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photo/Hélène
Soris
textes traduits par le poète Constantin Frosin Etape 2
dans le jardin de Lucian Blaga LA TERRE
On s’étendit sur le dos dans l’herbe, toi et moi. Nues fondues, comme la cire embrasée par le ciel, s’écoulaient le long des chaumes, dans une vraie rivière. Un silence pénible s’était emparé de la terre et, sur ce, une question jaillit, tomba au fond de l’âme. N’avait-elle donc rien de quoi me faire part, à moi ? Elle, toute cette terre impitoyablement large et d’un criminel mutisme, rien donc ? Afin de mieux écouter, j’ai collé mon oreille à la glèbe, obéissant et sournois – et, sous la glèbe, il me fut donné d’entendre les battements de ton cœur tumultueux. La terre me répondait. *** LE ROUVRE Depuis de clairs lointains, il m’arrive du sein d’un beffroi le son d’une cloche, pareil au battement d’un coeur et bruits bien doux me laissant croire que dans mes veines coulent des gouttes de silence et non pas de sang. Eh, toi, rouvre à la lisière du bois, dis-moi pourquoi m’envahit, de ses ailes si soyeuses, tant de paix quand je m’oublie sous ton ombre et tu me caresses de ta feuille pétulante ? O, qui sait ? Il est fort possible que, de ton tronc, ils confectionnent dans peu de temps, mon cercueil et le repos que je m’en irai savourer entre mes quatre planches, c’est cela que j’éprouve déjà : je le sens qui m’est instillé par ta feuille dans l’âme – et, muet, j’écoute pousser dans ta substance le cercueil, c’est bien le mien, de tous mes instants qui dévalent, fulgurants, hé toi, là-bas, rouvre à la lisière du bois. *** DE TES CHEVEUX Un certain jour, la sagesse d’un mage me raconta l’histoire d’un voile qu’on ne saurait aucunement pénétrer du regard, toile d’araignée qui ensevelit partout l’étant, et l’on ne voit plus rien de ce qui est réellement. Et maintenant, que tu noies mes joues et mes yeux dans tes cheveux, moi, tout enivré sous l’effet de leurs riches et noirs torrents, je rêve que ce voile, lequel transforme en mystère tout l’infini, n’est ourdi que par tes cheveux – et je crie, et je crie et, pour la première fois, je saisis tout le charme dont le mage avait doté son histoire *** LITTORAL Des vrilles bien rouges des vrilles vertes sanglent et étranglent les maisons de sarments sauvages et vigoureux – pareils à des polypes, lesquels étouffent la proie dans leurs bras. A l’orient, le soleil lave dans les eaux marines le sang des lances dont il avait criblé la nuit à la hâte, tout comme un fauve. Moi, je demeure sur la rive – mais mon âme n’est pas là. elle s’est égarée chemin faisant vers l’infini et ne trouve le chemin de retour. *** NOUS ET LA TERRE Il y a tant d’étoiles filantes cette nuit. C’est comme si le démon de la nuit tenait la terre tout en soufflant vers elle étincelles de briquet, comme s’il voulait y mettre le feu. Juste cette nuit, toute parsemée d’étoiles filantes, ta jeune personne (de) vraie sorcière, se consume entre mes bras comme sous l’effet des flammes d’un bûcher. Troublé, j’étends mes bras qui muent en vraies langues de feu, désireux de fondre la neige de tes épaules nues d’absorber, brûlant de dévorer ta résistance, ton sang, ton orgueil, ton printemps, enfin, tout. A l’aube, quand le jour incendiera la nuit, quand les cendres nocturnes s’en vont comme d’un geste d’un vent d’ouest, à l’aurore je voudrais que nous, on soit de la cendre, nous deux et – la terre. *** CE SILENCE Il règne un silence si profond, qu’il me paraît entendre le (soi-disant) choc des rayons de la lune contre les vitres. Dans l’âme, sourd et porte une voix étrangère, un chant aussi chante en moi un « dor » autre que mien. L’on dit que les ancêtres qui sont morts bien prématurément, au sang encore jeune dans leurs veines, au sang bouillonnant de passions, aux passions baignée de soleil, viennent, viennent afin de continuer à vivre en nous leur reste de vie non vécue. Il règne un silence si profond, qu’il me paraît entendre le (soi-disant) choc des rayons de la lune contre les vitres. Oh, âme mienne, qui peut savoir dans quelle poitrine chanteras-tu aussi aux confins du grand jamais, sur de tendres cordes de silence sur une harpe d’obscurité – le « dor » supprimé et la joie de vivre abandonnée. Qui peut savoir ? Vraiment, qui peut savoir ? *** DE BIEN BELLES MAINS Je vois : allons, belles mains, de même qu’aujourd’hui vous m’entourez de votre chaleur, la tête débordante de rêves, de même vous tiendrez, un certain jour, dans vos creux mon urne cinéraire. Je rêve : vous, belles mains, lorsque de chaudes lèvres souffleront à tout vent mes cendres que vous soutiendrez comme une amphore, vous serez de vraies fleurs auxquelles le zéphyr enlève tout le pollen. Et pleure : vous serez encore si jeunes et tendres à cette époque, vous, belles mains ! *** D'autres traductions de ce poète par Constantin Frosin ![]() |
Créé le 1 mars 2002
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