Articles sur les poètes et la poésie francophones contemporains
&
Traductions en français de poètes du monde entier.
ACCUEIL




Ira Feloukatzi et ses rencontres poétiques
Dans le cadre des activités relayés par le site RESONANCES Espace poésie expression réflexion1, la poète et journaliste d’origine grecque et d’expression française, Ira Feloukatzi organise régulièrement des soirées poétiques avec accompagnement musical dans divers espaces culturels parisiens.
Le programme « Poésie en 4 saisons » du  4 novembre 2014  à L’Entrepôt2 (Paris 14ème) recevait: Ira Feloukatzi,  Brigitte Gyr et Colette Nys-Mazure, pour des lectures de leur œuvre et d’auteurs étrangers de leur choix, avec la complicité de la comédienne grecque Nadia Mourouzi, et la contribution musicale du pianiste et composeur Nicolas Peigny3.




Un régal dont Francopolis souhaite faire part à ses lecteurs en reproduisant ici quelques textes… Merci aux poètes participantes d’avoir partagé ainsi avec nous leur belle soirée !

 - Colette Nys-Mazure

Radieuse
C'est une fille de haute liesse, à prendre la vie en proue, hisser les heures à vive allure, une femme libre de son essor. Elle rit vrai à la face du jour et son haleine a la fraîcheur des pointes d'herbe quand frémit l'aube. On tenterait de la retenir. La marge d'une étreinte, d'une page partagée, d'un morceau de pain rompu. Elle déjà plus loin que le tournant de l'été. On cherche son propre chemin dans le sillage fulgurant.

Rassemblée
Elle dort. Et le monde alentour tait sa trépidante vigueur. Le temps s'ordonne à loisir autour de la femme ramassée, corps joint, reclus, voilé. Toute une existence en sourdine, raccordée au flux, au reflux des marées. Elle dort et rejoint la nouvelle-née; l'amoureuse apaisée, l'accouchée, l'inquiète, la ralentie. Elle embrasse tous ses sommeils. Jusqu'à la mort.

Sauvegardée
De l'aube elle garde un air de royauté. Si démunie soit-elle, elle porte trace d'anciennes richesses. Comme une cape l'immuniserait du mal, du gel. On l'aperçoit égarée dans une rue, une gare, un bureau ; on la voit pareille à toutes les femmes. Une fine poussière recouvre déjà son visage qui fut vif, brillant et malicieux ; un retard dans les gestes, la démarche, l'achemine, loin du fracas et de la fureur, vers la blessure  toujours fraîche des tombes. De l’enfance elle détient un talisman.

(Ces trois poèmes sont extraits de Singulières et plurielles, Desclée de Brouwer, coll. Littérature ouverte, 2002.)



[Le ballon rouge]
                          Une lecture du tableau de Félix Vallotton (Le Ballon) (Musée d’Orsay)

Le champ est libre.
L’enfant s’élance dans l’ivresse du jour et du jeu.
Le ballon rouge roule frais.
Sans se soucier des grandes personnes
ni des ombres disloquées à sa poursuite,
l’enfant s’envole et moi avec elle.
Elle court, la petite fille neuve.
Sous les pieds, pas de chaussetrape.
Personne ne l’attrapera.
Ni les griffes du loup
ni les possibles prédateurs,
dissimulés sous les branches.

Extrait de Le Soleil ni la mort. Sur Vallotton, Editions Invenit, collection Exphrasis, 2013
Voir son site Vivre en poésie4 et présence à Francopolis au Salon de lecture5, (octobre 2012)


- Ira Feloukatzi6

Cachés du monde
Seul  au bord de la falaise
avec la lune dans tes bras,
grosse boule trop lourde
pour le jeu.

Au croisement je t'ai rencontré
nous avons pris le même chemin.

Maintenant cachés du monde
dans la lumière d'or
à entendre seulement la mer.
Saveurs douces de miel et de fruits,
baisers salés
corps délaissés
au charme du sourire.

Tu ouvrais la porte,
entraient des vieux fantômes.
J’élevais des murs pour nous rendre invisibles.
Une nuit, je me suis penchée sur toi,
je suis entrée dans ton for intérieur.
Alors le paysage s’est effacé
l’horizon est devenu
kaléidoscope phosphorescent
avec des milliers d'étoiles.

(du recueil Mythologies d‘amour, l’Harmattan, 2011)

Les âmes s’envolent    


Tu étais peut être un Dieux immatériel,  
peut être que le vent et la lumière
jouaient sur tes chevaux.
Mais tu conduisais le taxi
et tu me demandais
« où allons nous madame ? »
« où allons nous » ?
Je t’ai répondu,
«  là où la route n’a pas de fin
et tout est ouvert ».

C’est alors que j’ai vu
des ailes pousser de tes épaules,
j’ai vu apparaître sur le rétroviseur
ton sourire sobre, éternel.
L’horizon s’est rempli
de musique céleste,
le paysage bleu et rose
avec la mer écumée
s’en allait
au bord du crépuscule.

C’est alors que nos âmes
se sont unies,
et sont sorties par la fenêtre de la voiture.
Maintenant elles nagent ensemble
au bout de l’horizon
dans la lumière dorée du ciel.
(inédit)
Élévation
Soulève-moi dans tes ailes
dans tes mains
dans ton cœur.
Transporte-moi
dans les millénaires
loin des paysages sanglants
sur l’autre bord.
Que je cesse d’entendre
d’écrire
que je te touche avec ces cordes blanches
dont j’ignore où elles vont.
Que je brise les contours.
(du recueil Paysages vibrants, L'Harmattan, 2000)

L’imprévu
Matin pâle
sur les toits
de la ville endormie.

La Seine
cristal glacé
miroir
aux lumières de la nuit
qui s’achève.

Les fenêtres s’ouvrent
les rêves s’éteignent lentement.

En te penchant
sur l’eau figée,
tu peux refléter
chaque matin
l’imprévu
le miracle de la vie.
(du recueil Résonances6, édition bilingue, co-édition l'Harmattan – Livanis, 2001)


La poésie nous sauve

La poésie nous sauve
de tous les hivers
qui sillonnent l’existence.
La poésie, l’amour,
nous sauvent
quand soudain
ils surgissent du néant
de cette vie,
traversent le silence,
la souffrance, la peine
et les tracas du quotidien,
pour nous emporter,
sur un cheval blanc
passionné et sublime,
qui galope
sur des champs fleuris
jusqu’ à l’infini.
(inédit

Brigitte Gyr7
Incertitude de la note juste

lentement au plat de la douleur un monde
second se dessine au fond de nos yeux
parallèle aux ressauts de la vie
l’ailleurs rameuté les soirs de cafard
il s'en est fallu de peu…
qu'évidée de son corps
ton ombre se dresse devant nous
aveuglés de soleil
que nous la piétinions sans la voir
sur le mur où elle riait
que sur l'enduit gris du drap
son cri happe nos rêves rouges
gommant toute trace
de ce toi et moi primitifs
qui s'aimaient tant
il s'en est fallu de peu…
d'un tremble peut-être…
fouetté de vent
‘très léger nous’
reprenant vie dans
l'étranglé de la langue
pour que renaisse ton souvenir
du déni de la cendre

je suis retournée dans ton pays
mais ce pays n’est plus le tien

tu habites à présent
    une terre brûlée
    semée de grands arbres
un nocturne de Fauré
    te tient compagnie
    et elle qui le jouait

cette ville où je suis née
ce pays que j’ai emprunté
    je ne m’y reconnais pas

mon pays est ailleurs
il erre de ville en ville
rarement il se repose
au creux d’un buisson


là-bas
au bord de l’eau
    où autrefois
je bavardais avec les cygnes
tout était différent

l’atmosphère du soir semblait
trouée     de pierres et
              de grenailles
une locomotive
              refoulait son cri
un arbuste mince
              imposait sa solitude

parmi les herbes vieillies
             un camion bleu et
             le toit de l’église
se nichaient
derrière un bouquet de cactus

tu étais le silence


je me suis dit qu’il fallait fuir
loin très loin jusqu’à une
ville     fantôme de nos villes
où il n’y aurait
                plus de repère
                plus de lourdeur
où le mot douleur serait banni

et là
               roulée en boule
               dans le lit usagé
mordre à pleines dents
               dans une pomme juteuse
en renonçant à l’abstraction

j’ai pris le premier train venu
sans savoir où il me mènerait

il a suffi d’un moment
d’inadvertance
pour qu’on     te perde
moi et les autres on n’était plus là
quand     le wagon s’est éloigné
on ignorait     quelle part
de toi
te survivrait



mais
      à la gare
      lorsqu’un retard
      a été annoncé
on a pleuré


le souffle éteint

force au renoncement


derrière les tentures rouges
      le pain est rassis
      on a le vin triste

reste ce qui dure :
l’hémisphère gauche
      cassé
la main qui
      a cessé de répondre
le pouce devenu
      sans objet

dans la boîte
où     le bois est gris de poussière
le chat ne ronronne plus
le papier des vieux contes
       est effrité
       les boutures fanées
il n’y a plus de sable dans le bac

la mer est fatiguée


une heure revient parfois me hanter
l’heure
où         la montagne
            descendait
            dans la plaine

le lac était morne
les chandelles éclairant notre table
rendaient     l’atmosphère
                 mélancolique
les sorcières de Macbeth
se cachaient     sur la plage
il fallait lutter contre tout

…je revois
grand-père qui boudait
grand mère qui s’étranglait
toi qui t’énervais maman qui
craignait pour son poulet



c’était hier
         les chemins
         en conservent
         la tiédeur
chaque baie ouvrait ses entrailles
les enfants se réfugiaient dans la cave
         pour éviter les voitures
une vieille bique
         mourait dans son sommeil

j’attendais que quelque chose se casse
longtemps en moi a régné la terreur
que quelque chose se casse
dans ma vie et dans celle des autres

maintenant c’est différent
j’aime que     la douceur de l’air
                  compense la violence
j’alterne les souvenirs

l’échiquier grince
sous la pression des noirs

peut-être la partie n’est-elle
pas totalement jouée

juste
une prémonition de l’ultime
scellée par la paresse des survivants
un disque rayé
dans la peur de bouger
faire bouger la conscience

Extraits de son dernier recueil Incertitude de la note juste7
, Ed. Lanskine, 2014


1. RESONANCES Espace poésie expression réflexion
2. l'Entrepôt

3. Nicolas Peigney
4.Collette Nys-Mazure: son site : Vivre en poésie
5. Présence à Francopolis- Salon 2012

6.
Ira Feloukatzi : son site sonnances poétiques 
 et Présence à Francopolis -Sal
on 2013
7. Brigitte Gyr : fiche d'auteur

et son recueil Incertitude de la note juste
 Francosemailles décembre 2014
recherche Dana Shishmanian
.

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer