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Septembre-octobre 2023

 

 

 

Charles Akopian

 

Entretien et poèmes extraits du recueil inédit :

Au cœur de la rimaye.

 

Précédés de :

Artsakh

 

(*)

 

 

 

Artsakh *

Fin septembre 2023. Le berceau historique de l'Arménie n'est plus. Le Haut-Karabagh a été vidé de ses habitants arméniens sur place depuis plus de 2500 ans. Ainsi va la vie, ainsi vient la mort. Ça continue... La géopolitique tue l'Arménie. Bientôt plus de traces de ce passé si précieux, bâtiments, monuments, églises seront rasés comme les milliers de khatchkars (croix de pierre) du cimetière arménien de Djoulfa au Nakhitchévan détruits par l'Azerbaïdjan de 1998 à 2005. « Génocide culturel » et « réécriture du passé » vont suivre… Alors des mots jaillissent soudain, des mots vivants qui souffrent et se retiennent. Colère, révolte, dégoût, tristesse, infinie tristesse. Des mots simples et spontanés ce 28 septembre. Des mots encore, des mots seulement, en l'absence d'actes, même en poésie, quel drame ! 

* Haut-Karabagh

 

 

Ils sont partis

Ils partent

 

Sous leur semelle

Et dans leur cœur

Des battements

Qui asphyxient

 

Dans leur cœur

Et dans les veines

Un sang qui se souvient

D'avoir déjà été puisé

Pour assécher leur terre

Leurs pierres et leurs croix

 

Face à l'histoire emprisonnée

Ils marchent à nouveau

Expatriés

Cherchant en vain un souffle

Au cœur d'autres humains

 

28 septembre 2023

 

***

 

Le tremblement du silence

Effraie ceux qui hurlent

Ou ne hurlent plus

 

C'est comme un soleil

Qui oublie de se lever

Ou la lune sous les nuages

       

Entre le noir et l'outre-noir

Un banc d'essai

Pour effacer en silence        

 

Dans les yeux qui se ferment

Les corps sont en partance

Les voix n'ont plus d'écho

 

La terre n'est pas qu'un cœur

Irrigué par l'histoire

Et soudain sans son peuple

 

 

Anémone de mer

Elle replie ses ailes

La terre

Quand on la viole

 

Et couve en silence

L'avenir

De ceux qui sont partis

Sans espoir de retour

       

3 octobre 2023

 

***

 

Partir

Et pourquoi

Et comment

 

Partir

Pour ne pas mourir

Quand sa terre se meurt

 

Partir

En n'apportant

Qu'une brise de soi

 

Un souffle des siens

Présents

Depuis si longtemps

 

Partir

Sous les tirs

De l'indifférence

 

Avec pour bagage

Une impuissance

À faire respecter

 

Le droit des peuples

À disposer

D'eux-mêmes

       

4/5 octobre 2023

 

©Charles Akopian

 

 

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« La Bretagne est si belle » (cf l’entretien ci-dessous)

 

 

ENTRETIEN

 

(18 – 19 septembre 2023)

 

Charles Akopian, les mots en tant que tels tiennent une très grande place dans votre poésie. Vous écrivez dans votre recueil « Nouaisons » : « Les mots n’attendent pas, / Ils longent les chemins  /  Et  devancent  la  langue ». Comme si les mots étaient vivants, indépendamment de vous,  le poète, et qu’ils venaient à votre rencontre. Est-ce bien cela ? Qu’est-ce que cela nous dit sur votre poésie ?

 

J'ai toujours été fasciné par l'expression, quelle qu'en soit sa forme. Il s'est toujours agi pour moi d'une question de rencontres. Et donc forcément pour les mots qui prenaient vie dans les poèmes. J'aime lire les poètes et j'ai souvent l'impression de rencontrer dans leurs écrits des  mots qui m'attendaient, me faisaient signe et que je rangeais dans un  coin de ma tête. Puis c'est un processus qui va de l'étincelle à l'incendie sur la page. Des mots me sourient, d'autres me défient, m'énervent, me paralysent jusqu'à faire la paix en donnant naissance au poème. Ils me prennent par la main et nous faisons un bout de chemin ensemble. Ce qui est exaltant c'est d'ajouter de la vie dans mon quotidien, même s'il faut attendre longtemps avant de sentir que ça tient. Aujourd'hui je considère ma poésie comme une autre façon d'agir, après avoir passé quarante ans de ma vie à privilégier les actes à la parole au sein d'une association humanitaire.

 

Vous évoquez une étincelle, comme si les mots, dans leur concrétude joyeuse, étaient pour vous des pierres à frotter ensemble pour faire naître le sens, ainsi qu’on allume un feu. Vous vous réchauffez à la flambée des mots, n’est-ce pas ? Cela a-t-il à voir avec ce sentiment d’absence au monde que vous évoquez dans l’un de vos poèmes ? Que fuyez-vous, que cherchez-vous en écrivant ?

 

« Trouve tes mots / Qui soient aussi des pierres // Pour reconstruire ce  qui viendra »

« J'ai ramé sans pâlir / Durant des nuits entières // Adhérant au poème / Ainsi qu'à l'aube / Incertaine et chorégraphe // L'aventure suffisait / À rougir une enclume ».

Ces vers écrits en 1969 donnent le la ! Oui, « la flambée des mots », comme pour retrouver une protection contre l'hiver de l'injustice ressentie très tôt. L'absence au monde est celle qui vous confine à la marge. Enfant né à Marseille de réfugiés du génocide des Arméniens en 1915, j'ai toujours ressenti un manque, un maillon défectueux pour faire partie pleinement de la vie normale dès l'école primaire. Je ne fuis plus rien. Je pense avoir trouvé, en renouant avec l'écriture, l'équilibre qui manquait  à mon corps. 40 ans au service des causes humanitaires avaient contribué à stabiliser le balancier humain.

 

Je comprends mieux à présent. Faire naître la vie, comme vous le faites, des mots les plus simples, c’est habiter et faire vivre ce monde de justice et de générosité que vous vous êtes réapproprié par l’action humanitaire. Les mots, c’est la vie, c’est le partage avec l’autre, qui vous a tant fait défaut dans votre enfance, n’est-ce pas ? « Le coût de l’autre » : pourquoi ce titre à la série de poèmes qui va suivre ?

 

« Les mots, c'est pour savoir » dit Guillevic. Un savoir multiforme et sans frontières, dont le poème est le chef d'orchestre. Partager ce crédo, c'est louer l'attention, « la forme la plus pure de la générosité » écrivait Simone Weil à Joe Bousquet. Alors, « Le coût de l'autre » ? Je vais vous faire une confidence. À l'origine j'avais écrit « Le goût de l'autre ». Le partage, la rencontre, l'acceptation de l'altérité, la reconnaissance de son autre moi. Oui, comme une reconnaissance apaisée de l'air de deux airs... (je suis Gémeaux!). Mais à la réflexion, on ne ressort pas indemne de ce bégaiement. On y laisse des plumes... D'où « Le coût de l'autre ». L'addition peut être lourde quand on parle de soi.

 

Vous êtes un peu elliptique là. Qu’entendez-vous exactement par cette dernière phrase, par « parler de soi » ?

 

Le « tu » des poèmes dans cette suite s'adresse directement à moi. Chose très rare dans mes textes ! J'emploie très exceptionnellement le « je » ou le « tu » dans mes poèmes. Et voilà que cette suite s'est imposée à moi tout à fait malgré moi. Quel intérêt à me convoquer, à m'invectiver !!! Le résultat ? Une impression de se laisser glisser sans pouvoir maîtriser quoi que ce soit. Je n'ai pas tout gardé de ce strip-tease... « Parler de soi » c'est très inconfortable et ce qui reste dans le tamis dérange. J'ai l'impression de quelque chose d'inachevé, « Tu ne sais si ta parole / Est ta vie empaillée »...

 

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L’escalier du phare d’Eckmühl… « pour illustrer le vertige de parler de soi »

 

 

Ah d’accord, je n’avais pas fait le rapprochement ! Je vous rassure, le strip-tease est des plus retenu, les mots sont des plus intérieurs et réfléchis. Ces textes sont très riches, le sens en est multiple, la forme concise, partout émerge le mot, dans sa singularité et sa plasticité. On prononce vos poèmes plus qu’on ne les lit. Je dirais que votre poésie est une poésie du jaillissement, et on revient à l’image de l’étincelle. Si je parle d’un étincellement du sens dans ces poèmes, est-ce que vous vous y retrouvez ? Au-delà de ce point particulier, comment naissent vos  poèmes, dans quel état écrivez-vous, où puisez-vous votre inspiration ?

 

Ce sont mes poèmes qui me puisent ou plutôt qui m'épuisent souvent... Plus sérieusement, mes poèmes naissent sans que j'aie senti la racine faire vibrer une alarme. Je ne m'assieds pas (ou même debout devant l'ordi) pour écrire un poème. Il me faut un grattage et une étincelle effectivement pour prendre le large. Commence alors un parcours des  plus éprouvant. Quelle direction pour la lueur ? Je ne sais pas où je vais. Sauf exception, j'avance pierre après pierre, attentif au mortier que je pose en fondement. J'aime lorsqu'un reflet, une lueur se pose, comme un papillon, sur la toile en face moi. Quelle ivresse alors pour le père que je suis devant l'échographie visuelle et sonore sur l'écran ! Ma journée est pleine et réussie lorsque j'ai l'impression d'avoir ajouté – sans prétention - quelque chose au monde. Que je redécouvre, étonné, après un séjour en cave de mes poèmes.

 

D’accord, la mise au monde du poème, de cet être vivant qu’est pour vous le poème, ne se fait donc pas sans douleur. J’aime bien cette idée d’une absence de direction dans l’intention, puis du reflet qui se pose, l’âme peut-être investissant les mots et leur donnant vie, comme si à cet instant le poème se détachait de vous pour vivre sa vie propre. Il vous faut donc donner la vie pour revivifier le monde et le redécouvrir. C’est bien cela ? Écrire pour vous sentir vivant ?

 

« Quelque chose inexorablement / N'en finit pas / De lever l'ancre // Sous la page » Chaque texte abouti est une victoire sur la vie à vivre et partager. Oui, il y a bien ce sentiment du détachement du poème qui va vivre sa propre vie... ou non. J'ai la chance d'avoir des arbres en face de ma maison, chaque matin m'est une fête quand j'y promène mes yeux. C'est donc tout naturellement que j'y trouve aussi les mots qui grandissent dans la beauté du monde. Oui, quand j’écris - riche de ce que j'ai vécu -, je vis. Le grand malheur c'est de voir que cette épiphanie est interdite à beaucoup qui survivent plus qu'ils ne vivent sur notre terre qui marche sur la tête.

 

J’ai cru comprendre que vous considériez l’écriture poétique aussi sous un angle « militant » (« une autre façon d'agir », après un temps long passé dans l’action humanitaire), et vous soulignez par ailleurs les dérèglements du monde actuel. Pensez-vous que la poésie puisse être mise au service du progrès social, et plus généralement du progrès humain ?

 

Pour moi, c'est une évidence, la poésie peut être une force. De tout temps il s'est trouvé des personnes, artistes, créateurs - au premier rang desquels des poètes - pour refuser d'accepter un monde inhumain, pour s'élever contre l'insoutenable. La révolte et la saine fureur éveillent les cœurs et les consciences. Dénoncer, proposer, agir pour le bien de l'humanité, œuvrer pour un monde meilleur, la poésie ne peut être séparée de la vie. Encore faut-il qu'en amont il y ait une véritable éducation pour dire que la poésie ne peut se contenter d'être seulement au  service  du  beau,  et  qu'en  même  temps  grandisse  la communauté fraternelle du poète et des lecteurs. D'une façon plus générale nombre d'auteurs et d'autrices de chansons, rap ou slam sont acteurs et actrices de la société et grande est leur influence auprès de la jeunesse.

 

Revenons un instant à votre poésie, et à ces arbres qui vous ravissent tant, avec ces mots, que vous y trouvez, « qui grandissent dans la beauté du monde ». Des mots, vous écriviez dans « Nouaisons » qu’« Ils rêvent de descendance, / D’un temps de nouaison / pour regagner leur langue ». Il y a l’idée d’un cycle, d’un retour aux sources, à une langue originelle, celle des mots, qui serait celle de la beauté. Réinventer les mots pour réinventer le monde, loin des slogans et des discours stéréotypés de l’époque. Diriez-vous les choses de cette façon ? Par ailleurs, l’observation de la nature est-elle un élément important de votre démarche de poète ?

 

Les mots qui ne trouvent dialogues perdent leur goût de vivre. Or quoi de plus accueillant et sociable que les mots. À la recherche d'une nouvelle représentation ils partent leurs paniers de fruits en main pour trouver et nourrir un nouveau monde plus respectueux de l'expression. Une quête régulière en somme.

Quant à la nature, elle reste bien entendu une source importante pour ma poésie. La Bretagne est si belle. L'un de mes recueils s'intitule d'ailleurs « À l'ombre de la blanche hermine ». Mais ce qui me fascine le plus, c'est le poème, la fabrication du poème, le miracle toujours renouvelé  du poème. « À la table du poème, Le vivant du poème, Au cœur de la rimaye » sont des séquences consacrées à l'écriture dans mes précédents recueils.

 

Parlez-nous de vos débuts en poésie. Quelles en ont été les étapes essentielles ? Quels auteurs, poètes ou romanciers, vous ont accompagné sur le chemin de la création poétique ?

 

Mes débuts en poésie datent des années lycée à Marseille : au lycée Saint-Charles, un groupe de copains passionnés de littérature et de  poésie. L’un d’entre nous, Dominique Tron, fut publié par Pierre Seghers, en 1965 (Préface d’Elsa Triolet). Il avait 15 ans et cela avait fait alors beaucoup de bruit dans les médias. J’avais à cette époque osé aller rencontrer les responsables d’une revue prestigieuse de littérature basée  à Marseille – « Les Cahiers du Sud » –, et j'en étais sorti transformé. La simplicité de ces écrivains et de ces poètes m’avait profondément ému et surpris.

J'ai beaucoup écrit. Mais j'ai donné pendant 40 ans la priorité à l'action humanitaire concrète au sein d'une association de solidarité (missions en France et à l'étranger), mais ce n'est qu'en 2016 (alors retraité depuis 2012 en Bretagne où j'avais rejoint « mon soleil ») que j'ai publié mes premiers poèmes - un cancer du colon soigné en 2014 et 2015 ayant déclenché cette volonté de “sortir de soi” et de ne plus garder tout ça pour moi -.

 

Les auteurs qui m'ont accompagné et m'accompagnent toujours :

Poètes : Rimbaud bien sûr pour commencer, Éluard, Guillevic, Jean Tortel, Jean Malrieu, Gérald Neveu, René Char, Henri Michaux, Marcel Migozzi, Edmond Jabès, André du Bouchet, Bernard Vargaftig, André Velter, Paul Celan, Pierre Dhainaut, Anise Koltz, Antoine Emaz, Yvon Le Men, Thierry Metz, Fernando Pessoa, Roberto Juarroz... mais aussi Albane Gellé, Isabelle Levesque, Christian Viguié, Alexis Bardini, Ariane Dreyfus...

Romanciers : Jean Giono, Louis Guilloux, Panaït Istrati, Herman Melville, Malcom Lowry, Juan Rulfo, François-Henri Désérable, Erri de Luca...

 

Vous avez beaucoup écrit, mais vous avez aussi beaucoup lu. L’un est-il pour vous indissociable de l’autre ? Votre poésie s’est-elle bâtie sous l’influence directe de certains des poètes que vous citez ? Du quel, ou desquels, vous sentez-vous le plus proche ?

 

J'ai toujours été fasciné par la poésie, la magie du vers en appelant d'autres pour donner vie au poème, les griffes si diverses qu'avait chaque poète pour maîtriser cette création. Tout a commencé par la lecture… et l'écriture a suivi tout naturellement. Il ne se passe pas de jours sans que j'ouvre un livre de poèmes et voyage au hasard des pages avec un plaisir toujours renouvelé. J'ai l'impression de retrouver des amis, proches ou plus éloignés, de faire partie d'une communauté complice. La surprise, l'étonnement, l'admiration, entre autres, ponctuent ces randonnées littéraires.

Mais je n'écris pas chaque jour ! Le déclic ne se commande pas, mais oui, l'un nourrit forcément l'autre.

J'ai oublié de citer Joë Bousquet (Cahiers du Sud oblige) dans la liste des poètes qui m'ont accompagné. Sa lecture - difficile – m'a passionné, mais ne m'a pas influencé, contrairement à Guillevic dont les poèmes m'ont bouleversé. Ainsi, on pouvait dire le monde avec une poésie lapidaire, « chair de la vie », concrète, mais aussi généreuse et fraternelle, solidaire de toute chose et de toute vie. Suite à sa lecture, mon écriture a changé ; mes poèmes ne sont jamais très longs.

Mais pour être complet il me faut dire aussi tout ce que je dois à Jean Malrieu (« Si le bonheur n’est pas au monde nous partirons à sa rencontre / Nous avons pour l’apprivoiser les merveilleux manteaux de l’incendie. // Si ta vie s'endort / Risque la. ») et à Jean Tortel (qui a d'ailleurs écrit une belle monographie sur Guillevic).

Ma trinité poétique est composée de Jean Malrieu, Jean Tortel et Guillevic.

 

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Pages de couverture de trois des recueils de Charles Akopian :

L’arrière-vie , L’amour à l’équinoxe, Ressacs

 

***

 

 

POÈMES

 

Le coût de l'autre*

 

 

1

 

L’autoportrait autrement

 

Le double dans un miroir

Quand le réel se débat

Pour ne pas disparaître

 

Quelles couleurs pour les mots

Quand les yeux perdent la leur

 

Quel autre portrait de soi

Retirer de son histoire

 

Pour enfin dans le miroir

Pouvoir calmer son passé

 

*

 

Dans une vie qui se déshabille

L'origine s'invite plurielle

 

Traces empreintes ou signatures

Ce qui s'exprime est une amulette

 

Clandestin souvent le biographe

À la barre des évocations

 

Dans une vie toute cicatrice

Est une fleur recherchant son vase

 

2

 

Tu demeures entre l'eau

Et l'air qui comble la bulle

 

Reste à deviner

La paroi comme un écran

Où défile un film

Dont tu n'es pas l'acteur

 

Loin des ténèbres

Et des cercueils flottants

 

Tu endures l'éloignement

Par manque de mot de passe

Pour retourner les cailloux

Où tu te caches

 

*

 

Tu enregistres les vents solaires

En prévoyant de les repousser

 

Une vie d'écriture

Active les soubresauts

Liés à leur conquête

 

Un regard neutre

Consigne les contrecoups

Tant que dure l'éclipse

 

Tu gagnes à célébrer

L'impossible contrôle

 

*

 

Tu ne sais si ta parole

Est ta vie empaillée

 

Parfois se sentir chose

Entre tout ce qui bouge

 

Supplante le sentiment

D'absence au monde

 

Ouvre la porte à ce qui vient

Célébrer la faim de vie

 

*

 

Tu rejoins dans la tempête

Le midi des origines

 

Avec de tels rendez-vous

Les rides de l'eau suffoquent

 

Tu te surprends à compter

Les marches jusqu'au réveil

 

La démesure délivre

Et pourtant t'enchaîne à vie

 

*

 

Tu partages avec les pierres

Des histoires de muets

 

D'arpèges en érection

Quand il s'agit de vivants

 

Ainsi s'écoule en toi

Le sang qui n'oublie pas

 

*

 

Tu retiens ce que le jour

Offre à chacun de tes pas

 

Sur terre ou dans tes poèmes

Semences pour un bonheur

 

Décroché comme un pompon

Sur le manège à venir

 

*

 

Tu accompagnes des yeux

La balançoire qui monte

 

Et que l'enfant roi épingle

Dans son ciel imaginaire

 

Pour ne plus abandonner

L'ivresse des grands voyages

 

*

 

Tu montes un échafaudage

Autour de chaque poème

 

Afin de voir et toucher

Ce qui te semble étranger

 

Et pourtant tellement toi

Surpris d'être ainsi dressé

 

*

 

Tu reviens de cette terre

Où tu n'es jamais allé

 

Pour rejoindre la jeunesse

De ceux qui t'ont précédé

 

À chacun son tour de chauffe

Pour apprivoiser les sons

 

Dont les racines font naître

Un avenir qui rapproche

 

*

 

Tu engages tes bronches

À ne pas sauvegarder

Ce que tu as vu en rêve

 

Un souffle qui s'abandonne

Étouffe de l'intérieur

En reniant sa patrie

 

Expulse ce qui te mord

Et coffre ton quotidien

 

Accueille ce qui dessine

En toi l'être que tu fuis

 

*

 

Tu livres discrètement

Des moments à savourer

 

Tu traduis des impressions

Aussi vives qu'imprévues

 

Tu poursuis les bienvenues

Qui ont pour mission d'ouvrir

 

Rien n'apparaît illusoire                 

Dans l'ombre de tes réserves 

 

*

 

J'entends combien tu enrages

Pour accompagner tes vers

 

De ne pouvoir dégeler                   

La transparence entre toi

Et le poème au travail          

 

De ne pouvoir replier   

Le paravent où les mots

Ont plaisir à se cacher

 

Tu adhères au parchemin     

Qui distingue ton amour

Sans voile ni trahison

 

*

 

Tu cueilles ce qui respire

Et te transmet ses audaces

 

À toi de fendre à la fin

L'histoire qui nie les hommes

 

 

Brest  Février 2023

 

*Extrait d’un recueil inédit : Au cœur de la rimaye

 

©Charles Akopian

 

 

 

(*)

 

 

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Né en 1948 à Marseille de parents rescapés du génocide arménien, Charles Akopian s'éveille tôt à la poésie dans la ville des « Cahiers du Sud ». En 1965, il ose frapper à la porte de la célèbre revue littéraire et en ressort complètement transformé. Encouragé par Aragon en 1970, il poursuit une intense activité poétique. Toutefois, enseignant de formation, il choisit en 1972, après deux ans de bénévolat, de consacrer sa vie à la solidarité en actes au sein d'une association humanitaire à Nîmes : combattre les injustices, en France et au-delà des frontières, s'impose à lui (en écho à la blessure-racine de cette injustice majeure qu'est la non-reconnaissance du génocide de 1915).

Il savoure aujourd'hui une retraite active à Brest où il a rejoint « son soleil » en 2013. La poésie trouve alors un espace apaisé et gourmand pour s'exprimer. Premières publications en revue en 2016.

 

- 2016-2022 : publications en revue: la main millénaire, Recours au poème, Saraswati, Diérèse, Décharge, Les lettres françaises Hors série n°1 (spécial Arménie).

 

- 2017 :     L’arrière-vie (Editions Alcyone)

- 2018 :     L'herbier aux lignes fauves (Editions Encres vives)

- 2019 :     Ressacs (Editions Encres vives)

                  L'amour à l'équinoxe (Editions Stellamaris)

                 À l'ombre de la blanche hermine (Editions Encres vives)

- 2021 :     Le vivant du marbre (Editions Encres vives)

- 2022 :     Nouaisons (Editions Encres vives)

 

 

 

Charles Akopian

Francosemailles, septembre-octobre 2023

Recherche Éric Chassefière

 

 

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