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Une poétesse en
temps de guerre
Que peut bien vouloir dire
poète en temps de guerre ?
Cela veut dire que tu dois
t’excuser
T’excuser sans compter
Auprès des arbres en flammes
Des oiseaux sans nids
Des maisons pilonnées
Des énormes crevasses au mitan
des rues
Des enfants pâles
Avant et après la mort
Et auprès de chaque mère triste
ou trépassée
Que peut bien vouloir dire être
en sécurité
En temps de guerre ?
Cela veut dire avoir honte
De ton sourire d’être au chaud
De tes habits propres
De tes heures d’ennui
De tes bâillements
De ta tasse de café
De tes aimés encore vivants
De ton peuple
De l’eau disponible
De l’eau potable
De pouvoir prendre un bain
Et de te rendre compte que tu es
encore vivant !
Ô mon Dieu !
Je ne veux pas être une
poétesse en temps de guerre
Morosité ordinaire
Qui rendra aux femmes de Gaza
leur morosité ordinaire
Leurs balais
Leurs utensiles
de cuisine
Et la réunion de leur famille
autour de leurs plats
Chauds ?
Qui leur rendra l’attente du
retour des enfants
De l’école
Le moment du réveil des jours
ordinaires
Et la paresse du petit
Qui demande de le laisser
dormir encore cinq minutes
Pour aller jusqu’au bout de son
rêve ?
Qui leur rendra leurs journées
calmes
Et la longue corde à
linges ?
Qui ?
***

Pas de sucre dans
la ville
Je veux préparer un gâteau
Mais pas de sucre dans la
ville !
Pas de sourires dispensés
par des visages passagers
Pas de balcons surplombant les
rêves
Les fenêtres n’ont pas été
remises à leur place
depuis les dernières
guerres !
Je veux préparer du pain
mais dans les champs, pas de
blé
Il n’y a qu’un épouvantail en
lambeaux
faisant davantage peur aux
paysans
qu’aux corbeaux !
Je veux pétrir une lune
mais je n’ai pas de four adapté
à la rotondité surélevée
C’est pourquoi j’ai décidé
d’avaler mon cœur
tout cru
car il n’y a pas de feu dans la
ville !
Hind Joudah
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