français mettra longtemps en cause son
authenticité. Césaire est bien conscient de son
incapacité à se réformer.
Les troupes soviétiques envahissent Budapest le
4 novembre 1956 et répriment sau-vagement l’insurrection. Il y
aura environ 200 000 morts du côté hongrois (cf. revue Hérodote). Là
encore, Césaire a raison puisque, dans sa lettre de
démission, il dénonce la prétention de «
Staline et de ses sectateurs » à guider les «
peuples attardés » vers la Raison et le
Progrès. Le sectateur Khrouchtchev ne vaut pas mieux que
son prédécesseur.
Césaire verra toujours en l’Afrique, mère
originelle de la civilisation des Antilles, une source
d’inspiration. C’est au marxisme auquel il croit toujours
à cette époque, de se mettre au service des
colonisés du monde et non l’inverse.
La rupture est consommée. En 1958, Césaire crée le
Parti Progressiste Martiniquais. Sans un regard en arrière, fort
de ses convictions, « L’homme de couleur » et
revendiqué comme tel continue son chemin ; mais ceci est une
autre histoire.
Bibliographie : David Alliot : Aimé Césaire et le Parti
Communiste Français (Editions Pierre-Guillaume
de Roux)
1. (Lettre parue le jour
même dans la revue Présence africaine, le 24 oct. 1956 ;
le lecteur d’aujourd’hui peut en prendre connaissance sur le Net : sur
le site de l’Humanité du 18 avril 2008,
en hommage à Aimé Césaire qui venait de mourir et
sur le site " Les mots sont importants,
du même jour "
2.
(La photo : Aimé Césaire à Fort-de-France,
novembre 2001
(© 2001, Susan Wilcox – reproduction Césaire-île
en île)
***
Avec
Césaire. Et tout le reste…
par Denis Emorine
Juillet
1978. J’avais vingt-deux ans. Contrairement à Paul Nizan, je
laisserai sans doute dire que c’est le plus bel âge de la vie.
J’étais étudiant en lettres modernes à la
Sorbonne. Je n’affirmerai pas que ma vie a changé cette
année-là mais j’ai appris ce que le mot « rencontre
» signifie. J’étais en vacances en Martinique
pendant deux mois. Un privilège certes. Une chance
également pour qui veut la saisir. Je logeais dans la famille
d’un ami martiniquais de mon âge. Que connaissais-je de la
Martinique? Rien. Enfin si, des livres : André Breton et surtout
Aimé Césaire…
Etait-ce
suffisant pour découvrir ce département d’outre-mer qui
devint français en 1635 soit plus d’un siècle avant la
Corse? Je l’ignore. J’avais lu Césaire avec l’enthousiasme
et la candeur d’un jeune homme épris de littérature
et d’absolu. Le beau-père de mon ami travaillait à la
mairie de Fort - de -France. A l’époque, dans tous les foyers
martiniquais, il y avait une photo du maire de Fort- de –France dont
j’admirais l’écriture, le lyrisme, la révolte… Que
sais-je encore ? Sans hésiter, j’ai demandé à mon
hôte s’il pouvait m’obtenir un rendez-vous avec Aimé
Césaire. Charles n’a pas paru éton-né. « Je
vais voir ce que je peux faire » m’a-t-il répondu et ce
fut tout.
Au
cours de mes promenades, je voyais parfois le maire de
Fort- de- France et son chauffeur dans une DS noire. Les gens le
saluaient de loin ; il répondait toujours amica-lement à
leurs signes.
Un
jour, Charles est venu à ma rencontre avec un sourire entendu :
« Tu as rendez-vous avec l’homme que tu voulais voir,
demain à quatorze heures, à la mairie ». J’ai tout
de suite apprécié la périphrase. Ainsi, Il
m’attendait. Je ne savais quoi penser. J’avais
emporté Les armes miraculeuses en vacances, un
de mes livres préférés. Je décidai de le
prendre avec moi. Que pouvais-je faire de plus ?
A 14
heures précises, j’entrai dans la mairie. « Vous
êtes attendu » me dit-on avant même que je me
présente. On m’introduisit dans un bureau. Césaire se
leva et me tendit la main en souriant. Ce qui me frappa tout d’ abord,
ce fut son amabilité et cette manière spontanée de
mettre son interlocuteur à l’aise. Je n’éprouvai
aucune timidité. Je me sen-tais de plain-pied avec lui. De quoi
avons-nous parlé ? A ma grande confusion, je ne m’en
rappelle plus exactement. Je n’ai pas pris de notes, je ne peux donc
restituer notre dialogue avec précision. Il m’écoutait
parler de littérature, de Paris et de son œuvre avec attention.
Je me
souviens d’une phrase qu’il a prononcée en souriant :
« Je ne suis pas le roi Christophe ». Je pensai
fugitivement à une autre affirmation de Césaire (je cite
de mé-moire) : « L’indépendance
conquise, commence la tragédie ». Ce fut vrai pour
Haïti, pour l’Algérie et pour bien d’autres pays.
Pensait-il alors à la Martinique ? Je ne lui ai pas
demandé.
Parfois, on frappait
à la porte. Lorsque la personne entrait, il faisait signe qu’il
ne voulait pas être dérangé et notre conversation
reprenait.

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Et maintenant, plus de trente ans après ?...
C’est trop tard, me dira-t-on. Curieuse-ment, je n’ai pas cette
impression même si je suis bien incapable de restituer le contenu
de cet entretien.
L’avouerai-je ? Je n’en éprouve aucun regret
La page est tournée.
C’était en juillet 1978. J’avais vingt-deux ans. Et tout le
reste est littérature.
Denis Emorine
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Voir
aussi
Centenaire Aimé Césaire par Yves Patrick Augustin
Aimé
Césaire
par Denis Emorine.
recherche Dana Shishmanian
Francopolis décembre 2013