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Sur les traces de René-Guy Cadou

Par Léah, Isabelle Herbert, Orlando Jotpae Rodriguez et Cécile Guivarch

Louisfert-en-poésie
Demeure René Guy Cadou
par Léah

La Brière en chaland, photo Cécile Guivarch


Quand dans la demeure d'un Poète entrent trois apprentis poètes, émotion garantie ! D'autant plus que nous avons eu le privilège de converser avec Hélène la bien-aimée

Laissons René Guy lui-même nous accueillir dans sa demeure

Celui qui entre par hasard


Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque noeud du bois renferme davantage
De cris d'oiseaux' que tout le coeur de Ia. forêt
II suffit qu'une lampe pose son cou de femme
A la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
Et 1'odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu'une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
La légèreté d'un arbre dans le matin.

 

Mais avant d’entrer dans cette maison d’école, (devenue ‘la Demeure René Guy Cadou’ par la volonté de quelques anciens élèves et grâce à la présence d’Hélène Cadou qui en est le conservateur), nos ballades en pays nantais ont été un beau prélude. Cécile évoque la jeunesse du poète à Nantes –où nous étions le premier soir. Le poète vivait avec sa famille dans la ville, allait au lycée et y a rencontré son ami, le libraire Michel Manoll.

Le lendemain pique-nique au coeur des marais de la Grande Brière ; puis promenade au fil de l'eau en chaland, horizon plat, fermé, protecteur mais ouvert à l'imaginaire par ces reflets ces envols d'oiseaux ce canal traversier et ces entrelacs entre terre, ciel, eau et lumière. On peut ici imaginer le poète

Puisant tranquillement dans les fossés du ciel

En fin de journée parc animalier et je pense au poème de René Guy

REFUGE POUR LES OISEAUX

Entrez n'hésitez pas c'est ici ma poitrine
Beaux oiseaux vous êtes la verroterie fine
De mon sang je vous veux sur mes mains
Logés dans mes poumons parmi l'odeur du thym
Dressés sur le perchoir délicat de mes lèvres
Ou bien encor pris dans la glu d'un rêve
Ainsi qu'une araignée dans les fils du matin
La douleur et la chaux ont blanchi mon épaule
Vous dormirez contre ma joue les têtes folles
Pourront bien s'enivrer des raisins de mon coeur
Maintenant que vous êtes là je n'ai plus peur
De manquer au devoir sacré de la parole
C'est à travers vos chants que je parle de moi
Vous me glissez des bouts de ciel entre les doigts
Le soleil le grand vent la neige me pénétrent
Je suis debout dans l'air ainsi qu'une fenêtre
Ouverte et je vois loin
Le Christ est devenu mon plus proche voisin
Vous savez qu'il y a du bleu dans mes prunelles
Et vous le gaspillez un peu dans tous les yeux
Refermez les forêts sur moi c'est merveilleux
Cet astre qui ressemble tant à mon visage
Un jour vous écrirez mon nom en pleine page
D'un vol très simple et doux
Et vous direz alors c'est René Guy Cadou
Il monte au ciel avec pour unique équipage
La caille la perdrix et le canard sauvage

 

Ce poème ne vous rappelle-t-il pas celui de Francis Jammes « Prière pour aller au Paradis avec les ânes » ?

Le lendemain ballade dans les marais salant de Guérande. Là on est en contact direct avec les éléments, l'air l'eau le feu la terre qui par un équilibre parfois capricieux donnent ce trésor indispensable à la vie, l'or blanc.
Et enfin départ pour Louisfert ! Parmi ces journées très ensoleillées le ciel là-bas était voilé, comme pour adoucir, donner à la lumière quelque chose de ce que René Guy a connu dans ce petit village. En fait, il n'y a rien, ou si peu, à Louisfert Un village presqu'aussi paisible aujourd'hui qu'il a pu l'être quand Cadou y était instituteur et que de chez lui il identifiait le moindre bruit...

 

La maison d'école de Louisfert - Photo Cécile Guivarch


On entre d'abord dans la cour de recréation de cette maison d'école et tout est dans l'état d'autrefois : le préau, où reste dessinée la marelle, les toilettes "au fond de la cour à gauche" avec leur porte de bois à la peinture gris bleue fendillée, les quelques quatre ou cinq plantes côté rue, les gravillons...
Et on ne peut que se rappeler ce que disaient de l'Ecole de Rochefort ceux qui la fréquentaient : c'était une cour de récréation !
Une charmante jeune dame nous invite à entrer, peu de paroles mais un courant d'émotion très fort : elle ne voit sans doute ici que de vrais passionnés par notre cher Poète Elle nous apprend (ô joie !) que Hélène passera dans l'après-midi...
La salle n'est pas très grande et a gardé son atmosphère d'école : les pupitres ont été remplacés par des vitrines, disposées de part et d'autre de l'allée centrale ; le parquet est celui que foulaient maître et élèves ; les fenêtres diffusent une douce lumière voilée Aux murs, de grandes photos de René Guy et aussi les visages réunis de ceux qui ont formé sa constellation poétique : Pierre Reverdy, Max Jacob, Federico Garcia Lorca, les amis de Rochefort...
Les vitrines une à une égrènent les reliques de cette vie de poète : premières cartes écrites à sa famille, portraits de ses parents, rédaction philosophique, photos d'amis du lycée de Nantes... Emouvantes entre toutes pour ses lecteurs, les photos de la rencontre avec Hélène -et quel symbole que cette rencontre sur le quai d'une gare !-, du mariage, des jeunes époux avec leur chien et chat (l'un des deux animaux fut baptisé Orphée)
…souvenir de l'école, le sifflet du maître ; des pipes, des manuscrits, des éditions originales de ses recueils
Une très belle vidéo au texte très sensible très proche de Cadou, retraçant sa trop courte vie et ses rencontres poétiques, mais aussi ses deuils : un frère mort avant sa naissance, et dont ses parents lui donneront le prénom, René ou Guy ? Départ de ses parents, René Guy se retrouve orphelin à 17 ans... C'est l'année où sera publié son premier recueil Brancardiers de l'aube Cadou a déjà été remarqué et encouragé par le grand aîné Max Jacob
Vision de Nantes, ville de ses études ; témoignage de condisciples, itinéraire poétique avec les amis de l'Ecole de Rochefort et itinéraire amoureux, avec un seul nom celui de la Bien-Aimée Hélène

 

Tu venais de si loin derrière ton visage
Que je ne savais plus à chaque battement
Si mon coeur durerait jusqu'au temps de moi-même
Où tu serais en moi plus forte que mon sang

 

Justement, Hélène, nous la voyons juste passer en catimini, vers le fond de la salle ; elle sort du petit appartement où se trouvait la cuisine, ce qui permettait aux élèves de respirer les délicieux fumets des civets qu'Hélène évoque dans ses souvenirs, civets partagés avec le pain, par les amis poètes
Et nous coupions le pain comme un gros gâteau gris

Un itinéraire professionnel chaotique, René Guy instituteur remplaçant est nommé d'un village à l'autre au hasard des affectations, et enfin l'enracinement à Louisfert, d'où il s'absentera très peu
Michel Manoll écrit dans sa préface à Poésie la vie entière que l'on peut comparer la Maison d'école de Louisfert au presbytère de Haworth où ont vécu les soeurs Brontë "haut lieu où souffla l'Esprit, lui aussi battu par les vents du large"

La lumière douce et suspendue de l'après-midi à Louisfert restera dans nos souvenirs ; ainsi que ces minutes précieuses où Hélène est venue nous parler sous le préau. Avec elle c'est toute la mémoire du poète qui s'avance vers nous

Nous repartirons avec quelques livres et l'impression d'avoir assisté à une classe faite par ce maître d'école qui à peine le dernier élève parti retournait vers son bureau d'écrivain pour écrire encore et encore, puisque (comme le dit Hélène dans la vidéo) elle et lui savaient que la mort attendaient le poète...
C'est pourquoi le temps terrestre lui était, leur était si précieux et qu'ils n'ont pas voulu distraire par des voyages cette veillée tant amoureuse que d'écriture

Cette modeste maison d'école n'attire pas l'attention, mais elle rayonne dans le monde entier : René Guy Cadou est un des poètes les plus traduits

Je laisse les derniers mots à Hélène (extraits de son livre C'était hier et c'est demain)
Comment te revoir autrement que la main tendue, le regard ouvert, la parole et le rire aux lèvres, perméable aux atteintes de la joie, du jour, de la tristesse, comme si nulle frontière n'eût existé entre toi et les autres, entre toi et le monde ?

Après nous sommes allés à Sainte Reine de Bretagne, petite ville au coeur de la Brière. René Guy Cadou y est né, dans la maison d'école. Ses parents étaient instituteurs. L'école est devenue la mairie actuelle. En traversant la route, l'allée du Calvaire où René Guy aimait jouer. La famille quitte Sainte Reine de Bretagne alors qu'il a 7 ans.

Sainte-Reine de Bretagne
En Brière où je suis né
A se souvenir on gagne
Du bonheur pour des années !

Est-ce toi qui me consoles
Lente odeur des soirs de juin
Le foin mûr des tournesols
Le chant d'un oiseau lointain ?

C'est la pluie ancienne et molle
Qui descend sur le jardin
Et ma mère en robe blanche
Un bouquet dans chaque main.

Remerciements…
À René Guy et à Hélène Cadou, à celles et ceux qui font perdurer la mémoire du poète
À Cécile et Orlando, compagnons de pèlerinage


Photo : Orlando Jotape Rodriguez

René Guy Cadou, un poète et son oeuvre, par Isabelle Herbert

Itinéraire poétique par Cécile Guivarch

René Guy Cadou, aperçu poétique par Orlando Jotape Rodriguez

 

Par Léah, Isabelle Herbert,
Orlando Jotape Rodriguez et Cécile Guivarch
pour Francopolis
octobre  2005




Créé le 1 mars 2002

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