Ce
matin le métro ressemble à une penderie
On
n’entend plus sonner les cintres
Dans
son coin tout le monde songe aux moyens
De
faire de la place et regarde les autres en coin
On espère
ne pas faire partie des habits usés
De ceux
qu’il est inenvisageable de rapiécer
Si
cela peut aider à la remise en ordre de la penderie
Je
fais cette déclaration solennelle
En
tant que chiffonnier venu d’un village plus ou moins rêvé
J’ai
usé mes yeux à regarder le monde
À
travers des fenêtres qui avaient des yeux
J’ai
mis ma bouche sur des blessures
Très
anciennes et parfaitement inguérissables
J’ai
laissé des lettres sur des rebords de marche
Dans
des maisons que je n’ai pas vues tomber
Je
n’ai pas su empêcher mes fleurs
Mes
amis et mes frères de faner
Je
n’ai jamais pu me résoudre
À
croire que nous n’étions rien
C’est
dire si je ne suis pas grand-chose
C’est
pourquoi je fais cette proposition
Qui
j’espère vous agréera
Qu’on
retire mon habit sans âge
De
la penderie trop bondée
Cela
fera davantage de place pour ceux
Qui
cachent des trésors dans leurs doublures
NEUF
POÈMES À PARIS
(une grande éternité comme toi)
***
La poésie est un
jardin à la française
On
voudrait que je recompte les syllabes de mes vers
Comme
un avare compte et recompte ses os
Avant
d’aller se baigner dans le bleu de la mort
Avec
un geste de marquise épuisée
On
me dit aussi de surveiller mes images
Culte
déraisonnable depuis on sait bien qui
Il y
a des gens qui ont peur d’être à la merci d’une
parole
Comme
un visage qui vous regarderait soudain
Au
milieu des feuillages ou des miroirs
Je
garantis que ma vie est rêvée à l’ancienne
Avec
paroles grandies dans le silence
Et
projection finale dans l’œil de Dieu
Quand
tu m’embrasses mon amour
Est-ce
toujours bien
À
l’endroit de la mort ?
Nous
sommes des troncs avec des mots dedans
Ils
ne sortiront que lorsque la vie
Nous
aura coupés en deux parties fort inégales
LA
RACINE CARRÉE DE L’INSOMNIE
***
Tu
entends le craquement des forêts
Combien
de temps le jour se mentira-t-il à lui-même ?
Le
coq d’en face hurle mes minutes
Et
un coucou burlesque les quarts d’heure
La
ville fait un bruit de torrent
Je
voudrais marcher dans la montagne
On
ne rencontre jamais que des personnages
Même
les plus vrais sont devenus
Les
personnages de leur vérité
Trois
pins et deux cyprès
La
beauté est si simple
Les
hommes pour vivre c’est à croire
Qu’ils
mettent en commun ce qu’ils ont de plus faux
À la
fenêtre il y a
La
lumière de l’assassinat
Je
ne le connais que trop bien ce NON
Il y
a le chemin qu’on est heureux de gravir
L’allègement des choses et soudain sortie
Du
visage qu’on aime
Il y
a l’horreur de ce NON
Qui
vient sans prévenir
Cette
éponge noire sur toutes les pensées
La voix
distinctement dit que l’amour n’existe pas
Le
regard arraché n’est plus en mesure de rien voir
Et
on refait attention où on met le pied
À la
mine
Ineffaçable
Sur
la pierre
Il
est écrit-
Larme
de cendre-
Je
vous aimais
*
Poème
écrit dans le bloc-notes
du téléphone portable
Il t’est venu des envies de parler
À déterrer les visages qui dorment
Mais de quel sable te crois-tu le feu ?
Sans un bruit l’ange aux ongles rognés
Accroche ses phrases à l’arbre de la nuit
Un beau jour est-ce un miroir tendu
À la mort qui tremble en nous ?
Le silence écoute le pas qui vient vers lui
Toute la dignité d’un homme est dans ses
mains
Mais de quel feu te croyais-tu le
sable ?
Le chien ramassant les miettes de la blessure
Se croira le maître du festin parce qu’il
pense
Il faudra bien que le cœur s’ouvre à la fin
Saint
Malo, 28 décembre 2018
LE
VENTRE CRAQUE
***
Les reflets vieillissent plus vite que moi
À chacun sa petite laisse son illusion
Nous pensons vivre dans les pensées
Qui font mentir les miroirs
Il existe peut-être quelque part un rire du
temps
Ma voix me regarde parler
Avec un autre sable que le sien
Je veux dire avec un autre soir que le sien
Mais j’ai encore de belles éternités devant
moi
Si l’enfant que j’étais venait tout à l’heure
Je crois que je saurais encore comprendre
La question qu’il me pose
*
Je me suis trompé dans les dates
Les morts n’ont rien dit
Je n’ai pas reconnu les voix
Je me suis assis au bord de la rivière
Et il y a ces phrases fausses
Comme des visages refaits
Elles vous expulsent du bon silence
Tout ce que nous tâchons d’aimer
Tout ce que nous tâchons patiemment
D’être soudain n’est plus rien
Vu depuis ces phrases-là
Les mailles en sont coupantes
Avez-vous songé à réclamer votre part ?
Où vous situez-vous sur l’échelle
De l’accomplissement littéraire ?
Pourquoi regardez-vous la seine ?
Connaissez-vous les placements qui
rapportent ?
Nous avons pris la mauvaise file
Sur l’autoroute nous sommes
Visiblement dans la partie morte
Regarde c’est l’autre qui roule
Il serait préférable
Il serait nécessaire
De déboîter sans rien dire
De raconter le début d’une histoire
La nuit a laissé traîner quelques pièces
J’ai mis un mot sur le rebord de la fenêtre
Il avait l’odeur de ta peau
Je ne sais pas où se trouve le passage
Mais ma vie le trouvera
LES
ÉGARÉES DE NOËL
***
On consacre sa vie au transport
D’une histoire qu’on ne sait pas raconter
On la protège contre les brigands
Et les faussaires de grand chemin
Comme des riens de lumière
Qu’on apporte à un roi
On serait prêt à se jeter
À la gorge de la nuit
Pour sauver le feu
De ce pauvre trésor
Il tient dans deux ou trois cartons
Que seul le roi pourra ouvrir
*
Gardez-moi l’honneur de ne pas être vu
D’être dans le cri de l’époque
Comme un chemin de craie
Dans le paysage sous le ciel
Mangé par des nuages chiens
Ne pas porter d’autre nom
Que celui que connaissent les amis
Autour de la table où l’on a déposé
Les fruits que peuvent tenir les mains
Et surtout pas de légende ou d’histoire
Pour cacher le cœur qui bat
Sous le vent que fait le hasard
Quand il court à la rencontre de nécessité
On donnera à leurs noces le nom de vie
Ou de destin si l’on est ivre
Je voudrais être nu comme un homme
Qui n’a gardé aucun poème
Pour adoucir la mort
COMME
DES RIENS DE LUMIÈRE
***
Le visage des morts se mêle à notre pas
Nous croyons marcher dans le parfum de leurs
paroles
Les vivants semblent venir de plus loin
D’un pays dont on ne comprend pas l’hiver
Ils regardent le reflet du lac dans nos yeux
On dit que c’est le vent qui nous a fait
pleurer
L’enfant nous demande comment s’y prendre
Pour avoir un peu moins peur de la nuit
On raconte des histoires de patience
Le manteau des prières partagé par la main
Et le froid qui finit toujours par s’envoler
On dit que c’est le vent qui nous a fait
pleurer
On parle des vies qui tombent en emportant le
sel
Comme de vieilles maisons qu’on écoute
craquer
On dépose une fleur pour marquer le passage
On confie au silence l’étoile qu’on aimait
Au milieu d’un visage on retrouve soudain le
nom
On dit que c’est le vent qui nous a fait
pleurer
UN
GRAND PAYS SILENCIEUX
***
Ma
mère nous a fait vivre dans un pays
Dont
nous étions les ambassadeurs secrets
Le
roi en était un silence
Long
comme l’amour que nous nous portions
Moi
aussi je perds mes feuilles en hiver
Comme
les arbres et le fou du village
Ah
ces retours de mélodie ces galops inattendus
La
vie qui ressort des ornières en chantant
Il
faut voir la tête des penseurs dans leur cage
Lorsqu’ils
regardent le poète courir à côté du train
Jambes
de sauterelle et là-bas la maison du père
Dans
les nuages et les orties
Et
lui saugrenu-bouleversant son œillet fané
À la
boutonnière qui ne sait plus comment
Gueuler
que le jardin existe
En
son village on appelait cela la France
*
Quand les mots feront sept fois le tour
Du tombeau et que la pierre roulera
Sur le blé de lumière
On appellera cela la parole
Quand la parole fera sept fois le tour
De ton cœur et te délivrera
De l’ombre qui mange ton pain
On appellera cela ton visage
Quand ton visage fera sept fois le tour
De ton frère pour lui faire boire
L’eau qui redonne vie à sa vie
On appellera cela le chemin
Quand le chemin fera sept fois le tour
Du silence où nous cachions
L’amour qui nous était donné
On appellera cela la maison
ON
APPELLERA CELA LA MAISON
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