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Mars-Avril 2021 – ÉDITION SPÉCIALE

 

 

 

Hommage à Jean-Pierre Thuillat

 

Dossier réalisé par Dominique Zinenberg

 

 

                 Dans la friche on sème des mots

                 pour qu’ils repoussent

                 bien plus beaux.

                                                 Raymond Queneau

 

 

 

Une trajectoire droite, solide et sobre

 

Devise de Friches pendant trente-sept ans, ce tercet est indissociable de la revue créée par Jean-Pierre Thuillat. Elle en reste une empreinte et un emblème et c’est pourquoi j’ai choisi de la mettre en exergue de cet hommage.

Je n’ai pris connaissance de la revue que tardivement avec le numéro 105 qui décernait le prix Troubadours/Trobadors à Jean-Louis Clarac en cette année 2010. Je n’ai plus cessé de la lire jusqu’en 2020. Dans le numéro 108, Jean-Pierre Thuillat écrivait dans son papier intitulé « Façon d’éditorial » ce qu’il ambitionnait en publiant sa revue : « Comme je l’ai déjà dit, chaque numéro de FRICHES se veut comme une exposition collective : chaque auteur s’y expose, dans tous les sens du terme, à ses risques et périls. Le lecteur n’est pas tenu de tout aimer. Il est même en droit d’apprécier ce qu’il n’aime pas. Ce serait merveilleux si en outre, quelquefois, il était surpris pour avoir envie d’en savoir davantage sur une œuvre et de chercher à en lire un peu plus ailleurs. » N’est-ce pas la définition même du défrichage ? Il faut louer cette générosité, cette ouverture d’esprit, ce désir toujours en acte de faire découvrir de nouveaux poètes, de donner leur chance à tant de voix différentes souvent bien avant qu’elles ne soient confirmées et de les tenir tout près de voix majeures de la poésie d’hier ou d’aujourd’hui, dans un grand brassage de fleurs et de graminées venues d’horizons divers.

Je n’ai hélas pas eu la chance de le rencontrer à Saint-Yrieix. J’ai échangé plusieurs mails dont le dernier le 27 décembre 2020 et j’ai entendu deux ou trois fois sa voix au téléphone, mais toujours j’ai senti une présence à la fois discrète et attentive et qui d’un mot savait encourager.

Je n’ai eu accès à sa poésie que plus tardivement encore, c’est-à-dire quand j’ai lu Dans les Ruines, recueil publié en 2014 par les éditions de l’Arrière-Pays. J’ai d’ailleurs tiré de ces poèmes une lecture-chronique pour Francopolis (au numéro de février 2015).

Plus tard j’ai lu un recueil moins récent Le versant d’ombre publié en 1996, toujours aux éditions de l’Arrière-Pays. Dans ce recueil-là, Jean-Pierre Thuillat rapporte de façon allusive l’expérience d’une maladie qui avait failli lui coûter la vie.

 

 

En ce temps de deuil, ces vers nous touchent d’autant plus. Ils sont nés du frôlement de la mort et s’entendent désormais comme un chant funèbre qu’il aurait anticipé :

 

                                             La crête

 

                     Les jours avaient amorcé le virage

                       par quoi ils abordent l’abrupt.

 

                        La plaine dormait derrière.

 

                           Depuis quelques heures

                                        sa vie

                         escaladait l’ultime pente.

 

                         Chaque pas chaque sueur

                       désormais comptaient double.

 

                        Il accédait à ces hauts lieux

                       de l’expérience intransmissible.

 

Au fil du temps, j’ai aussi compris que le directeur de revue était non seulement poète mais aussi historien, spécialiste du Moyen-Âge, mais aussi défenseur de la langue occitane comme de toutes les langues régionales d’ailleurs. Dans « Façon d’éditorial » du numéro 112, il explique en un beau paragraphe ce que représente pour lui la langue d’oc : « Depuis sa création, FRICHES, implantée en terre d’oc, est restée attentive à cette culture séculaire du "Sud". Le second Prix Troubadours/Trobadors a couronné conjointement, en 1986, Jacques Gasc, d’expression française, et Jan-Claudi Rolet, d’expression occitane. C’était la vocation première de ce prix, mais, faute de candidats, cette conjonction ne s’est pas reproduite. Nous avons néanmoins publié, en version bilingue, plusieurs autres poètes d’oc : Marcelle Delpestre, Bernard Manciet, Jaumes Privat, Max Rouquette, Michel-François Lavaur… Et nous avons, à l’occasion rendu hommage aux troubadours : Gaucelm Faidit, Bertran de Born… »

Jean-Pierre Thuillat déplorait que tout s’uniformise. Il le dit clairement dans son « En guise d’éditorial » dans le numéro 109 de la revue : « Cela n’a l’air de rien mais ça participe de la déshumanisation, de l’uniformisation rampante. La plupart des lettres qui m’arrivent à présent par La Poste ne portent plus qu’un seul cachet, un unique « timbre à date » : … l’anonymat de ces enveloppes simplement tamponnées « La Poste » m’attriste et me désole. Il appauvrit l’esprit. « L’ennui, c’est bien connu, naquit un jour de l’uniformité ». Pauvre pays de France en voie accélérée de désincarnation ! La géographie et l’histoire y perdent bien sûr un peu de leur âme, mais c’est aussi plus de technocratie et de froide rigueur, donc moins de poésie. »

D’année en année son inquiétude grandissait face aux nouvelles technologies, à la froideur des écrans, à l’ingérence dans nos vies de contrôles sournois, d’intrusions délétères. Cette appréhension d’un univers déshumanisé est largement mise en lumière dans la troisième partie de Dans les ruines avec « Mutants ».

 

                                              Mutants

 

                        Au jour qui monte dans la brume

                        au chant de l’oiseau fracassé

                        à la parole très intime

                        de l’amie, la mère ou l’amant

 

                        ils préfèrent la voix des ondes

                        et les chimères de leurs écrans

                        qui gravent au bord de la mémoire

                        des yeux de paillettes et de vents.

 

En lisant les « éditos » des numéros de Friches que je possède je suis frappée par la continuité des propos, la cohérence, la trajectoire droite, solide et sobre qui préside à l’entreprise et la pérennise.

Lors de la célébration des 30 ans de la revue, Jean-Pierre Thuillat s’étonne que le préambule en forme de manifeste de son premier numéro reste d’actualité trente ans après.

Voilà ce qu’il cite de ce préambule : « Nous considérons qu’une revue doit garder sa porte entrebâillée pour devenir un lieu de convergences. Celle-ci se veut un espace ouvert d’écritures, sans élitisme prétentieux ni populisme simpliste. Et de préférence sans « isme » du tout ! Une subjectivité totale sera de mise dans le choix des textes car nous ne croyons pas qu’il puisse en être autrement en poésie. Mais nous nous efforcerons d’éviter exclusions et exclusives : les formes poétiques les plus diverses pourront se côtoyer ici pour peu que la parole reste audible … La pratique du poème nous importe plus que sa théorie.

(…)  Cette revue s’efforcera de découvrir et faire découvrir plutôt que de consacrer. Auteurs de tous poils, connus ou inconnus, édités ou non…, n’hésitez pas à nous envoyer vos textes. En vers ou en prose, soyez assurés qu’ils seront lus quels que soient le sexe ou la couleur des yeux de leur auteur, le lieu d’où qu’ils proviennent et même la langue dans laquelle ils sont rédigés. »

 

 

Jean-Pierre Thuillat est cet homme qui est né le 15 avril 1943 à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute- Vienne), sur les confins du Limousin et du Périgord Vert. Dans son recueil Dans les Ruines, le poète évoque son enfance avec nostalgie. Il s’en souvient comme une temporalité douce de jeux et de découvertes sensorielles au cœur de la nature. Ses études à Limoges, Poitiers et Toulouse le plongent dans l’histoire, et en particulier auprès des médiévistes. Il obtient un Certificat de linguistique comparée des langues romanes après avoir mené brillamment une étude sur le troubadour Bertran de Born, puis il obtient un DEA du Centre d’études Supérieures de Civilisation Médiévale de Poitiers. Il devient enseignant puis chevalier dans l’ordre des Palmes académiques. Il fonde la revue FRICHES en 1983. Elle est riche de 131 numéros dont le dernier est paru l’été 2020. Il tombe malade en 1984, alors qu’il est encore jeune et cette épreuve le conduira plus tard à en laisser traces par la poésie Le Versant d’ombre. Il meurt le 16 janvier 2021, chez lui, au Gravier de Glandon, près de Saint-Yrieix-La Perche.

 

BIBLIOGRAPHIE DE JEAN-PIERRE THUILLAT

 

1970 : D’ombres et d’amours, Prix Saint-Exupéry, NCJ, Bordeaux.

1976 : Verglas du bonheur, Saint-Germain des Prés.

Voilà ce qu’en dit son ami Laurent Bourdelas : « … le titre reprend l’un de ses vers d’adolescence : «de l’amour à fabriquer/ sur des verglas de bonheur… » Toute sa poésie est déjà bien là, lyrique, avec ses feuilles et ses herbes, ses arbres et ses oiseaux, avec la mer et les « inoubliables frémissements des étoiles/ par nuits sans lune » et cette volonté de chanter l’aimée, comme jadis les troubadours, ses yeux, "chaque coin" de sa peau. »

1977 : Testa a etestar, pamphlet bilingue occitan/français, IEO.

1982 : Le désert en face, Traces et Cahiers de poésie Verte. « On y lisait, dit Laurent Bourdelas, en songeant parfois au Breton Paol Keineg, l’automne et la glèbe, le mystère des landes, l’avertissement des chênes, la volonté d’être « en marge /d’un monde de marchands », la recherche des souffles et des signes, l’hommage aux animaux, le souvenir immémorial d’une civilisation paysanne. »

1987 : Mémoires d’avant naissance, Cahiers de poésie Verte que commente ainsi Laurent Bourdelas : « L’alpha et l’oméga de la vie ont aussi inspiré Jean-Pierre : en 1987, il publia les Mémoires d’avant la naissance, où il se proposait avec originalité, virtuosité et tendresse de dire la vie embryonnaire, de donner même une âme à l’être se formant doucement au creux de la mère – reprenant là peut-être involontairement la doctrine chrétienne… Un beau texte à la fois archaïque et moderne, écrit par un père après la naissance de son fils Emmanuel. »

1992 : Parabole pour un arbre seul, Sélection du Prix Artaud, Jean Le Mauve.

1996 : Le versant d’ombre, finaliste du Prix Max-Pol Fouchet, L’Arrière-Pays. « La blessure cicatrise, un sursis t’est donné. Ta vie a d’autres traces à creuser dans la neige. » Comme chez Jean Maison, dit encore Laurent Bourdelas, la nature, l’amour, la poésie, sont consolation. Car il est aussi là le travail du poète : « Tu t’accoutumes/ aux rives de la mort et mesures le jour / chaque soir d’un pas différent. » Encouragé à ses débuts en écriture par Jean Malrieu ou Georges-Emmanuel Clancier, attachant poète fidèle à ses racines et à ses amours, à la poésie et au Limousin ouvert sur l’universel, Jean-Pierre Thuillat mérite qu’on le lise, à l’ombre d’un chêne. »

1998 : La recherche des cèpes en automne sous la pluie, Jean Le Mauve. « Très beau recueil de quelques pages, dit Laurent Bourdelas, introduisant à la promenade contemplative et introspective, qu’il lut en public de Saint-Yrieix à Port-Louis dans le Morbihan.

2003 : Où l’œil se pose, Verglas du bonheur II, Fédérop. Ce recueil est « dédié à celle qu’il aime et aux autres qui composent pour lui « le trouble fondamental : l’univers féminin ». Il s’y livrait à de beaux « arpèges du désir », inspiré par les yeux toujours, les cuisses nacrées, la pointe drue des seins, et les gestes de la femme, celle sans qui, dans le jardin, «  verglas de bonheur/ (ne) pèseraient que plume » car le poète dit aussi la peur de la perte. »

2009 : Bertran de Born, histoire et légende, Fanlac. Prix Brantôme de la biographie historique.

2014 : Dans les ruines, L’Arrière-Pays.

 

Dominique Zinenberg

 

 

Poète intègre, discret, attentif

 

Jean-Pierre Thuillat, poète, historien, fondateur et animateur de la revue FRICHES, Cahiers de poésie verte, est mort samedi 16 janvier 2021. La revue FRICHES, qu’il dirigeait depuis 1983, est en deuil, comme nous tous, poètes qui le pleurons, sur lesquels il veillait, qu’il encourageait par le prix Troubadours/Trobadors décerné tous les deux ans.

C’est ainsi que j’ai fait sa connaissance, lors du Prix Troubadours 2004 qui m’a été décerné, et m’a ouvert la porte du domaine des poètes, inconnu jusque-là. Quelle chance extraordinaire d’y entrer ainsi ! Poète intègre, discret, attentif, sans recherche personnelle de pouvoir ou d’une quelconque gloire, Jean-Pierre Thuillat m’apparut comme l’idéal du poète, comme l’est un autre poète issu des terres limousines : Georges-Emmanuel Clancier, pour lequel il organisa en 2005, un hommage, et un circuit en autocar sur les lieux d’écriture de ce dernier, au cours duquel il me demanda de lire mes poèmes les plus champêtres qu’il avait choisis. Inoubliable journée. Merveilleuse complicité. Ont suivi, au cours des années, guidés par lui, de nombreux jours de découvertes d’un riche patrimoine, et de fêtes, les 25 ans de Friches ! les 30 ans de Friches ! La collégiale de Saint-Yrieix, avec son clocher roman et son chœur gothique, garde, gravée pour moi, la haute figure de l’obstiné poète-historien.

Il est parti rejoindre le sire de Hautefort, Bertran de Born, dont il disait en Avant-propos de son livre Bertran de Born, Histoire et légende, paru en 2009 aux éditions Fanlac, pour lequel il obtint le prix Brantôme : « Je regarde vivre cet homme qui est mort voilà huit siècles. Je l’écoute me dire ses poèmes, ses cançous », qu’il a traduits en 2018 pour les éditions Fédérop. Il donnait ainsi les motivations de son travail d’érudit : « C’est d’abord mon indéfectible fidélité à la poésie qui doit, aujourd’hui encore, dans sa forme comme dans son inspiration, tant des choses à ces inventeurs que furent les troubadours… Seconde motivation, ma connivence têtue avec cette langue occitane, toujours vivante envers et contre tout, dans le tiers méridional de l’Hexagone. »

On l’aura compris, Jean-Pierre Thuillat était un homme d’honneur et de fidélité, un être rare et exemplaire, qui, tout en continuant à préférer le XIIe siècle à notre époque, (« toi, tu préfères le XIIIe me disait-il, tu es bien une parisienne ») publiait dans sa revue des poètes connus et inconnus à partir du moment où s’exprimaient clarté et authenticité. Poursuivant son œuvre personnelle de poète, pour laquelle il consacrait moins de temps qu’à celle des autres, n’était-il pas juste qu’il reçoive le prix Aliénor en 2015, décerné par le cercle Aliénor à Paris, pour son recueil Dans les ruines précédé de Marmailles et suivi de Mutants, aux éditions de l’Arrière-Pays où se lisent son lyrisme et son goût de parler clair.

Ce qui perdure/ habite l’invisible nous dit-il dans ce recueil. Avec le chagrin de ne plus le voir auprès de nous, nous le savons : il demeure.

                                                                                      

Danièle Corre

 

 

« Honnête homme », poète et solitaire

 

C’était une hypothèse : parfois, Jean-Pierre et moi échangions, en plaisantant, sur ce que pourrait être le dernier numéro de Friches. C’était une hypothèse : la réalité est toujours plus brutale. Aujourd’hui, brutale jusqu’à l’indécence. La mort est indécente. Heureusement, elle ne peut enlever, à ceux qui restent, ces souvenirs qui aident à vivre.

Mes souvenirs avec Jean-Pierre ont été semés sur tellement d’années… Je me souviens des nombreux salons du livre auxquels nous avons participé. Je me souviens que je suivais du regard sa haute silhouette, couronnée d’un chapeau à larges bords, parcourir les stands. Je me souviens d’avoir constaté, avec admiration, qu’il était connu d’un nombre important de poètes, éditeurs, revuistes, etc. Nous en avons usé des fonds de pantalons derrière des tables où nos ouvrages et la revue Friches étaient exposés ! Nous en avons passé des journées à dialoguer avec des amateurs de poésie, parfois bavards, parfois étranges, parfois de véritables connaisseurs et amoureux sensibles des mots. C’était un temps vivant d’échanges. Je me souviens, entre autres, du Salon du livre de Paris, du Salon de la revue, à Paris encore, du Marché de la Poésie (Saint-Sulpice) toujours dans la capitale, des rencontres de Lodève, Rodez, Aurillac, Rochefort sur Loire, etc. etc. Sans oublier Lire à Limoges : nous étions « à la maison » ; une façon de montrer au public limousin que la poésie existe (et bien !) dans notre région !

Des salons où la revue était en bonne place. Cette revue, qu’il a fondée en 1983, était une des grandes passions de sa vie. J’ai toujours été admiratif des revuistes, ces altruistes qui passent leur temps au service de poètes comme moi, qui sont soit incompétents, soit trop paresseux pour relier entre eux les amateurs de poésie. Concevoir un nouveau numéro, c’est-à-dire trouver le sujet d’un dossier, trouver le rédacteur qui rédigera un article (et, parfois, le rappeler plusieurs fois, parce qu’il a du retard, ou …), trouver des textes et des rubriques, relire enfin toutes ces pages et les classer, emporter tout cela chez l’imprimeur, etc., c’est un véritable travail.

De plus, Jean-Pierre était aussi un réel démocrate. Je me souviens de la conception de chaque numéro, qui se terminait toujours par une réunion du comité de lecture (parfois réduit à Sylvie Principaud, Mathilde Rimaud, Michèle Roy, et moi). Parfois même, avec Gilles Lades venu tout exprès de Figeac : environ 400 kms aller/retour ! ). La réunion était toujours sérieuse. Jean-Pierre y veillait. Il nous présentait ce qui allait devenir le prochain numéro. Tout était prêt. Tout était clair. Alors, c’était le moment des discussions, parfois de vifs débats, jusqu’à la validation de la part du « patron ».

Friches réunit, en ce mois de janvier, environ 200 abonnés.

« Vous allez bien prendre un petit gâteau avant de partir… Et puis, j’ai fait un peu de thé ! » C’était Bernadette, l’épouse de Jean-Pierre, une femme discrète et bienveillante, une personne véritablement modeste qu’on ne peut pas ne pas aimer.

 

Le prix Troubadour / Trobador (préférez « Trobador ») : rigueur et démocratie.

Tous les deux ans, un jury, composé d’une dizaine de personnes, élit un(e) poète. Ce concours est/était ouvert à tous. Jean-Pierre recevait toujours, au moins, une quarantaine de manuscrits (chacun d’une cinquantaine de pages) venus de tous les coins de France. Ce prix est renommé.

Tous ces manuscrits, Jean-Pierre en faisait des parts égales, souvent quatre lots. Chacun de ces lots était envoyé aux divers correspondants qui, sérieusement, classaient et attribuaient une note à chacun des manuscrits. Pour simplifier : celui qui, les lots étant passés de mains en mains, obtenait le plus grand nombre de points, était déclaré vainqueur et lauréat du Prix. Aucune tricherie possible : le « patron » veillait. C’est dans ces conditions, d’ailleurs, que le 16° prix a été attribué, cet été, à Joëlle Abed. Ce prix consiste en l’édition de son manuscrit, intégralement financée par la revue.

 

Jean-Pierre était un homme honnête et rigoureux.

De la rigueur, il en faut, lorsqu’on est historien. Sur les tables, dans les salons du livre, l’amateur pouvait admirer un ouvrage de presque 300 pages, signé Jean-Pierre Thuillat et intitulé Bertran de Born, histoire et légende (Éditions Fanlac). Un ouvrage de référence, construit avec une précision d’horloger. Jean-Pierre était historien de formation, ne l’oublions pas. (et titulaire du DEA de civilisation de Poitiers) Le livre s’est bien vendu ; il a obtenu de nombreux prix. Il est remarquable. Il a d’ailleurs été suivi par un second ouvrage : Haut et fort, poèmes de B de Born (avec des textes bilingues : Jean-Pierre était un fervent partisan de l’enseignement de l’occitan, une langue qu’il maniait avec brio. (cf. Testa a etestar – 1978 : pamphlet bilingue sur ce sujet) Cependant, il était pessimiste sur son avenir. Il a écrit : « degun pus n’auvira la lenga trobaritz » (Personne n’entendra plus le parler troubadour)

Avec Bertran de Born (le personnage et tout ce qu’il véhicule), Jean-Pierre réunissait ses trois passions : l’histoire (le Moyen Age), l’occitan, la poésie.

L’histoire, les racines. Saint-Yrieix-la-Perche et Glandon étaient ses racines. Jean-Pierre est né à Saint-Yrieix, a vécu à Saint-Yrieix dans sa grande maison à l’orée de la forêt, sur la route de Glandon, a enseigné à Saint-Yrieix au collège Darnet ; est décédé à Saint-Yrieix.

Il racontait aussi son père : le menuisier, l’ébéniste. Un artisan. Le poète, un artisan également ?

Je me souviens de Jean-Pierre : une véritable personnalité, un être sensible et discret (secret ?), timide mais volontaire (son calme n’était parfois qu’apparent), rigoureux dans son quotidien (il était trésorier de l’association ; no comment !), dans son éthique.

Ce mercredi de janvier s’est perdu dans des nuances de gris et de pleurs. La foule des arédiens a envahi la collégiale de Saint-Yrieix (dont Jean-Pierre connaissait si bien l’Histoire ...) Le silence était transparent. Je crois que quelqu’un a dit « un ange passe » !

Lorsqu’un poète meurt, il doit vivre dans nos mémoires. Lorsqu’un poète meurt, il faut lire et relire ses textes, il faut relire cette poésie à la fois simple et puissante, sensible au destin des hommes !

 

***

Au hasard, deux textes de Jean-Pierre Thuillat…

 

Précipités dans l’éphémère

nous qui ne vivons

que pour la permanence !

 

Ce qui perdure

habite l’invisible.

A le rattraper

nous usons nos forces

creusons sans cesse plus profond

vers un fond

qui toujours s’esquive.

 

L’inéluctable

montée des eaux

abolira jusqu’au symbole.

 

(In Dans les ruines)

***

 

Ce qui existe

ne se voit pas

dans le jardin de terre des hommes

ni dans leurs maisons de sommeil

ni dans leurs habits de lumière.

 

Ça se dessine sur du vent

que le jour dévie de sa course.

À peine a-t-on le temps de voir

une feuille qui se retourne.

 

Ce qui existe n’existe pas

dans les certitudes des hommes

seulement dans les yeux d’enfants

le matin

au premier réveil.

 

(in Marmailles)

Jean-Pierre Thuillat et Alain Lacouchie à la mairie de Saint-Yrieix-la-Perche devant un « mural » d’Alain Lacouchie.

 

Alain Lacouchie,

président du Centre d’Action Poétique (qui englobe la revue Friches et les éditions Trobar)

 

P.S. N’oublions pas Joseph Rouffanche, Prix Mallarmé, qui, en Limousin, et surtout avec nous, a été le passeur de cette poésie dont il avait la passion.

 

 

Souvenir de Jean-Pierre Thuillat

 

Je ne suis sans doute pas le mieux placé pour parler de Jean-Pierre Thuillat, mais je ne peux m’empêcher de dire quelques mots en tant que dernier lauréat du Prix Troubadour/ trobador que sa revue m’a décerné. D’abord l’exigence de la formule avec le nom en bilingue, signe de l’appartenance indéfectible de cet homme à sa communauté linguistique, mais aussi signe de son ouverture d’esprit qui accueillait en son sein des poètes issus de la langue nationale.

Il vitupérait contre les médias qui donne trop la parole aux vedettes, mais ne manquait pas de saluer les animateurs de revue, comme Jean-Claude Tardif. D’une façon générale il faisait un parallèle entre les revues et les soignants de hôpitaux.

Il terminait ses courriels par « Portez-vous fiers ». Je crois en effet qu’il portait haut l’idée de l’homme et de ses missions.

 

Bernard Fournier

 

 

La voix singulière de Jean-Pierre, notre ami

 

Jean-Pierre Thuillat m’a remis en 2014 le prix Troubadours, ce qui me donna la joie de mieux le connaître. D’emblée je me sentis à l’aise auprès de cet homme calme, mesuré, capable d’« entrevoir dans un silence/ la moindre ride au bord du cœur », d’autant mieux qu’il prisait la lenteur – « Chaque fleur me demande des années de patience ». J’ai ensuite apprécié avec quel discret dévouement il se mettait au service de la poésie, en animant, sans compter ses heures de travail, jusqu’à la limite de ses forces, la revue Friches et les Cahiers de poésie verte ; la relation à l’autre y restait première : « le silence est parfois angoissant », m’avait-il avoué une fois où j’avais tardé à donner des nouvelles ; plus que tout lui importait que la communication ne fût pas coupée.

Lui-même obtint, pour Dans les ruines, précédé de Marmailles et suivi de Mutants, le Prix Aliénor 2015, consentant à « [s’]éloigner de [s]a clairière » verdoyante pour la cérémonie de remise. Comme il était heureux, ce jour de décembre, parmi ses amis ! Le directeur de revue parla en toute connaissance de la poésie contemporaine et quand il se rangea au nombre des poètes « ordinaires », je me souviens d’avoir secrètement souhaité que l’ordinaire fût toujours d’une qualité, d’une authenticité comparables à celles de sa poésie.

Jean-Pierre était angoissé par la ruine de valeurs auxquelles il croyait : « Que ce qu’on a cru, n’ait plus cours ! », s’exclame-t-il, horrifié par « les temps du soufre » et leur barbarie. Il gardait malgré tout pour mot d’ordre de se remettre inlassablement « devant les mots », afin de « relever le défi de l’ombre ».

La voix singulière de Jean-Pierre, notre ami, n’en finira pas de résonner avec force et netteté, sans plus d’obstacle physique pour l’assourdir désormais – voix empreinte de bonté et de poésie.

 

Béatrice Marchal

 

                    

À Jean-Pierre Thuillat, poète et serviteur de la poésie

 

Jean-Pierre Thuillat est un de ces hommes qui vous proposent une aventure, une aventure sur laquelle l’on peut se retourner en sachant qu’elle vous a augmenté. Certes, nous étions tous sur les sentiers de la Poésie, mais sans cette entreprise commune, nous n’aurions pu exprimer ni réaliser une part importante de nous-mêmes. Tout ce que nous avons connu avec lui autour de la revue FRICHES : réunions de travail, partages amicaux, lectures publiques, Fêtes du Livre, conférences et débats, prix Troubadours, acquiert rétrospectivement une magnifique densité.

Nous pouvons, nous pourrons parcourir et relire les 131 numéros de FRICHES en voyant surgir souvenirs, anecdotes, émotions, en n’oubliant jamais que ce qui en fait l’unité, ce qui a toujours été présent, c’est, à travers la ferveur vigilante de son animateur, l’amour de la Poésie, que chaque action, article, intervention, servait passionnément et humblement. Merci à Jean-Pierre de nous avoir rendus contemporains du grand atelier poétique mêlant grandes œuvres et voix nouvelles. Ces voix nouvelles qui donnaient leur plus belle justification à FRICHES.

                                                                             *

Je regrette de ne pas avoir mieux fait connaître le Quercy à Jean-Pierre. Pour réparer ce manque, j’ai choisi un poème de « Val Paradis », consacré à la rivière aux bords de laquelle je suis né : le Célé. C’est aussi un hommage au travail éditorial de Jean-Pierre, puisque ce recueil a été publié aux « Cahiers de Poésie Verte ».

 

               En été

 

Du vert au blanc les ocres s’emprisonnent

puis se libèrent avec les jaunes

 

les galets soyeux sont un port

la marée

le plus violent de la mémoire

 

l’heure n’est qu’un vent de puissance

comme un homme se saoule de ses actes

jusqu’à la noire fraîcheur

 

tout le soleil nous salue d’un roc menu

posé sur la pyramide pubescente

pivot de chemins, d’années

 

nous avançons dans l’œuvre de chaleur

 

lentement vers septembre s’écrit

la phrase de l’été

paraphée avec nous par la main large et douce

 

le livre en est à quelques pages

calligraphiées selon les encres d’un vitrail

rallumé à chaque souvenir

 

                                                                                      Gilles LADES       

 

 

 

 

Hommage à Jean-Pierre Thuillat

Dossier réalisé par Dominique Zinenberg

Francosemailles, mars-avril 2021

 

 

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