Articles sur les
poètes et la poésie francophones
contemporains
&
Traductions en français
de poètes du monde entier.







 
actu  
  archives

"Roberto Juarroz,
vision sphérique et introspective
"

par Lionel Morello

Roberto Juarroz est né le 5 octobre 1925 à Coronele Dorrego dans la province proche de Buenos Aires.
Tout l’œuvre porte le nom de « Poésie Verticale » qui traduit la verticalité de la transcendance (incodifiable précise-t-il).
Il a reçu plusieurs prix de poésie, en Argentine et à l'étranger. En 1992, il a fait partie du "Groupe de réflexion sur la transdisciplinarité auprès de l'Unesco". Son oeuvre a été  traduite en une vingtaine de langues étrangères. Il est mort à Buenos Aires le 31 mars 1995.

Pour saisir cette vision poétique particulière, il faut avoir à l’esprit une démarche proche de Novalis(1772-1801) pour qui la poésie est l’absolu réel, l’absolu c’est à dire qui existe indépendamment de toutes conditions. Novalis unit le mysticisme à une explication allégorique de la nature.

Bien entendu chez Roberto Juarroz il n’y a pas d’approche théologique mais plutôt une démarche que je qualifierai de métaphysique, c’est à dire une approche transpoétique de l’être en tant qu’être placé dans un « infini sans nom »

Roberto Juarroz précise que la poésie est « une méditation transcendantale du langage, »une vie non fossilisée ou dé fossilisée du langage »  L’Œuvre est un chemin de l’éveil, un questionnement intuitif qui sans cesse se renouvelle sur une réalité cachée, cet indicible qui échappe à l’entendement humain, hors de tous les idéaux, la politique, une poésie qui n’est engagée que dans elle même.
Et c’est ainsi dira-t-il « que la vie peut paraître dénuée de sens, inutile,…,le vide entre en nous,….il se forme dans le monde une multitude occulte et silencieuse, sous cet angle l’important , c’est plutôt la qualité du silence auquel la poésie vient répondre » le silence étant l’inconnu en nous(démarche introspective) et hors de nous.

"Tout communique avec quelque chose.
Mais avec quoi communiquent
les fleurs qui s'ouvrent la nuit ?

Il faut  bien comprendre que l’absolu représente chez Juarroz une vision poétique qui ne dépend pas de la connaissance humaine mais qui intègre une certaine relativité puisqu’il y a une interaction des choses entre diverses échelles du regard, tantôt à l’extérieur (l’univers) tantôt à l’intérieur (l’être) . Il écrit cette superbe strophe:

''L’univers s’explore lui même
La vie est un instrument
Dont se sert l’univers
Pour explorer » 

Alors je préfère écrire qu’il s’agit d’une poésie du réel absolu c’est à dire une réalité indépendante de la connaissance humaine mais relative puisque dépendante des lois de l’univers. En avoir conscience permet d’atteindre une vision dépolluée , étouffée par le « moi quotidien », une sorte d’ hyper lucidité qui me touche particulièrement puisqu’il y a la conscience d’une gravité utile et parfois dérisoire des choses qui nous entourent.
La matière est en quête d’elle même et se meut en saccades pour parvenir à un éclair de lucidité .

Cohérence chez Roberto Juarroz veut dire un désordre coordonné dans un tout faisant partie du tout, indéfini, sans fin ni début et l’être est cet « œil qui voit et qui ne voit ». Avec Roberto la vision devient cosmique, atemporelle  « le présent est comme l’origine » écrit-il.
Et cet œil (qui voit et ne voit pas) veut être aussi une vision sphérique, « un regard vertical vers lui même (transcendance) qui s’élance parfois comme une balle », la balle étant cette sphère qui n’a pas de trajectoire définie, qui rebondit sur cette matière qu’elle ne peut pénétrer que par la pensée( le mot pluie est très représentatif en effet, voir son poème dont un extrait est « et la pensée pleut sous le monde diluant le soubassement des choses ») 

Il y a un réel désir de pénétrer la matière par un étouffement du moi « il faut explorer par une étreinte détachée du corps, les courants sans image du total abandon » écrira-t-il .
Roberto Juarroz a pleinement conscience d’une vision faussée et qu’il faut aller au delà du regard, faire corps avec cette pensée universelle car la vision n’est autre qu’une résultante de la pensée faussée par le moi. Et ajoute-t-il « voir est par contre ouvrir une avenue de pensée au delà de la lumière » « la clarté est au revers de la lumière »

Le revers sera également défini mais je le citerai à la suite du commentaire. On devine aisément qu’il ne s’agit de l’œil habituel mais de cet œil qui voit autre chose que l’habituel et les petits tracas quotidiens…. En outre je remarque que cette poésie est écrite dans un vocabulaire simple comme si Roberto Juarroz avait pour souci d’éclairer, d’épurer  à l’extrême cette pensée qu’il écoute et pour accomplir cette tâche il lui faut un langage porteur dans l ‘idée Et un vocabulaire simple et bien défini le permet car écrit-il « la voix est l’ombre qui projette la pensée »ou encore « la voix fait de l’ombre »
 
Par voix Roberto Juarroz sous entend le langage de l’être, le langage étant la voix de l’univers.  Il lui faut donc une écriture simple pour aller vers une nudité essentielle, pour pénétrer « l’inconnaissable du connu où nous vivons »(Roger Munier), autrement dit l’indicible, l’impossible, « la poésie étant une tentative risquée et visionnaire d’accéder à un espace qui a toujours préoccupé et angoissé l’homme » « le visible est une faille de l’invisible » écrira-t-il .

Pour y parvenir donc, il faut épurer la langue, ne pas se perdre dans des logorrhées verbales confuses et qui desservent le message de l’auteur. Roberto Juarroz a eu cette superbe phrase, une de celles que je préfère « le regard d’un mot est son sens entre les paupières tremblantes d’une perte ».

Il semble que le silence soit indissociable du langage, cette part qui nous échappe est hors de la connaissance humaine.
D’ailleurs il écrit à nouveau « il existe un alphabet du silence mais on ne nous a pas appris à l’épeler » Ce qui explique  une des raisons pour lesquelles Roberto Juarroz définit jusqu’à l’ultime terme employé. Pour l’envers par exemple qu’il emploie souvent dans son livre, il définit comme suit « l’envers est la zone Où tout le perdu se retrouve ».  Et c’est au poète d’y entrer.

Ils étaient pour un autre monde

Tout dialogue, rompu.
Tout amour, rapiécé.
Tout jeu, marqué.
Toute beauté, tronquée.

Comment sont-ils arrivés jusqu’ici ?

Tout dialogue, verbe.
Tout amour, sans pronoms.
Tout jeu, sans règles
Toute beauté, offrande.

Il y a sans doute une faille
dans l’administration de l’univers
Des créatures erronées ?
Des mondes égarés ?
Des dieux irresponsables ?

Ils étaient pour un autre monde."


Roberto Juarroz, Quatorzième poésie verticale, édition bilingue, traduction de Silvia Baron Supervielle, José Corti 1997, p. 35.

On frappe à la porte.
Mais les coups résonnent au revers,
Comme si quelqu’un frappait de l’intérieur.

Serait-ce moi qui frappe ?
Peut-être les coups de l’intérieur
Veulent-ils couvrir ceux de l’extérieur ?
Ou bien la porte elle-même
a-t-elle appris à être le coup
pour abolir les différences ?


ce qui importe est que l’on ne distingue plus
frapper d’un côté
et frapper de l’autre.

Llaman a la puerta.
pero los golpes suenan al revés.
Como si alguien golpeara desde adentro.
Llaman a la puerta.
Pero los golpes suenan
al revés,
Como si alguien golpeara desde adentro.

Acaso sere yo quien llama ?
Quiza los golpes desdes adentro
Quieren tapar a los de afuera ?
O tal vez la puerte misma
Ha aprendido a ser el golpe
Para abolir las diferencias ?
Lo que importa es que ya no se distingue
Entre llamar desde un lado
Y llamar desde el otro."


Roberto Juarroz, dans Onzième Poésie Verticale, éditions Lettres vives, collection Terre de poésie, page 6.


Mon commentaire au sujet de Poésie Verticale écrit par Roberto Juarroz disponible aux éditions Fayard, livre traduit de l’espagnol par Roger Munier .


Liens relatifs

Quelques idées sur le langage de la transdisciplinarité  par Roberto Juarroz

Parfois il paraît que nous sommes au centre de la fête,
mais au centre de la fête il n'y a personne,
au centre de la fête il y a le vide,
mais au centre du vide il y a une autre fête
.

**

Un essai critique de Martine Broda sur l'oeuvre poétique du poète argentin Roberto Juarroz


Hommage à Roberto Juarroz

- Une présentation original en tableaux de sa poésie
- Une lecture en musique de deux de ses poèmes.

Des extraits

- Découvrir quelques extraits sur le site Notre relation avec l'Univers
- Lire quelques textes choisis sur le site de Sylvaine Arabo

-Quinzième poésie verticale, Roberto Juarroz, poèmes traduits par Jacques Ancet, éditions José Corti


Critiques dans Lire:fr

Placés sous le titre générique de «Poésie verticale», ceux-ci déclinent une approche du quotidien qui verse dans l'infini.

Quinzième poésie verticale, par Marc Blanchet
Lire, novembre 2002


Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer