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de poètes du monde entier.







 
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UMAR TIMOL, POETE MAURICIEN



Vagabondages

Ma langue maternelle, - la sève qui nourrit ma parole, la sève qui abonde dans les couloirs de mon inconscient, la sève qui retrace les souvenirs de l'enfance, la sève qui a irrigué mes premiers pas, la sève qui irriguera mes derniers balbutiements, - est le creole mais, - est-ce parce que l'île  est le lieu de la fracture, ile-torturee, ile tourmentee ?, - ma langue d'écriture est le français.Je n'écris pas en français, je l'écris sans l'écrire car elle est matière que j'observe, que je guette, une présence qui se fond dans l'absence, matière fugitive, matière qui obéit au désordre, matière semblable a un animal féroce, animal qui arpente les arènes du lointain, animal adepte de jeux cruels, animal qui me lance un défi, renouvelé et perpétuel, matière qui fustige les altérations, matière qui refuse le devenir de nos conjugaisons.Et il me faut donc entamer la traversée vers la langue, traversée sur un océan cerné par le doute et la peur, virgule ivre sur les flots sombres, alors atteindre la langue, l'accaparer, la maîtriser, l'assagir, il me faut la désemparer, déchirer ses apparats, dénuder son histoire, éclairer ses instances primitives et ses vulgaires naissances, il me faut dénouer ses arcanes, la liquéfier, la ramener a son essence, évider les masques de son pouvoir, il me faut épuiser ses séductions afin de me l'approprier, de l'insérer, de l'enfouir en moi afin d'en faire ma langue, langue mêlée à une inéluctable subjectivité, langue mêlée aux couchers de mes fauves et de mes fièvres.Mais la langue et ses mots sont ailleurs. Toujours.Je les vois, ils sont des fantômes, lucioles accrochées aux mirages, je m'approche d'eux, je les regarde, je les épie, certains se détournent, certains s'éloignent, certains s'enfuient, certains se cachent, mais d'autres frôlent les lignes de mes mains, s'incrustent dans mes paumes, d'autres percent mes narines et saisissent mon coeur, d'autres me foudroient et mes langueurs les crachent au lieu de la fusion et ils s'enchaînent, ils se métissent, - obscènes avant d'être belles -,  coulent et maculent la page.Il m'arrive de croire que je sais les soudoyer mais ce sont les ombres chaotiques qui me possèdent.Cet échec de la langue sert une volonté de dépassement. Puisque la langue est aux confins, puisque la langue ne m'appartient pas, puisque la langue participe à la transcription de ma part d'indicible et de sacré, puisqu'elle sert a semer ma trace dans le temps alors elle réclame a ce que je la détourne et l'explose, a ce que je la pousse a ses limites, elle sera langue-créole, langue-séga, langue-tam-tam, langue-islam, langue mystique, langue hybride, langue bâtarde, elle sera langue à l'entre-deux, langue charpentée par le ressac des impossibles rencontres, elle sera langue pour dire le silence, langue du jamais-dire, elle sera langue châtiée de ses pudeurs, langue-folle, langue excessive, elle sera langue féconde, éventrée et dépouillée, constamment réinventée et constamment changée.Ce sont les impasses de la langue qui rendent ma poésie possible.Je suis poète a défaut d'une langue.

Le francais demeurera langue inconnue, étrange et étrangère mais elle est aussi langue nouvelle, langue rêvée, ma langue, langue macérée et mélangée, langue-fleuve qui embrase ma source et ma sève.
Extrait de La Parole Testament ( L'Harmattan - 2003 )



Rwanda
(
poème inspire d'un livre ' Une saison de Machettes', qui évoque le génocide Rwandais)

Il faut le perforer, avec un canif affame et impudique, ce coeur, coeur infidèle mais qui
t'ordonne être de raison, il faut l'empoigner, tel
un orfèvre qui torture sa création, ce coeur, coeur ingrat mais qui se vante d'aimer, il faut le déchirer ce coeur, coeur malade mais qui décrète que la compassion est son obéissance, il faut semer la discorde en ce coeur, coeur en fuite, coeur poussiéreux et immonde mais qui confesse l'ordre et la logique, il faut l'ouvrir et le tuer ce coeur, coeur-imposture et que s'exhibe sa pourriture et sa puanteur, coeur qui escamote bête qui se nourrit de pus et de sang, bête qui voltige le couteau et la hache, bête qui gicle les massacres, enfants et femmes, personne n'y échappera, bête qui se vautre dans les entrailles de la violence et du génocide, il faut longtemps le regarder ce coeur, ami lecteur, car demain tu exécuteras ses disgrâces, car demain
tu t'en iras fusiller des yeux terrifiés - que scintille encore un peu la flamme de la vie -, car  demain tes mains maculées de haine s'acharneront sur le corps de ton frère et de ta soeur, celui que ton coeur-folie désignera autre, désignera cancrélat, vermine et ennemi, il faut longtemps le regarder ce coeur, ami lecteur, abandonne donc ton dégoût et ravale les vomissures qui vont t'emmurer car les abîmes vertigineuses nous implorent et demain commencera la chute.


Voix
(poème inspiré d'une chanson indienne)

Votre voix, fourbe et onctueuse, misérable et délicieuse, danse sur ma peau devenue toile, sur ma peau devenue soie, sur ma peau devenue pavillon, pavillon noir drapé de soleils, votre voix, drogue immaterielle, tresse trousseau de lumière qui étrangle ma poitrine et enneige mes sens, votre voix, impératrice de cultes innomables, écorche mes doctrines, ébranle mes accoutumances et empale ma foi, votre voix, adorable et brutale, est un temple d'or et de braise et de feu ou s'avilit ma mélancolie, votre voix, étoile errante cachée, est une insidueuse, sinon même perfide, qui sonne et carillonne toutes les fibres de mon âme, votre voix, savante et languide, me dorlote et me berce et me brise sur ces murs fêles ou demeure le sceau de l'insconscience, votre voix, caresse et repit, est l'embrasure d'ou on épie les aromes du divin, votre voix, amante et mère, est celle qui console, ne serait-ce que le temps d'une larme, de nos coutumières fatalités.

Ulmar Timol


Créé le 1 mars 2002

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