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Lecture vive

 par André Chenet


"La poésie de Dom Gabrielli est chemin vers la nudité et le silence de vivre" Jacques Ancet


Dès que j'eus pris connaissance de la poésie de Dom Gabrielli, je sus immédiatement, instinctivement qu'il comptait parmi ces rares êtres humains qui ont pris leur parti de vivre la vraie vie "par la corde raide du chant", en dehors des honneurs faciles et des mondanités fébriles. Sa conversion à l'oleiculture m'en est, après avoir pris de ses nouvelles par le biais de sa traductrice, la meilleure garantie, d'autant plus que ses écrits ont cette saveur de terre et de chair que seuls ceux qui ont suivi les opérations (alchimiques) de la cueillette à la mise bouteille, et par dessus tout, comme pour couronner l'intense labeur des jours, la sublime cérémonie de la dégustation, sont en mesure d'apprécier à cette extrémité d'existence encore viable aujourd'hui. Cela aussi est acte de courage, de savoir-faire. Il conjugue l'amour terrestre avec la très simple passion qui nous illumine de l'aube au crépuscule.

 Ainsi les nuits lui appartiennent en ce sens que ses poèmes y reçoivent, tel un don durable, la clarté amoureuse d'une méditation quotidienne. A dire vrai, je suis resté subjugué par l'éclairage passionnel qu'ils émettent à partir de ces lieux, mystérieux et sensitifs entre tous, de la seule reconnaissance possible, là où les sources du poème prennent feu.

 La poésie n'a nul besoin d'esthètes ou de chasseurs de primes. Les poètes distillent la beauté et la vérité (sans y penser méthodiquement) avec des visions et des accords qui leurs sont pour ainsi dire dictés par l'énergie du Grand Tout. Nous ne savons pas grand chose, cependant nous sommes des êtres capables de nous laisser emporter par les cataractes du rêve que je qualifierai, par manque d'un vocabulaire adéquat, de cosmiques.

Je suis fier de cette rencontre salutaire qui m'émeut et m'enchante au plus haut point. Je n'aime rien tant que ces éveils comme  une "ouverture béante de la nuit" où il me semble retrouver quelque chose que nous avons stupidement perdu, par manque d'attention ou d'amour.
 
***

Poèmes extraits du livre intitulé "The Parallel Body / Corps parallèles"

.../...

10

le soleil parmi les oliviers parle
une langue étrangère
que les nomades seuls peuvent comprendre

écris et
le temps viendra se briser

les poèmes sont

.../...


25

je suis un rayon blessé d'un sommeil malade

je suis poussière
poussière de terre rouge
je suis cri bleu cri brûlant des ciels

je suis un vieux
venu pleurer la mort au portail corrompu du cimetière

l'audible apocalypse
et le mal de toujours

j'ai appris la vie parallèle de l'ombre

en vain vous chercherez la douleur en mon corps

.../...


29

je cours pieds nus
j’écris sur la terre rougissante
les empreintes
écrivent
sur le corps fidèle
j’en appelle à toi jusqu’à ce que ma voix s’éraille
je t’entends gémir
je suis vol en piqué
je cours et je te double
tu ne peux ni me rattraper ni m’atteindre
tu es nuage humide sur une route inconnue
je suis frappe verticale du soleil
tu as vu la route barrée dans l’abîme
d’une croisée des chemins
un anneau étrange
prend feu dans ta bouche
toute chose perd cohérence
se décompose en lambeaux et ruines
ici quelqu’un a perdu sa langue
j’observe ton agonie alors que tu glisses une fois de plus
hors de ma portée
tu t’élances depuis d’antiques balcons en flammes
tu es passagère dans le vide
tu changes constamment de cap

 
 
tu dois être courageuse
et ne pas essayer de retenir les torrents
ton corps doit emprunter la voie du devenir
pour éviter la voix qui méprise
la terreur ensevelit le dehors des limites
une autre conscience croît
avec ses propres coups et parades
pour contrer tes ennemis inévitables
les esprits de tes ennemis et leurs réincarnations
la lave se répand
peut-être en auras-tu pressenti le son avant qu’il ne monte
cette fois-ci plus persistant
vivant chatoiement
coulée de miroirs depuis leur source de feu bleu
visite guidée du son par un hôte inconnu
voici les tambours battants des profondeurs
percussions exemplaires de la nuit
cela te réveille
tu écoutes
voici la spirale
propulsée de la moelle de tes os
voici la cible
la flèche en suspension dans l’air
intouchable
voici le moment pour moi de bondir
mes crochets se font baisers
pour percuter la peau tendre de ton cou
avant que je ne fonde avec avidité sur tes seins blancs
tu bouges à peine
ma prise est ferme
tes yeux ouverts
portails vers un donjon personnel et profond
ils deviendront gris et disparaîtront
avec ma langue comme remède
nous ne sommes plus que de simples
traces
des cicatrices transitoires sur nos chairs
tu soupires maintenant
dans l’orbite insensée
ton corps commence à glisser et à tomber
bientôt tu disparaîtras à nouveau
je pique pour te rattraper
et plus je te touche
plus tu deviens intouchable
il n’y a pas de première fois qui n’en soit déjà une seconde
renaissant éternellement
ta salive coule exsangue
encre sur la page vierge
tu viens à moi désormais sans invitation
tu as perdu ce que tu étais auparavant
tes yeux changent de couleur à volonté
tu peux transformer le jour en nuit
tes lèvres s’ouvrent sur commande


nous n’épousons plus l’autre
mais le maintenant et l’ailleurs
quiconque veut nous approcher doit être balancé contre
le mur tenace de l’ennui
cette épreuve n’est pas sans victimes
certains percutent le mur et tombent à genoux
cette dimension ne peut être atteinte par la seule observation
ou en prêtant oreille au son
oublié en plein vécu
vécu en tant qu’oubli pur
alors seulement pourras-tu voyager sur la sensation
détachée du temps
sur la jouissance voyageant sur un terrain
sans frontières
chaque instant sait quand il doit être vécu
et parfois les moments peuvent rester inertes
plus longtemps que les vies qui pourraient les vivre
tu étais inerte
tu semblais flasque
mais te voici
transformée par ton heure
c’est le secret des secrets
l’événement mystérieux qui trace
le destin de ton ombre
et se joint au dehors
par la corde raide du chant

.../...

que reçoit-on d'un poète
quand les mots tombent
jour et nuit
et créent des flaques pour tromper les pluies de printemps

tu reçois à la fois l'amour et la douleur
car en aimant tu t'es ouverte
non seulement à moi mais aussi à toi-même
et à cette part de toi ouverte par la force
tard plus tard
qu'un coquelicot de primavera

je t'offre l'amour
fort du fond de ma volonté et ruisselant de sang

tu me portes passion
et je reçois tout ton amour
rien que de l'amour

***

Dom Gabrielli
In "The Parallel Body" / "Corps parallèles"
Traduction française:  Laetitia Lisa
 (Christophe Choman Editeur, 2013)

             
           
*
Dom Gabrielli est né en 1964 à Cambridge. Après des études universitaires à Edimbourg, Paris puis New York, il enseigne à Paris, écrit et se consacre à divers travaux de traduction d'ouvrages publiés (Bataille, Jabès, Leiris). Au début des années 90, il quitte le monde académique pour voyager, se vouer à l'écritures et conduire divers projets commerciaux. Il est l'auteur à ce jour de trois ouvrages : The Eyes of a Man (2009), The Parallel Body (2010), et A Strange Frenzy (2012). Il vit actuellement entre la France et le Salento, en Italie, où il produit de l'huile d'olive biologique.

Laetitia Lisa est née en 1972 à Lausanne. Passionnée de poésie, de peinture et de photo, elle est la co-traductrice, avec l'auteur, des textes anglais de Dom Gabrielli.

André Chenet, membre de la Revue Francopolis
et Fondateur de la revue en ligne
DANGER POESIE,

André Chenet  
pour Francopolis octobre 2013

Créé le 1 mars 2002

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