Il
apparaît au cours de la lecture de Ragnarök, un thème que nous pouvons
définir ainsi : « un ego en errance » (p. 7) entre
certitude et doute. Nous entendons analyser et interpréter ce thème selon
« la dialectique de la certitude et du doute », où « la
certitude » et » le doute » sont deux concepts qui
appartiennent l’un à l’autre, et il y a une unité organique ou
une relation dialectique entre eux. Ils sont
en tant qu’un tout unitaire deux « moments » d’un seul
phénomène, à savoir l’être-au-monde de l’homme.
Mais comment faut-il analyser et interpréter l’errance entre certitude et doute dans Ragnarök
selon « la dialectique de la certitude et du doute » ?
Notre interprétation est la suivante :
L’» ego en errance » (p. 7) a la conscience
de son aversion pour tous les appels/les pouvoirs dominateurs qui
l’entourent. Alors, en parlant au nom de la Terre, comme dans un chant de
lamentation, il exprime franchement son rejet et fait des révélations. Il
arrache le masque de ces pouvoirs ; il révèle leur visage réel à tout le
monde et dévoile leurs complots funestes et
antihumains. Ces pouvoirs n’ont d’autre but que de répandre la discorde parmi
les humains et de jeter la noirceur dans le monde.
Je devrais vous maudire – car vous êtes
mes bourreaux !
Vous
charcutez mes chairs – vous crevez mes yeux
(…) je ne vous supporte plus
car vous vous nourrissez de mes plaies –
(…)
Je devrais vous maudire – car vous vous
nourrissez de la
haine – (p. 11)
Le résultat
du gouvernement de ces puissances tyranniques et hypocrites qui se
nourrissent de la haine, enlèvent l’avenir, l'espoir et le sens de la vie aux hommes, détruisent la vérité, rabaissent le
plafond de l’univers, privent le monde de clarté et le rendent obscur,
n’est rien d’autre que celui consistant à infliger des souffrances
incessantes aux hommes et déraciner l’humanité.
(…) je ne supporte plus vos mensonges
Je devrais vous maudire – car vous tuez
la vérité et
l’espoir
(...)
vous enlevez l’avenir aux plus jeunes et le
sens de la vie
aux vieux –
(...) vous tuez des innocents
par dizaines de milliers – (p. 13)
(…)
Je devrais vous maudire – car vous tuez
l’humain dans
l’humanité – (p. 14)
Les puissances dominatrices inventent le
Dieu/des Dieux, agissent dans leurs propres buts et intérêts sous couvert de
« faire la volonté » de leur(s) Dieu(x) et perpètrent
n’importe quels crimes. Ces Dieux créés par l'homme sont en même temps
complices de l'homme, le secourent à commettre tout délit et le punissent
ou le récompensent conformément à la loi qu’il s’est lui-même donnée
sous couvert de religion.
(…)
Oui vous vous êtes inventé des dieux – et
même un seul
qui les possède tous –
(…)
vous prenez votre Dieu respectif pour témoin,
commanditaire et complice de vos crimes –
alors chacun d’eux se doit de vous punir et/ou
vous récompenser et/ou vous anéantir
selon Son jugement – (p. 14)
Ainsi, la
révélation de l’ « ego en errance » (p. 7) dévoile à la
fois le visage des puissances dominatrices terrestres et rend manifeste le masque effrayant qu’elles prêtent
elles-mêmes à leurs dieux. Ainsi ces
Dieux ne sont pas seulement complices des vices et des crimes des
puissances mentionnées, mais apparaissent comme des alliés de
Satan : des Dieux jaloux, vengeurs et meurtriers qui intiment aux
humains l'ordre de massacrer des humains.
(…) vos dieux sont jaloux et vengeurs
et faits pour tuer les fidèles des autres
dieux –
(p. 15)
(…) tu es le persécuteur le Dieu vengeur
Dieu tyran Dieu tueur Dieu faiseur de
pacte avec Satan – (p. 26)
(…)
assoiffé de sang que tu es –
(…) tu as embauché
nos ennemis à ta solde et les as poussés à
déposer
contre nous devant toi et leur as donné pouvoir
d’exécuter contre nous tes sentences –
et tu les as autorisés à nous massacrer…
(p. 27)
L’homme
religieux – ici, sous la figure de Job (« Parole d’un révolté ancien
croyant ») – qui croyait au domaine sacré
du monde et en tant que serviteur fidèle essayait toujours d’entretenir,
en vivant selon la loi religieuse, son rapport avec Dieu ou
bien avec l’essence divine, en arrive à croire maintenant que la servitude
et la religiosité deviennent cause de souffrance et de tourment. Il se
considère comme un opprimé sans défense qui n’a personne pour clamer son
innocence devant un Dieu tyrannique.
(…) pourquoi mon Dieu
pourquoi me persécutes-tu
j’ai tout fait selon ta loi – j’ai écouté
tes commandements – j’ai sacrifié à ton
culte
je t’ai honoré et j’ai loué ta magnificence
–
pourquoi (…)
me bannis-tu de ta cité
pourquoi retournes-tu mon amour en ta haine…
(…)
mon innocence – qui devant toi la
défendrait… (p. 26)
Désormais,
Dieu ne peut plus se donner comme quelque chose qu'il n'est pas. L’homme,
en regardant ce qu’il aperçoit explicitement dans le monde, conclut qu’il
devrait renier la soumission au culte, se dépouiller de ce vêtement de
servitude et déclarer clairement que ce Dieu-là, tyrannique et
persécuteur, est en fait Satan. De cette façon, une certitude se forme
chez l'homme, qui le provoque à la rébellion.
(...)
ton double caché – à découvert à découvert –
plus de masque plus de culte plus de louange
– (p. 26)
(…) mais toi tu es Satan pactisant
avec soi-même – s’alliant avec soi-même
contre moi. (p. 27)
Le texte
semble signifier que
seules la souffrance et la mort de l’homme laissent Dieu être vu et le
rendent accessible.
(…) dieux inconnus
qui ne se manifestent jamais qu’en des
malheurs
sans nom des sacrifices inutiles des prières
renversées en imprécations en supplications
en gémissements de mort – (p. 73)
Ces vers
mettent en lumière les vécus de la vie, y compris la « mort ». En regardant la mort des
autres, l’homme acquiert une expérience objective de la mort et se rend
compte que l'être-au-monde se termine avec la mort et qu'il va lui-même
vers la fin de son être-au-monde. En fait, ces
vers incluent la réponse à cette question : l’être-au-monde comment
« est-il vécu ? ». De cette manière, la vie elle-même est vue et
comprise dans sa totalité.
Il
est donc indispensable de réfléchir sur le phénomène de la « mort »,
car le point de départ correct pour comprendre la signification du
concept de « doute » consiste dans la compréhension et
l’interprétation de ce phénomène fondamental. S’il en est ainsi, nous
devons alors nous demander si ce n’est pas la certitude de la mort qui pousse l’homme, contre
la menace constante et absolue de la mort, à croire en un Dieu visible ou invisible afin de dominer ainsi sa peur du
« néant » ? En effet le doute est là ; car :
« y
a-t-il de la musique dans l’au-delà ? » (p.
74).
L’homme est
l’être-vers-la-mort. Il se
retrouve toujours devant le néant et il est donc constamment anxieux. Alors, la
croyance en Dieu n’est-elle pas fondée sur la certitude de la mort et la
recherche d'un moyen de l’emporter sur la peur du néant ?
La poétesse
dans Ragnarök met en évidence une vérité qui est souvent précipité dans l'oubli, c’est que la mort
n'est toujours que mienne. La mort n’est à chaque fois qu’à soi, en
propre. Toute personne meurt toute
seule à son heure.
(…)
il est seul
dans sa mort (p. 46)
L’homme ne peut pas détourner le regard
de la mort, ni l’éluder, ni l’occulter par cette fuite. La mort est
une vérité inéluctable, insoluble et irrépressible qui
confronte l'homme tout seul au « néant ». Cette
confrontation met l’homme dans la situation critique de sa vie. Cette
situation est le temps même de prendre une décision ; décider de choisir
d’obéir à Dieu ou de se révolter contre Dieu. La certitude et le doute sont
toujours réels en cet
« entre les deux ».
Selon ce que
nous avons dit, il est maintenant possible de comprendre et d'expliquer
pourquoi dans Ragnarök,
qui nie le culte et la
servitude, dénonce la similitude entre Dieu et Satan et parle de la
rébellion contre Dieu-Satan, il y a aussi un poème comme
« Pourtant » ; un poème où le sens de « doute » s’est
caché dans son titre :
(…)
Dieu pardonne-moi
accueille-moi
laisse-moi aller dans ton sein
tu es dit miséricordieux
et je m’y accroche
que d’autre puis-je faire
moi petite fille perdue
dans la zoo-jungle (p. 55)
La poétesse
désigne également le Dieu « sauveur » qui exprime sa
compréhension nette du sens et de la signification du concept fondamental
de « salut » :
(…)
chacun sait tout sur son Dieu puisqu’il en est
l’image
et que son Dieu est son témoin son rocher
son sauveur (p. 22-23)
La croyance en
Dieu et par la suite, la foi en la vie éternelle et en l’éternité qui se conceptualise sous la forme de l'idée de « salut »,
pourraient répondre au besoin psychologique fondamental d’« immortalité », mais cela ne
pourra jamais résoudre l’incapacité inhérente de l’homme à dépasser la
finitude de son être. Le
« doute » naît de la compréhension de la finitude insoluble de
l’être humain. Tenir la mort pour vraie
est la certitude de l’être-au-monde et le doute se développe dans cette
certitude même.
Et tout cela
signifie que la certitude « est » uniquement parce que et dans
la mesure où le doute « est ». La certitude et le doute sont en
quelque sorte co-originaires, à savoir qu’ils sont corrélatifs. « La certitude »
et « le doute » sont deux concepts qui appartiennent l’un
à l’autre et il existe une unité organique
ou une relation dialectique entre eux. Ils sont,
en tant qu’un tout unitaire, deux « moments » d’un seul
phénomène à savoir l’être-au-monde de l’homme.
Non
seulement « les moments » ne sont pas des parcelles séparés et
disjonctifs qu’on devrait collecter et rassembler plus tard par une sorte
de collecte, mais leur être et les relations entre eux ne sont possibles
que dans un tout unitaire. La
certitude et le doute comme deux » moments » doivent
toujours être considérés comme un tout.
Par voie de conséquence, Ragnarök de Dana Shishmanian aborde des
questions qui appartiennent à la vie sociale réelle de l’homme. La poétesse
a profondément exploré ces questions. Ses
trouvailles dans Ragnarök sont des
directives transparentes pour enquêter. Cette œuvre incite à la
lecture, à la réflexion et à la compréhension. Ragnarök ouvre une voie à l’aide de
laquelle nous pouvons formuler notre question sur « l'idée de
Dieu » et essayer de méditer sur cette idée.
© Saghi Farahmandpour – Hamidreza Zakaria
|