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DANS LE FLEUVE D’HÉRACLITE
 

Dans le fleuve d’Héraclite
poisson pêche poisson
poisson écaille poisson avec poisson tranchant
poisson construit poisson, poisson habite poisson
poisson s’enfuit de poisson assiégé

Dans le fleuve d’Héraclite
poisson aime poisson
tes yeux, lui dit-il, brillent comme poissons dans le ciel
voudrais-tu partager la mer avec moi
Ô toi la plus belle du ban

Dans le fleuve d’Héraclite
poisson vient d’inventer le poisson des poissons
poisson s’agenouille devant poisson, chante poisson
poisson prie poisson de lui rendre la vie plus facile

Dans le fleuve d’Héraclite
moi poisson solitaire, poisson différent

(tout au moins du poisson arbre et du poisson rocher)
j’écris petit poisson d’argent
couvert d’écailles scintillantes
Serait-ce les étoiles qui clignent des yeux devant la nuit étonnée ?




CONVERSATION AVEC LA PIERRE

Je frappe à la porte de la pierre
”C’est moi, laisse-moi entrer.
je viens te voir, te visiter 
sentir ton souffle”

”Va-t-en, dit la pierre
Je suis fermée à clé.
Même brisée en morceaux
nous resterons toujours fermés,
même réduite en sable
nous ne laisserons entrer personne.”

Je frappe à la porte de la pierre.
”C’est moi, laisse-moi entrer.
Je viens par simple curiosité
et la vie est l’unique occasion.
Je voudrais seulement me promener dans ton palais
avant d’aller visiter la feuille et la goutte d’eau.

Je n’ai pas beaucoup de temps
car je n’ai qu’une vie.

- Je suis faite de pierre, dit la pierre.
Je dois rester sérieuse. Va-t-en, 
tu vois bien que je n’ai pas les muscles du rire.

Je frappe à la porte de la pierre
- C’est moi, laisse-moi entrer.
On dit qu’il y a chez toi des grandes salles vides
majestueuses et sans bruit de pas
que personne n’a jamais vu.
Avoue que tu ne les connais pas toi-même.

-De grandes salles vides c’est vrai
mais il n’y a pas de place, dit la pierre.

Belles, peut-être
mais pas d’une beauté perceptible à tes sens.
Tu peux me savoir, mais jamais me connaître.
Tu me vois en apparence mais pas dans mon essence
Je frappe à la porte de la pierre
- C’est moi, laisse-moi entrer.
Je te promets de ne pas m’éterniser pas chez toi
ni prendre refuge
Je ne suis pas malheureuse et j’ai un domicile.
Et puis le monde vaut la peine qu’on y retourne.
J’entrerai chez toi et ressortirai les mains vides
sans toucher à rien.

Comme preuve de ma visite
j’écrirai seulement quelques mots
et d’ailleurs personne ne me croira.

- Tu n’entreras pas, dit la pierre.
Tu n’as pas le sens du partage
et aucun autre sens ne peut le remplacer
pas même la clairvoyance de l’au-delà.
Tu n’entreras pas,
tu ne connais pas le partage
tu n’en a qu’une image lointaine.

Je frappe à la porte de la pierre
- C’est moi, laisse-moi entrer.
Je ne peux pas attendre deux mille siècles
pour venir chez toi.

- Si tu ne me crois pas, dit la pierre
demande à la feuille, elle te dira la même chose,
et la goutte d’eau te dira comme la feuille.
Tu peux même demander à un cheveu de ta tête, si tu veux.
Tu me fais rire, tiens. D’un immense éclat de rire
comme si j’avais appris à rire.

Je frappe à la porte de la pierre
- C’est moi, laisse-moi entrer.

- Je n’ai pas de porte, dit la pierre.





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Traduction des poèmes de  Wislawa Szymborska par Aaron
décembre 2003
                   

Créé le 1 mars 2002

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