les étoiles nagent
les
étoiles nagent dans les fleuves du vide • étrange lumière
sommeillant dans les courants de l’air – coupe de mystère pour le
néant • l’esprit – oui, et le néant – son sang profond •
je suis le Forgeron du Verbe – avec ma sève de lumière
sur ma labyrinthique obscurité des racines • le crépuscule m’est
comme une extinction brisée aux cordes de rêves • je respire dans le
palais de l’aven un air que je n’atteins qu’avec mon insomnie
bleue • du sol de songe et d’ombres s’élèvent des arbres de
fantasmes aux couronnes en-rêvés de fleurs – ramurant
et résonant de papillons géants aux ailes boréales • et des tréfonds
de miroirs nourrissent les vastes parcs de l’exil – où comme une
stalagmite des cavernes artificielles de l’âme – sur des congères et par
des neigées d’argent – narcisse promène sa beauté indifférente –
immortel •
des pommes d’oubli, de discorde et d’or poussent – et
poussent les hallucinations des serpents en rameaux • là où de vieux
monstres ermites respirent des oiseaux en rêvant d’astres et de galaxies
– et de creux de gorges noires d’anti-lumière creusées dans le
vide • alors que le sombre du jour avec le vert lobatchevskien
des nuits aux horizons incurvés par l’infini – s’enfoncent telles des
flèches dans les mystères d’au-delà de l’horizon • et des semaines
clignotantes en des plages de secondes – et des portes sous le verrou
desquelles des blocs d’abîme hurlent de désespoir congelé •
je
me surprends à tailler ma route dans l’attente • car la proue du
navire génère l’écume qu’il traverse – et le bateau flotte tel un visage
sur lequel tout l’océan coule d’une seule larme •
(Premier des 5 textes de ce volume parus dans Quatuor
n° 3, éd. Les Amis de Thalie, 2023, d’où il est reproduit)
l’évanescente
quand
toute volonté – tout désir – porte en soi arme et blessure • l’homme
peut-il, porté par les mirages, espérer dans le hasard • les vagues
renversent en bruit la tristesse – les labyrinthes démêlent l’hiver dans
les cœurs • les ténèbres mûrissent dans l’obscur – et la vieille
croisée des chemins tente d’échapper au sortilège • la vendange
aspire à une plus innocente équivoque •
peut-elle,
la vieille chimère, remonter la pente oppressante du réel – le roi-lune
peut-il triompher de son maudit tréfonds • il tente toujours
d’échapper aux barreaux croisés des chemins – aux oiseaux d’airain des
vallées • et le fardeau des trésors, il le porte comme un escargot
somptueux – vers la soif d’abysse des miroirs • et pas une fenêtre –
seulement des portails qui se ferment à jamais • pas une voie libérée des menhirs
solennels – pas une voie qui ne soit pas un exil •
... et soudain elle – l’évanescente létale de la lune
– si semblable et si lointaine • l’évanescente sans origine dont le
destin est la fuite • la transparence embrasée d’or – pareille à un charme
livide de cadavres invisibles • comme un nulle part qui apparaît
insaisissable – sans rien ouvrir sinon l’obsession • car
l’évanescence qui vous attire avec ses brises ineffables est une autre
forme d’enfermement – une plus mystérieuse cruauté du donjon aux parfums
de libre • toujours tournée vers un autre, elle qui n’est jamais la
même – semble être à toi seul • et une étrange soif argentée cherche
l’extinction dans la pierre • sculpté en nocturne et solennel le roi
voudrait se briser – et un fin fil de folie frétille dans le vent •
être pareil au frisson qui joue entre scintillement et non-être •
plus libre que le fantasme ne peut s’imaginer – et pourtant vouloir –
vouloir que ce fantasme
soit le tien seul • sa danse nébuleuse – avec l’argenté étranger qui
disparaît seulement en revenant • qui reparaît pour vous perdre et
s’évapore en vous remplissant du froid de l’au-delà • t’aimer toi
seul • toi seulement • porter vertigineuse ton insomnie dans
ses tourbillons sans sommeil • oui, elle – elle – qui – personne –
l’ineffable personne • n’être autre que parce que toi – qui – toi –
le seul véritablement personne – tu n’es que tréfonds • sans
espoir, tréfonds – sans mesure – méconnu – abîme d’infini et de
pierre •
(Paru dans l’Anthologie de l’émerveillement –
t. 2, coordonnée par Marguerite Chamon et
Jean-Pierre Béchu, éditions du Net, 2023)
moi, le témoin
moi,
le témoin ‒ un œil devient tout mon corps ‒ un œil qui ne laisse plus aucun
regard en dehors • parmi les vides qui, avec d’englouties ténèbres,
me parlent • fenêtre spermatique à travers laquelle tu peux à peine
discerner ‒ le néant que tu fus ‒ l’avènement d’argent que tu
aurais pu devenir •
hélas ! or, toi, caillot létal d’immortalité – une
nostalgie obscure du mourir se cache dans tes fièvres • quand la
létale de la lune partage son corps entre absence et miroir • oui,
quand elle s’approche avec sa clé lunaire des magies • alors que les
vallées du rêve fument sous l’échelle du soir • quand arbre d’ombre
s’étend sur le silence du lac ‒ et des lissantes chuchotent en des
coquilles de replié commencement • oui, de lentes évanescences quand
elles neigent sur les tréfonds perdus ‒ et l’insomnie sans fin, sur
l’ovale du silence • ou le froid des migraines inconnues ‒
sans souffrance ‒ sans douleur • des mi-graines
à la moitié du corps dans le songe et l’autre moitié en semi-éveil •
extinction égarée entre les utopies d’ivoire et le naufrage dans le
destin •
des cerfs mystérieux nagent à travers des portes
verdies par la mer • les albatros se perdent en des miroirs •
des bateaux de regards s’enfoncent dans les ténèbres • mon bleu
s’effondre dans le noir ‒ solitaire • l’homme libre vit libre
dans le vide • je suis comme un arbre aux feuilles de syllabes ‒
affrontant les égarés des planètes ‒ les larmes cendrées du
cosmos • les miroirs des égarements découpés dans le labyrinthe ‒
des portes à travers lesquelles tu rêves ‒ des ombres en lesquelles
tu t’oublies • oui, les joues argentées des voiles du navire
éternellement nocturnes •
en moi flânent des forêts de tristesse – oh ! toutes
les malédictions abîmées des maïdans et toutes les frustrations
navigables • et eux, les miroirs cendrés enduits de vide ‒
cauchemars presque abstraits nickelés d’un infernal réveil • les
pages des vagues ‒ nappes galactiques que recouvrent de
prophétiques runes d’eau • larmes aux pierres sur des joues d’exil ‒ larmes aux pierres sur tous les
souvenirs • et l’oubli aux fauves d’hiver et aux fils du sort
enneigés • oui, les fontaines de la mélancolie à travers lesquelles
je tombe • au-delà de l’absurde nulle part • ou la folie aux
cordes si fines ‒ le violon à flottaison bleue • le roi-lune
avec seul ‒ à la fenêtre de clair létal •
échelle vers moi
échelle vers moi – vers toi – vers l’attente et la
nuit • échelle vers le seuil – depuis la peau lisse du jour sous
laquelle je veille • qui suis-je – quand l’escargot d’argent brille
à travers le brouillard – tel un labyrinthe lumineux et froid • je
suis le remords et la brume – et les mains de syllabes cueillies du
labyrinthe fleuri • les chutes chantantes répandent tout autour
un parfum de miroirs et de ténèbres •
de cette désolation d’argent je me fais et me refais encore et encore –
jusqu’à ce que je devienne douleur d’or •
aux rames de miroirs parcourt le vide la barque pâle • la planète flotte portée par le verbe • flotte
à travers les rayons, le brin d’herbe – flotte sur la blessure le sourire
– et toile se gonfle la douleur sereinée dans le néant • livide
navire liquide – étrange injection de bleu dans le silence aux marches
lourdes et froides • la brise commune du souffle balaie le sable de
la plage songée par la scène • un vélo aux roues brutalement
déflorées comme le pubis cru d’une fillette violée • et l’herbe
aldine – aux fils soulignés par des éclaboussures étrangères comme une
graisse de la lune – hantée par les fragiles sabliers • une eau à la
lisseté visqueuse se répand telle une tache de
sommeil – autour de la femme que le rêve incube n’a pas encore
quittée • les yeux troubles nagent encore, tels des poissons, à
travers son visage endormi • et l’apesanteur des boîtes
transparentes – à peine tangentes à l’herbe argentée – à peine
tangentes à ses ombres laissées derrière • elles déversent sans
s’ouvrir – de leur matière ineffable – une rosée seconde •
ainsi surgit du rêve la fille, formant ses pas
inscrits sous la lune fantomatique – elle grimpe sur un rayon pareille à
une gracile araignée – elle perd dans l’air sa transparence de lune
seconde • tandis que les boîtes s’ouvrent toutes seules – perdant
dans la pâleur un trésor morbide • la fille rentre à nouveau dans le
rêve avec des sourires d’aveugle – dans le rêve dont elle ne s’est
peut-être jamais échappée • entre ou sort avec des sourires qui se
déprennent de ses lèvres – en des volées incertaines d’oiseaux
fantomatiques ou de papillons • les papillons d’une pandémie
inconnue – létale – léthale – dont la fille infecte le sommeil de tous
les dormeurs •
le murmure des arbres
le
murmure des arbres change mon ouïe en mer et ma vision – en forêt de
coquillages • les dés roulent après les insomnies de
l’horizon • le roi-lune s’évanouit dans le rayon • huîtres
endormies dans le couchant – la perle géante perdue dans la lune •
et la cabane de nacre d’où je sors, moi, le pêcheur – quand mon âme
s’assombrit • et les télégrammes télépathiques qui flinguent mon
cerveau avec leur distance syllabique •
moi, le célibataire du ponant, je vous le dis – le
monde essaie toujours de nous marier à une culpabilité illusoire •
lui, qui n'est rien qu’impardonnable trahison • la lumière est la
mesure du temps ou est le temps – ou une
autre dimension – la forme ralentie de la veille • suspensions de frêle sur noir d’aven –
les larmes creusent des abîmes sur mon visage • l’ineffable cherche
dans le silence, des mots – des cris captifs dans la
monotonie létale et rouge • en océanique non-histoire – d’un
enveloppé – envoilé labyrinthe – je déverse d’étranges
non-regards de mon œil solitaire • je soulève des morceaux d’abîme
avec mes mains incréées • des pages de paupières que scories je lis
– et sommeil si je bois, à peine sais-je lire lettre • nom si je me
respire – fraîcheur je perds et mythe •
l’obscur
surgit devant moi, tréfonds sans visage • la parole m’est pont • le
miroir – déguisement de congélation blanche • le pôle – vêtement
boréal aux sourires acérés • enveloppé d’ailes bleues de poison
j’avance dans le jardin cadavérique des victimes – flottant, porté par la
chlamyde thanatique entrelacée de mirages
d’étoiles • des baleines de pierre impondérables s’endorment sous
d’immenses forets blancs •
je m’élève – et avec moi se haussent les hauteurs
brisées – toujours plus dépourvues de solution • elles, les
allogènes apories • enfin, il pourrit, le Dieu mort • la prière
se décompose en vortex – en vortextes – la
prière est lettre déchirée en vertiges • les morts stellaires
dorment dans les pâleurs des eaux • les vagues du brouillard sont
traversées d’un étrange appel • le curé s’agenouille perdu devant la
guillotine létale de la nuit – la peur ne sculpte que des enfants •
l’arme est un labyrinthe que l’on peut creuser dans sa main • le
tigre bleu se fraye un chemin à travers les fantasmes • un monstre
d’héroïne aux yeux de couchant se solidifie dans la viscosité de
l’illusion •
porté
par une vague toujours plus étrangère – d’une matière somptueuse et
dégradante – des odeurs rouges et vertes m’enferment en des cellules
de solitude – où des barreaux aveugles me racontent pourquoi je ne peux
plus m’en échapper • ensuite la clef tourne toute seule dans la
serrure – et je me réveille à nouveau seul sur la route •
© A. A.
Shishmanian
(traduction par Dana Shishmanian
avec la
révision de l’auteur)
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