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LES AVEUGLES

Un poète lit ses poèmes à des aveugles.
Il ne pensait pas que ce serait si difficile.
Sa voix se trouble.
Ses mains tremblent.

Il ressent comment chaque phrase
est soumise à l’épreuve des ténèbres.
Le poème doit se débrouiller tout seul,
sans lumières, sans couleurs.

Dangereuse expérience pour les étoiles du poème,
l’aube, l’arc-en-ciel, l’inconsistance des nuages,
la lumière des néons, le clair de lune
le scintillement argenté du poisson dans l’eau.
le vol silencieux de l’aigle dans ses hauteurs.


Le poète lit - il est trop tard pour ne pas lire -
un enfant au pull jaune dans une prairie verte,
les innombrales toits rouges au fond de la vallée
le tourbillon des numéros sur le maillot des joueurs
une femme infiniment nue par la fente d’un porte.

Il voudrait bien taire - mais c’est impossible -
la saints alignés sur le porche de la cathédrale,
les gestes d’adieu échangés par la fenêtre d’un train,
les verres du microscope, le chatoiement d’une bague
le cinéma, les miroirs, les portraits dans l’album.

Mais les aveugles ont beaucoup de gentillesse,
de tact et d’indulgence.
Ils écoutent, sourient, et applaudissent.

Il y en a même un qui vient trouver le poète

une livre à la main ouvert à l’envers
pour lui demander un autographe invisible
.



ADMIRABLE NOMBRE PI

trois virgule un quatre un.
Chaque décimale est à la fois la suivante et la première
cinq neuf deux, puisqu’il est un chiffre sans fin.
Trop vaste six cinq trois cinq pour le saisir d’un seul regard
huit neuf, d’un simple calcul
sept neuf, avec l’imagination
trois deux trois huit, ou d’un jeu de mots
Trop vaste pour le comparer quatre six à quoiqu’il soit dans le monde.
Le plus long serpent terrestre cesse d’exister au bout de quarante mètres.
De même, mais légèment plus loin, les serpents de légendes.

Pi, avec son cortège de décimales
ne s’arrête pas à la bordure de la page,
il continue sur la table, traverse l’air

le mur, la feuille, le nid d’oiseau, les nuages, le ciel
jusqu’à un paradis flou et sans fond.
A côté de lui, la queue d’une comète n’est qu’une queue de souris
Même un rayon d’étoile plie sous le poids de l’espace.
Mais lui, deux, trois, quinze, trois cent dix-neuf,
mon numéro de téléphone, votre encolure,
l’année mil neuf cent soixante treize, sixième étage,
soixante cinq centimes, nombre d’habitants,
tour de taille,  deux doigts, une charade, un code,
chant du rossignol, promesses d’amour
pour toujours...

Inutile de vous presser avec lui, vous n’y arriverez pas au bout.
La terre et le paradis, eux-même, sont temporels

mais pas notre Pi:
avec son cinq toujours parfaitement droit
son huit remarquablement beau
et son sept qui ne sera jamais le dernier
à pousser du coude cette flemmarde d’éternité
pour l’obliger à continuer.




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Traduction des poèmes de  Wislawa Szymborska par Aaron
décembre 2003
                   

Créé le 1 mars 2002

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