http://www.francopolis.net/images/fstitle.jpg

Articles sur les poètes francophones contemporains
&
Poètes du monde entier

ACCUEIL

ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Mars-Avril 2022

 

 

 

Les Émeutes de Claude Luezior.

 

Note de lecture par Jeanne Champel Grenier

 

 

 

Émeutes. Vol au-dessus d’un nid de pavés,

Cactus Inébranlable éditions, 2022 (78 p.)

 

 

Manuel du parfait émeutier ? Ou bien parodie de la révolte ?

Chaque page de « ce petit livre jaune » (pourrait-on dire) peut servir de présentation sur le vif, capable de provoquer l'envie immédiate de dévorer l'écrit encore tout croustillant de vitalité.

L'auteur, en bon Suisse « neutre » en marge des conflits, nous révèle son credo (ou son anti-credo ?), dès le liminaire : « Je déteste l'émeute. Peut-être est-elle libératrice ? »

Ici ? Sans aucun doute ! Répondrait un acteur comique ! Libératrice d'autant plus que les vérités apparaissent comme des exagérations sans limite, générant sourires entendus et rires débridés.

Inutile alors de chercher à chaque page le graal qui va attirer le lecteur, car TOUT, ici, vous expose au rire (ou explose de rire, quoique...), à commencer par la page 1(je crois indispensable de rapporter, selon l'auteur, la panoplie du bon gréviste qui se respecte, et sachez que je ne note que l'essentiel) :

 

«Pour une bonne manif, il vous faudra dans votre sac à pain :

-du personnel qualifié avec une moustache à la Staline,

-un cabas de revendications : pas besoin qu'elles soient fraîches,

-quelques tambours, trompettes... et autres casseroles,

-une confrérie de brailleurs à défaut des pleureuses en grève,

-beaucoup de rouge qui tache,

-un p'tit gars pour compter (juste qu'il sache multiplier les chiffres des flics par deux ou par dix...

-une bande de gilets jaunes : ne pas prendre ceux qui sont en train de griller des saucisses... Au fond, prenez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! » (pages 9-10)

 

Un véritable « pavé y en a marre » en lieu de « pavé dans la mare » !

 

OUI, je l'avoue, on s'amuse, on rit beaucoup grâce à l'esprit vif et précis de Claude Luezior ; il n'empêche que le cœur et le cerveau de l'auteur restent aux commandes car, dit-il, même si « la déroute est en marche » (page 40), « tous fredonnent un hymne où l'on parle de fraternité » (page 41). Tout est discutable, acceptable... à condition que « le sens du partage et de la bienveillance ne fasse pas place à la grammaire de la violence » (page 42).

Et pourquoi ne pas conclure cette présentation par ce qui pourrait et semble d'ailleurs être l'illustration de couverture : « Avec ses pognes en battoirs, il sort d'une poche, un tout petit sandwich qu'il partage puis s'en va avec son Esmeralda de passage » (page 50).

En ces moments de folie mondiale, il n'est pas interdit de réécrire l'Internationale qui battrait le pavé avec des mots d'humour et surtout de ne pas oublier de chausser ses besicles car Claude Luezior nous avertit : « Toute dissemblance avec la réalité doit être vue comme une grave illusion d'optique » (page 68).

 

Vite, amadouer ce livre Gavroche-bon-enfant où « Marianne en prend pour son bonnet ». Humour-manifeste sans danger, d'autant que « le coup de feu n'est pas pour ce soir »...

 

                                                                                                                                                 ©Jeanne Champel Grenier

 

 

Extrait (bonne feuille) d'Émeutes

 

 

Pour une bonne manif, il vous faudra, dans votre sac à pain :

 

du personnel qualifié avec une moustache à la Staline,

un cabas de revendications : pas besoin qu'elles soient fraîches,

une poignée de syndicalistes de tout poil, prêts à battre le pavé,

des affiches, banderoles, ballons et calicots recyclés (pour ceux d'il y a trente ans, on prévoira un coup de peinture),

quelques tambours, trompettes de nouvel-an et autres casseroles comme orchestre symphonique,

une confrérie de brailleurs à défaut des pleureuses qui sont en grève,

beaucoup de rouge qui tache,

trois douzaines de mégaphones (avec des piles neuves achetées sur la caissette du patron),

un ptit gars pour compter les manifestants : pas besoin qu'il ait fait Polytechnique, juste qu'il sache multiplier les chiffres des flics par deux ou par dix,

quelques trotskistes à la retraite, question de recycler les seniors de mai 68,

deux-trois actionnaires enchaînés, genre bourgeois de Calais,

une guillotine en carton-pâte, juste pour rappeler au Roi qu'on a de la mémoire,

une bande de gilets jaunes : ne pas prendre ceux qui sont en train de griller des saucisses... Au fond, prenez-les tous, Dieu y reconnaîtra les siens !

 

Bref, la moitié du bon peuple pour montrer aux bourges qu'on ne se laissera pas faire !

 

Claude Luezior

 

 

 

Claude Luezior

lu par Jeanne Champel Grenier

Francosemailles, mars-avril 2022

 

 

 

Accueil  ~  Comité Francopolis ~ Sites Partenaires  ~  La charte  ~  Contacts

Créé le 1 mars 2002