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UN ALLER POUR...

LA CAVE AUX POGROMS

à la rencontre de Jean-Louis Costes

par Teri Alves

 


La photo représente le visage d'une poupée gonflable qu'on imagine issue de bonne famille, en plein acte buccal (oui une fellation, une pipe si vous préférez mes cochons) sur la personne du bonnet érectile et turgescent d'un nain de jardin, ou de cave allez savoir. L'image est évocatrice et ouverte, si j'ose dire, à toutes les interprétations, pénétrations, interpénétrations. Mais pourquoi donc un nain pour figurer le phallus ? Basiquement je pense à une question de taille, puis j'ai une tendance assez nette à vite m'identifier voyez-vous alors n'approfondissons pas… [1]

Ce cliché restera dans l'histoire des lettres et la postérité rance comme mon premier contact avec Jean-Louis Costes, l'auteur du roman « Grand-père » [2] dont la photo mentionnée orne racoleusement les 22x14 cm de la couverture. Je peux affirmer sans exagérer qu'il y eut pénétration, bien que je ne l'aie pas sentie tout de suite (je commence à comprendre le pourquoi du nain…). Encore trop tôt pour se prononcer sur une éventuelle petite graine.

Très vite est émise l'idée de faire circuler ce livre à travers les membres du comité de Francopolis intéressés. Etant un pur et valeureux produit quasi manufacturé de la génération internet peer to peer ayant bourlingué de Napster à Emule en passant par Kazaa, la perspective d'une lecture sans débourser le moindre centime de rouble me séduisit et je me jetai sur l'occasion comme on se jette sur son dernier comprimé d'Alka-Seltzer les matins où la vodka de la veille s'avère indécemment disposée à négliger toute forme de clémence. Et si vous m'interrogez sur le pourquoi de cette soudaine utilisation du passé simple, j'invoquerais une espace insuffisant de mémoire virtuelle… Un relent de Windows 98.

Quelques jours plus tard, ça peut tout aussi bien être des mois (l'insomnie dérange la perception des durées, je me suis même surpris un jour à braquer un halogène puissant sur mon calendrier pour l'enjoindre à arrêter de jouer au plus malin avec moi, me prends pas pour un con !…) j'apprends que Jean-Louis Costes figure dans la liste des invités de la très parisienne émission du non moins très parisien Ardisson (malgré ma localisation géographique à haute teneur en provincialisme, parigot-tete-de-veaulisme et parfois même « paris, paris on t'enculisme », parisien n'est dans ma bouche nullement péjoratif, mais plutôt genre aphrodisiaque, en tout cas si j'en juge par la seule fois où j'ai fait la chose dans la capitale…). Tout ce que j'aurais à faire est de retrouver le mode d'emploi de la télé, ainsi qu'un dictionnaire japonais/français au cas où. Et inversement.

Le samedi soir venu, je me branche sur France 2, me demandant si au fait j'ai payé la dernière redevance. Je conclue très vite que le fait de me poser la question est déjà bien amplement suffisant comme réponse. Faudra que je pense à planquer le téléviseur dès l'émission terminée, me convainc-je (débrouillez vous pour la prononciation), dans l'éventualité d'un contrôle par un agent assermenté de l'industrie publicitaire (qui d'autre s'en soucierait ?).
Comme de juste, Costes est passé en fin d'émission et je me suis farci toute une guirlande d'invités pour la plupart intolérablement propres sur eux. Accordez-moi la faveur de vous en épargner le compte-rendu. Ensemble osons l'ellipse.

Plus ou moins deux heures du mat' et Costes est annoncé, un type à priori se demandant ce qu'il fout là débarque, maigre presque frêle, c'est lui le gars qui est censé nous secouer et la littérature avec ?? N'y prêtons pas attention, me dis-je en me répétant qu'il existe ce proverbe, celui qui parle d'un moine et de sa garde-robe. Le public est enthousiaste, applaudit à tout rompre, je soupçonne les trois-quarts d'ignorer qui ils ovationnent. Je salue silencieusement la compétence du chauffeur de salle.

Jean-Louis Costes, c'est lui finalement, prend place, j'ai l'impression qu'il se recroqueville. Ardisson le compare à Céline, Pasolini, Bukowski, puis le présente comme une figure de l'underground parisien, et là tous mes sens les plus somnolents se réveillent en sursaut ! L'underground est pour moi le graal inaccessible, et tout ce qui s'y rapporte est d'office candidat à l'aura. Je vendrais mon âme à l'underground si j'en avais une. Je n'hésiterais pas à la brader. Ai-je une moindre infime chance d'y parvenir alors que même les portes de l'underground de mon petit patelin me sont fermées ? Soyons réalistes, pas de place dans les sous-sols pour quiconque inapte à briller au-delà d'un certain seuil d'obscurité. Encore que - ceci est un aparté de plus - l'immensément faible fréquentation de mon site me place naturellement parmi les auteurs phares du web-underground.

L'underground est mon rêve de jet-set à moi, et soudain j'entre en admiration catatonique devant Costes. Montée furieuse d'audimat dans tous les coins de la planète. Le doigt figé sur la télécommande bouton 2.

L'auteur démarre en lisant un extrait de son roman, le fameux grand-père, répondant au souhait de l'animateur, en déployant une énergie que l'apparence du personnage n'aurait jamais laissé présager. Clouages en série, souffles coupés, sueurs difficilement dissimulées sous les maquillages. Costes émet en fréquence vive, personne ne s'y attendait. N'aurait pu s'y attendre. Quelques états seconds recensés dans les foyers. Coup de feu aux urgences.

Au cours de l'entrevue scandaleusement brève par rapport à toutes les interminables ayant précédé, j'apprends dans les grandes lignes le parcours de l'écrivain, pêle-mêle musique dans des caves, performances gores dans des caves, opéras pornos-sociaux dans des caves, littérature… Costes se prête au jeu de l'interview avec sincérité, humour et sensibilité, j'entre en phase d'affection, ça frôle le désir. Jean-Louis Costes écrit bien évidemment dans une cave, se ressource en Guyane, y met le feu à l'occasion (si par un fâcheux hasard tu tombes sur ces lignes, Jean-Louis, offre-toi un droit de réponse dans les grandes largesses et viens nous raconter ça). Après une histoire de carottes dans le cul et une anecdote sur sa rencontre avec le Christ crucifié un soir de déchire, le tour de Costes passe et l'émission continue ailleurs, générique de fin en ce qui me concerne.

La nuit, elle, n'est cependant pas terminée (et donc cet article, mais va-t-il se taire enfin ?!), l'intérêt tient en éveil et je ne pourrais de toute façon pas m'endormir sans avoir le cœur bien net quant à ce que j'ai entendu plus tôt. Nuit trop avancée pour faire dans l'original : Google puis Jean-Louis Costes tapé en quatre cinq fois par des doigts en état d'ivresse manifeste. Et croyez-moi, je n'aurais vraisemblablement rien trouvé comme résultat pertinent si un quelconque contrôle parental était activé sur mon ordinateur… A côté de ce que j'ai déniché, la pornographie apparaît comme un épisode des Télétubbies qu'on regarde en avalant ses Chocapic. Ne cherchez plus, il n'y a plus de limite à franchir, Jean-Louis s'est occupé de tout. Ça va très loin. Et ça y va très fort. Faire mieux (ou pire, je vous laisse le choix de l'angle) équivaudrait à s'auto émasculer, s'auto énucléer, s'auto décapiter etc. Jetez un œil sur les photo-romances de son site, si vous en ressortez aussi propre que lorsque vous y êtes entré, chapeau ! Ce n'est pas l'endroit conseillé à ceux qui chérissent leurs certitudes. Plutôt une lame qui charcute l'âme bien profond, jusqu'à l'hémorragie de conscience.

Costes s'est construit son propre héritage de violences, de souffrances, d'excréments et de sang versés jusqu'à en faire de l'ardent à même peau.
Et d'ailleurs son roman puise à pleines poignées dans cette matière brutale pour pogromer bien comme il faut la littérature et ses rayons bondés de kilomètres de pages insipides.
Si vous êtes du genre lecteur attentif et studieux, la description détaillée presque froidement - style mode opératoire - des violences subies et le plus souvent infligées par le grand-père au cours de son périple à travers le monde, vous ne pourrez échapper à quelques douleurs, de celles qui travaillent jusqu'à ne plus pouvoir retenir le cri. Costes ne fait pas dans la métaphore, que ce soit dit, il en sait trop long sur le sujet pour seulement s'encombrer de synonymes. Ce qui l'intéresse est de vous accrocher le regard vous l'arracher si besoin, vous interdire l'échappatoire, vous foutre le nez en plein dedans et ne vous lâcher qu'au stade ultime de l'étouffement, en usant d'une petite touche d'humour le plus souvent. Du genre « sans rancune ».

Bref, Jean-Louis Costes n'est pas recommandable, à peine fréquentable, n'est pas le gendre idéal, ne connaît pas la signification du mot « tabou » et se l'est probablement foutue où je pense, mais surveillez-le du coin de l'œil, c'est peut-être lui notre guide vers la rédemption nécessaire de la race. De la rédemption enfoncée sans ménagement dans tous les orifices. Histoire d'être bien clair.

 

[1] : l'utilisation d'un vocabulaire potentiellement tendancieux est presque indépendante de ma volonté.
[2] : Grand-Père de Jean-Louis Costes, Editions Fayard, 2006

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Pour approfondir ses relations avec Jean-Louis Costes :

Costes seul contre tous (déconseillé aux bucoliques amateurs de belles pâquerettes)

D'autres infos sur le site officiel du roman Grand-père

Un article de Pierre Laurent paru en février 2006 sur Francopolis

Le roi du shit, un texte de Costes sur le site www.subversiv.com

BONUS TRACK : Un article de Jean-Louis Costes sur Jean Genet paru dans TsimTsoûm






Par Teri Alves
pour francopolis
Mai  2006 




Créé le 1 mars 2002

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