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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Novembre-décembre 2023

 

 

 

Geneviève Deplatière : « Je suis ce qui traverse. »

 

Poèmes extraits de son dernier recueil

et poèmes inédits

 

(*)

 

 

Une image contenant Sculpture, Sculpture sur pierre, statue, Artefact

Description générée automatiquement

Buste roman de Janus, le dieu à deux faces… (Musée du Vatican)

 

 

« … des Commencements et des Passages ... »

 

(à paraître aux Éditions du Chien qui passe, janvier 2024)

 

Présentation

 

Sa conséquence ultime nous terrifie, pourtant comment ne pas se réjouir de l'impermanence qui émaille notre parcours perpétuellement ...de commencements et de passages... !

La louer de nous extraire du chaos et des ténèbres.

Quand il nous arrive d'avoir tellement froid et tant de larmes, c'est elle qui nous remet à l'abri du vivant où malgré l'écho de féroces souvenirs on se renoue à notre trame de rêves de jardins enclos, de parfums et de poèmes, de lumière et de paix, vraies sentes de l'amour.

L'Oscillante, ondoie d'illusions en chimères, de chrysalides en mues. Perpétuellement s'élance vers l'inconnu. De la mélancolie à l'espérance...

Afin de nous détourner du désespoir et de la violence enfouis en nous, de les déposer. De nous permettre d'emprunter d'autres chemins, à défricher toujours. Ceux qui, en passant par l'autre, mènent plus heureusement à soi. Ego-Alter-Ego.

Tel est le credo de Ainsi de suite, trouver des points d'équilibre dans le souffle et la présence, prendre appui sur ce qui s'invente, même dans le secret, et l'énoncer jusqu'aux derniers retranchements. Tout se mettre en bouche ...

Pour la stridence voluptueuse des martinets, les effluves entêtants des roses écloses, pour ces retours de printemps dans la vie, n'ayons que gratitude. Grâces leur soient rendues. Regain d'ivresse et de conscience, de mots pour dire le fragile, le fugace, l'éphémère. La perte même. Et acquiescer.

Être pleinement dans ce va-et-vient, y trouver la joie …

 

 

Choix de textes

 

1

En marche

sur l'évidence du mensonge

murmure

ta chance de plumes et de vertiges

 

Tes pas muets

empreints de transparences

blessées

auront des éblouissements

d'ange 

 

2

Nuits fertiles

qui couvent nos rêves

empêtrés d'enfance et d'affluents

libres

tant aimés

 

ne laissez rien mourir

 

de ces étreintes de temps d'espace

de peaux d'âmes

quand elles s'endorment

dans un ailleurs rond

où l'espoir guette un peu 

de cette lumière 

qui lutte

avant d'éclore

 

3

La plénitude ne peut être

que nomade

 

vides et pleins

s'enlacent

se mêlent aux ombres

désaffectées

 

Tectonique des racines

 

Les îles ont des histoires

- mais ne prêchent rien

ici-bas -

indomptées

elles touchent aux profondeurs

 

aux noces élémentaires

 

à nos yeux errantes

pourtant

 

et hors la loi

 

4

Ce qu'elle peut mordre, la mélancolie,

tout en prenant des poses 

d'eau dormante

qui mange la lumière

 

comme elle sait

monter des ruines

monter de l'absence

 

Avis de détresse

 

qu'entre soupirs et chimères

tremble une trêve

un envol

quelque chose

un frisson

sur une épaule sœur

 

5

Pas besoin d'encre pour garder

trace de ce qui passe ;

 

aux frontons aux écorces

sur toutes peaux ex-voto

dépouilles et feuilles mortes

ne cessent d'émettre

 

leur murmuration d'étoiles

dispersées

 

accoucheuses de clarté

 

juste besoin d'un spasme d'amour

pour que naisse la lumière

 

 

6

Petits grains d'étoiles échoués

nous embarquons nos ténèbres sur

des vaisseaux fantômes alanguis d'au-delà

 

et il arrivera que

demain aura été

simplement parce que c'est

dans l'ordre des choses

 

7

Un battement d'innocence

et voilà qu'on se greffe

à un désir de mésanges

de rire d'enfant

ou de cloître plongé dans le silence

 

La piste s'entretient

on pourrait trébucher

 

Des noms nous appellent

en différents points-

accents sans façons

poinçons d'une confiance

où se enter

 

8

L'effusion est première

lucidité

entre morsure et suture

comme

un chant pour naître

vagabond

vers la clarté

j'y engage mon errance et ses plaies

sur le fil

et comme un funambule

je glisse,

ou est-ce que je monte,

entre vestiges et horizon

 

le cœur écarquillé

j'encaisse

cette tectonique

d'audace et de stupeur

 

 

Patrice Poidevin, Le sphinx (2020)

 

9

De l'encre il restera l'ombre

de la sève qui l'escorte

dans ce qu'elle enchâsse

qui nous pousse

vers demain

 

y calibrant l'instable

de nos obscures raisons

d'être

 

- Qui raconte ce qui a eu lieu et le possible,

complices ?

 

- Le regard reconstruit

l'agonie-l'avenir

ne me regarde plus

 

qui défait en silence

son périmètre

 

10

Je suis ce qui traverse,

et le chemin qui dessine sa plaidoirie

de sensations et de songes

et le pas qui fait passer le souffle

dans le sang

 

je suis ce qui se dépouille jusqu'à la feuille blanche

dans l'agonie des étoiles

ce qui s'émerveille des déchirures et des désirs

comme d'une plaie dans la chair

jaune et sucrée des pêches

je suis tout ce qui retombe en poussières

 

Où se trouve le fond de la vérité ?

 

11

La parole a tendance à tout ramener à elle !

elle m'empêche parfois d'être

simplement là où ma main

se pose ne malmène plus rien

de ce qui a eu lieu

ou qui n'a pas eu lieu

 

J'ai heureusement ma petite part de terre

qui sans en avoir l'air

élève

ce que je suis en mesure de donner

 

quand je m'accorde

à tout disperser en émerveillement

pulsé à profusion fusion

originelle

et réconciliation

où je reviens à moi

minuscule espérance-

stèle qui se livre

gavée de morts autant

que d’épis reconnaissants

d'essaims d'amour au bord

des sources des racines et du vent

 

que j'emporterai

là où s'exhale tout un présent

en crue

avec une parole

à donner

j'aime…

 

Où je pose mes lèvres

ce j'aime

règne

et me déborde

 

 

12

Stabat Mater

 

mères, Ô

vous portez

 

l'or de l'aurore

et ses rêves bleus

qui passent outre

 -

jusqu'à ce que votre maison

et ses coutures

plus rien ne tienne ;

 

dans chacun de vos silences

dans chacune de vos veines

chaque jour

un peu plus bleues

sans autres attaches

que l'espérance

 -

vous allez peu à peu

prendre autre alliance ;

 

entre le sang et l'âme

des jours versés– la foi en vous

a tant coulé – mères

un jour heureuses

d'avoir veillé sur l'enfance

 -

stabat mater,

 

écho des mères Ô

de hautes mémoires

qui bercez au sein des jours

l'élan des cœurs et des mondes 

plus doucement qu'une caresse

 

 

Patrice Poidevin, Danse cosmique.

 

***

 

Poèmes inédits

 

Je te salue ma Loire

Aux grâces si délicates

Écoute ma prière

 

Chaque fois que j'arpente

Tes rives hasardeuses

Me hante

L'obsédant désir que

Tes longues sentes

Où serpentent

Tes herbeuses crinières

M'ensemencent

De rêves

 

Je salue

Ton onde blonde

Qui s'étire

Et bruisse souple et

Nonchalante

Ou bien se cabre

Courbe

Et sauvage

Le long de tes

Berges mouvantes

Bercées par l'indolente

Murmuration

De tes eaux

Séductrices

 

Et si je te salue

Femme avant que fleuve

Aux effluves langoureux

Aux fugues fougueuses

Aux hanches larges

Où se cogne l'amour

C'est que je m'accorde à ton

Destin femelle

Aux haleines de vertiges

Et à la coquetterie de ton

Courant

Où je noie mes larmes

Quand je me glisse dans

L'ombre glauque

De tes flux

Qui passent

Quand tu m'étreins que je m'efface

Dans les charmes

De tes replis

D'où mes fantômes

M'attirent

 

Un naufrage

De fin de partie

Dans le cœur

Je me retire et laisse

Un peu de ta grâce

Sur le vélin

De mes rêves

 

***

 

L'Ultrasonique

 

C'est du mystère du désir

Et de ses fêlures

Que jaillit l'urgence

 

De jeter dans l'été rouge

Mes axones exaspérés

 

Jusqu'aux très hautes sphères

Des passions

Où se confondent les histoires

 

***

 

Je suis allée vers la force de l'arbre

Où le ciel s'enracine à la terre

Où présence et mystère

Embrassent le destin

 

Où devenue axe et centre

De l'incessant présent

Vivante et vécue

Terre et cosmos

Yin et yang

Mère-cep et arbre-ancêtre

Dans le dépassement

Des dualités

J'honore l'UN

 

On m'a rapporté que les astrologues

Du grand Khan proclamaient que

Qui plantait un arbre

Aurait longue vie

 

***

 

Je découvris Kupka

Sa lumière me vint à l’œil avant de toucher mon esprit

 

Puis je pensai aux cantates de Bach

en sentant mon espace intérieur

s'élargir peu à peu et se porter à l'amour

 

Peut-être est-ce cette alternance de silences

et de temps forts

qui nous fait sortir de nous qui sommes à l'étroit,

 

qui nous invite à la liberté, peut-être même

à la paix

 

Je choisis le rayonnement de ce silence sidéral

pour garder pied dans ce qui s'effondre

 

©Geneviève Deplatière

 

Patrice Poidevin, Passage (2019)

 

 

(*)

 

Née à Sfax en Tunisie, Geneviève Deplatière s'est installée en région parisienne et réside depuis quelques années en Val de Loire.

Elle a suivi des études de Lettres et consacré sa maîtrise de stylistique au poète Aloysius Bertrand. Enseignante, elle a créé et animé des ateliers de poésie en collège et en lycée. Aujourd'hui elle anime des rencontres poétiques à Amboise.

Elle a publié dans diverses revues, et a notamment collaboré à la revue Esprits poétiques, pour les numéros Dire d'elles 2010 et Sortilèges 2011.

Elle a publié dans des recueils collectifs Poètes en Val de Marne 2009 et 2010, Poètes pour Haïti 2010 ainsi que dans l'Anthologie du rêve 2018, et l'Anthologie de l'intime 2019, aux Editions Unicité.

Sont parus aux Editions Hélices dans la collection Poètes Ensemble ! les recueils À corps secrets en 2005 et Matière première en 2011. En 2020, c'est dans la collection Le Vrai Lieu aux Editions Unicité que paraît L'Un seul, légendes.

« … des Commencements et des Passages ... » est son dernier opus (en cours de parution).

 

***

Les peintures insérées parmi les poèmes sont de l’artiste amboisien Patrice Poidevin (Danse cosmique est fournie par Geneviève, Le Sphinx et Passage sont reproduites du site https://www.artmajeur.com/patricepoidevin): « "Je" ne peins pas, c'est mon pinceau qui se pose sur la toile et qui ordonne ce chaos. »

 

 

 

Geneviève Deplatière

Francosemailles, novembre-décembre 2023

Recherche Dana Shishmanian

 

 

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