Louisfert-en-poésie
Demeure René Guy Cadou
par Léah

La Brière en chaland,
photo Cécile Guivarch
Quand dans la demeure d'un Poète entrent trois apprentis
poètes, émotion garantie ! D'autant plus que
nous avons eu le privilège de converser avec Hélène
la bien-aimée
Laissons René Guy lui-même nous
accueillir dans sa demeure
Celui
qui entre par hasard
Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque noeud du bois renferme davantage
De cris d'oiseaux' que tout le coeur de Ia. forêt
II suffit qu'une lampe pose son cou de femme
A la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
Et 1'odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu'une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
La légèreté d'un arbre dans le
matin.
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Mais avant d’entrer dans cette maison
d’école, (devenue ‘la Demeure René
Guy Cadou’ par la volonté de quelques anciens
élèves et grâce à la présence
d’Hélène Cadou qui en est le conservateur),
nos ballades en pays nantais ont été un beau
prélude. Cécile évoque la jeunesse
du poète à Nantes –où nous étions
le premier soir. Le poète vivait avec sa famille
dans la ville, allait au lycée et y a rencontré
son ami, le libraire Michel Manoll.
Le lendemain pique-nique au coeur des marais
de la Grande Brière ; puis promenade au fil de l'eau
en chaland, horizon plat, fermé, protecteur mais
ouvert à l'imaginaire par ces reflets ces envols
d'oiseaux ce canal traversier et ces entrelacs entre terre,
ciel, eau et lumière. On peut ici imaginer le poète
Puisant tranquillement
dans les fossés du ciel
En fin de journée parc animalier et
je pense au poème de René Guy
REFUGE
POUR LES OISEAUX
Entrez
n'hésitez pas c'est ici ma poitrine
Beaux oiseaux vous êtes la verroterie fine
De mon sang je vous veux sur mes mains
Logés dans mes poumons parmi l'odeur du thym
Dressés sur le perchoir délicat de mes
lèvres
Ou bien encor pris dans la glu d'un rêve
Ainsi qu'une araignée dans les fils du matin
La douleur et la chaux ont blanchi mon épaule
Vous dormirez contre ma joue les têtes folles
Pourront bien s'enivrer des raisins de mon coeur
Maintenant que vous êtes là je n'ai plus
peur
De manquer au devoir sacré de la parole
C'est à travers vos chants que je parle de
moi
Vous me glissez des bouts de ciel entre les doigts
Le soleil le grand vent la neige me pénétrent
Je suis debout dans l'air ainsi qu'une fenêtre
Ouverte et je vois loin
Le Christ est devenu mon plus proche voisin
Vous savez qu'il y a du bleu dans mes prunelles
Et vous le gaspillez un peu dans tous les yeux
Refermez les forêts sur moi c'est merveilleux
Cet astre qui ressemble tant à mon visage
Un jour vous écrirez mon nom en pleine page
D'un vol très simple et doux
Et vous direz alors c'est René Guy Cadou
Il monte au ciel avec pour unique équipage
La caille la perdrix et le canard sauvage
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Ce poème ne vous rappelle-t-il pas
celui de Francis Jammes « Prière pour aller
au Paradis avec les ânes » ?
Le lendemain ballade dans les marais salant de Guérande.
Là on est en contact direct avec les éléments,
l'air l'eau le feu la terre qui par un équilibre
parfois capricieux donnent ce trésor indispensable
à la vie, l'or blanc.
Et enfin départ pour Louisfert ! Parmi ces journées
très ensoleillées le ciel là-bas était
voilé, comme pour adoucir, donner à la lumière
quelque chose de ce que René Guy a connu dans ce
petit village. En fait, il n'y a rien, ou si peu, à
Louisfert Un village presqu'aussi paisible aujourd'hui qu'il
a pu l'être quand Cadou y était instituteur
et que de chez lui il identifiait le moindre bruit...

La maison d'école
de Louisfert - Photo Cécile Guivarch
On entre d'abord dans la cour de recréation de cette
maison d'école et tout est dans l'état d'autrefois
: le préau, où reste dessinée la marelle,
les toilettes "au fond de la cour à gauche"
avec leur porte de bois à la peinture gris bleue
fendillée, les quelques quatre ou cinq plantes côté
rue, les gravillons...
Et on ne peut que se rappeler ce que disaient de l'Ecole
de Rochefort ceux qui la fréquentaient : c'était
une cour de récréation !
Une charmante jeune dame nous invite à entrer, peu
de paroles mais un courant d'émotion très
fort : elle ne voit sans doute ici que de vrais passionnés
par notre cher Poète Elle nous apprend (ô joie
!) que Hélène passera dans l'après-midi...
La salle n'est pas très grande et a gardé
son atmosphère d'école : les pupitres ont
été remplacés par des vitrines, disposées
de part et d'autre de l'allée centrale ; le parquet
est celui que foulaient maître et élèves
; les fenêtres diffusent une douce lumière
voilée Aux murs, de grandes photos de René
Guy et aussi les visages réunis de ceux qui ont formé
sa constellation poétique : Pierre Reverdy, Max Jacob,
Federico Garcia Lorca, les amis de Rochefort...
Les vitrines une à une égrènent les
reliques de cette vie de poète : premières
cartes écrites à sa famille, portraits de
ses parents, rédaction philosophique, photos d'amis
du lycée de Nantes... Emouvantes entre toutes pour
ses lecteurs, les photos de la rencontre avec Hélène
-et quel symbole que cette rencontre sur le quai d'une gare
!-, du mariage, des jeunes époux avec leur chien
et chat (l'un des deux animaux fut baptisé Orphée)
…souvenir de l'école, le sifflet du maître
; des pipes, des manuscrits, des éditions originales
de ses recueils
Une très belle vidéo au texte très
sensible très proche de Cadou, retraçant sa
trop courte vie et ses rencontres poétiques, mais
aussi ses deuils : un frère mort avant sa naissance,
et dont ses parents lui donneront le prénom, René
ou Guy ? Départ de ses parents, René Guy se
retrouve orphelin à 17 ans... C'est l'année
où sera publié son premier recueil Brancardiers
de l'aube Cadou a déjà été remarqué
et encouragé par le grand aîné Max Jacob
Vision de Nantes, ville de ses études ; témoignage
de condisciples, itinéraire poétique avec
les amis de l'Ecole de Rochefort et itinéraire amoureux,
avec un seul nom celui de la Bien-Aimée Hélène
Tu venais
de si loin derrière ton visage
Que je ne savais plus à chaque battement
Si mon coeur durerait jusqu'au temps de moi-même
Où tu serais en moi plus forte que mon sang
|
Justement, Hélène, nous la
voyons juste passer en catimini, vers le fond de la salle
; elle sort du petit appartement où se trouvait la
cuisine, ce qui permettait aux élèves de respirer
les délicieux fumets des civets qu'Hélène
évoque dans ses souvenirs, civets partagés
avec le pain, par les amis poètes
Et nous coupions le pain comme
un gros gâteau gris
Un itinéraire professionnel chaotique,
René Guy instituteur remplaçant est nommé
d'un village à l'autre au hasard des affectations,
et enfin l'enracinement à Louisfert, d'où
il s'absentera très peu
Michel Manoll écrit dans sa préface à
Poésie la vie entière que l'on peut comparer
la Maison d'école de Louisfert au presbytère
de Haworth où ont vécu les soeurs Brontë
"haut lieu où souffla
l'Esprit, lui aussi battu par les vents du large"
La lumière douce et suspendue de
l'après-midi à Louisfert restera dans nos
souvenirs ; ainsi que ces minutes précieuses où
Hélène est venue nous parler sous le préau.
Avec elle c'est toute la mémoire du poète
qui s'avance vers nous
Nous repartirons avec quelques livres et
l'impression d'avoir assisté à une classe
faite par ce maître d'école qui à peine
le dernier élève parti retournait vers son
bureau d'écrivain pour écrire encore et encore,
puisque (comme le dit Hélène dans la vidéo)
elle et lui savaient que la mort attendaient le poète...
C'est pourquoi le temps terrestre lui était, leur
était si précieux et qu'ils n'ont pas voulu
distraire par des voyages cette veillée tant amoureuse
que d'écriture
Cette modeste maison d'école n'attire
pas l'attention, mais elle rayonne dans le monde entier
: René Guy Cadou est un des poètes les plus
traduits
Je laisse les derniers mots à Hélène
(extraits de son livre C'était hier et c'est demain)
Comment te revoir autrement que
la main tendue, le regard ouvert, la parole et le rire aux
lèvres, perméable aux atteintes de la joie,
du jour, de la tristesse, comme si nulle frontière
n'eût existé entre toi et les autres, entre
toi et le monde ?
Après nous sommes allés à
Sainte Reine de Bretagne, petite ville au coeur de la Brière.
René Guy Cadou y est né, dans la maison d'école.
Ses parents étaient instituteurs. L'école
est devenue la mairie actuelle. En traversant la route,
l'allée du Calvaire où René Guy aimait
jouer. La famille quitte Sainte Reine de Bretagne alors
qu'il a 7 ans.
Sainte-Reine
de Bretagne
En Brière où je suis né
A se souvenir on gagne
Du bonheur pour des années !
Est-ce
toi qui me consoles
Lente odeur des soirs de juin
Le foin mûr des tournesols
Le chant d'un oiseau lointain ?
C'est la
pluie ancienne et molle
Qui descend sur le jardin
Et ma mère en robe blanche
Un bouquet dans chaque main. |
Remerciements…
À René Guy et à Hélène
Cadou, à celles et ceux qui font perdurer la mémoire
du poète
À Cécile et Orlando, compagnons de pèlerinage

Photo : Orlando Jotape Rodriguez
René
Guy Cadou, un poète et son oeuvre, par Isabelle
Herbert
Itinéraire
poétique par Cécile Guivarch
René Guy
Cadou, aperçu poétique par Orlando Jotape
Rodriguez
Par Léah, Isabelle Herbert,
Orlando Jotape Rodriguez et Cécile Guivarch
pour Francopolis
octobre 2005
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