Juste savoir
Juste savoir encore si je pourrai rêver.
Si le beau qui fut ma vie,
parfois,
a des raisons d'espérer.
De se réinventer.
Si cet amour que je n'avais pas vu
peut encore pardonner de n'avoir pas su.
Si mes combats pour l'homme ne seront plus trahis par
quelque aventurier qui les maquillera.
Si le temps qu'il me reste à me tenir debout,
déjà bien plus réduit que celui qui a fui,
sera plus près des vagues que d'un lac assoupi.
Je voudrais bien mourir le plus vivant possible
au plus près de mes désirs d'enfant.
Ne pas salir l'image du miroir.
***
Demain, plus tard
Demain, plus tard, quand mon solde de vie aura rompu
l'amarre de toutes les finances, je partirai.
Ce sera un matin, juste à peine un peu tiède.
Je prendrai mon blouson, mes chaussures de marche, et
le vieux maquila de l'arrière-grand-père, qu'il avait travaillé en forme
de serpent enroulé à la branche.
J'irai loin tout partout où mes rêves m'attendent, et
des amis sans doute pour me tendre des mots.
Avec un feu ouvert si le soir fraîchissait.
D'Étretat en Ardennes, un retour en Jura.
Du pont dessus le Tage jusques au Port d'Erquy, des
forêts d Pologne jusques aux monts d'Arree .
Des sentiers en Provence, dans tous ces monts d'odeur
qui éclairent le ciel.
Je pousserai jusqu'aux calanques, la fougasse, bien
sûr, la senteur citronnée du thym, l'eucalyptus.
Un olivier tordu.
Le tout petit chemin.
Et si l'idée m'en vient, je m'irai en Sicile et au sud
de l'Espagne pour voir des femmes en noir dessus des routes sèches.
Je ne reviendrai pas où j'ai posé des pas depuis temps
de l'enfance.
Et quand j'aurai fini, que me viendra le temps de
toutes les fatigues, bien des années après, je viendrais dormir là, sur
la grève d'Etel, où je suis né si tard.
Groix au loin pour cendres.
***
Miracle de l'amour
Il est tellement simple de donner son sourire lorsque
l'on est heureux,
tellement plus complexe de le tendre à quelqu'un
lorsque les larmes montent.
Tellement facile d'appeler l'autre à soi
sur des terrains qu'on sait,
tellement plus ardu d'aller sur ceux qui sont les
siens.
Tellement convenu de donner les leçons de ce que l'on
croit savoir,
Tellement plus honnête que d'accepter d'apprendre tout
ce qui vous dérange.
Le miracle étant lorsque les deux cheminent de la même
façon,
en ne reniant rien ni de soi ni de l'autre,
en en faisant du miel,
pour habiller l'amour.
***
Dans le wagon de queue
Dans le wagon de queue, un homme hypothétique épuisait
son sommeil à ne pas trop rêver. De pinèdes en bruyères, la lande
défilait et ses odeurs d'enfance, les pas chauds sur le sable, l'airial
un peu plus loin où tournoyaient des filles et leurs éclats de rires.
En cahots réguliers revenaient les cohortes. Celles
des femmes en noir assises au seuil des portes marmonnant à voix basse
quelques imprécations, un bâton à la main. Le grincement des chaînes
qu'on remontait du puits couvrait souvent les cris.
Et parfois en reflets aux fenêtres embuées, des hommes
en béret rocaillaient quelque histoire avant de s'aligner, couvre-chef à
la main, au sortir des églises pour des condoléances, de ces poignées de
main pointillés de mémoire. Nul ne saurait médire.
A chaque tour de roue, comme un refrain de vie, les
temps s'échelonnaient et leur insignifiance, parfois de vraies blessures
ou des voies détournées. Les arrêts, quais déserts, où ne parle personne
que l'on puisse comprendre. Et les sifflets stridents.
Tout à l'heure, au final, comme on ébroue sa vie, il
montera en tête, dans la première rame et descendra la vitre. La
rencontre de l'air effacera des larmes. En se penchant un peu, il verra
que peut-être, si le jour le permet, une femme en la gare, agitera la
main.
***
Je viens de ce pays
Je viens de ce pays au tout près de l'Espagne
Où les monts arrondis ont les pieds dans la mer
J'en ai gardé le chaud et le goût de l'accueil
Il y avait une cour dans la vieille maison
Nous n'avions pas grand-chose mais nous le partagions
Dans des fêtes et des rires qui faisaient fi des mots
Il y avait de là-bas le franquisme saignant qui nous
jetait du sang
Des femmes et des hommes aux yeux en désespoir et des
enfants enfants
D'autres venus de plus bas d'un autre continent et qui
venaient se vendre
On ne disait ni réfugiés ni immigrés on disait hommes
Avec cette fraternité-là de ceux qui n'ont plus rien à
ceux de pas grand chose
De l'atelier aux champs de l'usine à la route on a les
mêmes mots avec d'autres accents
Et les robes tournaient en farandoles folles aux
couleurs du soleil
On s'apprenait des mots à chanter l'impossible à boire
ou à révolte
Moi j'aimais Mercédès qui me tenait la main et me
tirait la langue
C'était temps de refuge et c'était temps d'accueil
dans ces jours de garrot et de guerres au sud
Algérie ou Espagne tous les temps étaient lourds mais
papa était frère
Et maman apprenait les cuisines d'ailleurs et elle
parlait fort
Je viens de là tu vois comme un tronc qui me tient
J'ai tout le sud aux feuilles et l'accueil aux racines
Demain n'est pas pareil et aujourd'hui non plus j'en
sais les différences
Mais j'ai gardé en moi juste ce chant de l'homme qui
me vient de si loin
Des bords des Pyrénées
***
Octobre est là
Octobre est là. Je me souviens, tout un peu frais,
mais bien plus beau.
Forcément, c'est ce temps de l'automne qui nous fait
aussi gris, laisse monter les doutes et tous les impossibles.
Ce sont les mains qui tombent comme feuilles. Tout
ainsi fait la brume. Le vent est impassible. C'est un temps immobile.
Alors, j'écris et je me fais soleil, du doux au matin.
Comme la vague qui scintille.
Alors, je marche et je respire, au plus profond. Comme
un chapeau de paille.
Alors je sais qu'il n'y a plus de barrière, que tout
le temps est là. Bien au-delà des mots, de leurs saisons figées.
Une barque et quelques mots assis. Un tapis de
douceur. La lumière inouïe des cycles de la vie.
Un jour, quelqu'un viendra me dire que je suis mort.
Je ne le croirai pas. Je t'écrirai encore que l'automne flamboie.
***
Tu y poses tes pas
Tu y poses tes pas
j'aurais voulu y être
je m'en vais te le dire
moi
le Paris que j'aime
qui vit dans ma tête
je ne vois rien du vrai que tout ce que j'y mets
tout d'abord
tu sais
ce serait le printemps
en quittant Austerlitz
au long des grilles et du jardin des plantes
les platanes qui fleurent
un tronc tellement rond que tu n'y pourrais rien
Censier et Jussieu avec leurs drapeaux rouges
et sur un mur
là-bas
encore cette trace
soyez donc réalistes demandez l'impossible
la rue Descartes tout en haut de la rue Mouffetard
sa maison de Verlaine et son odeur d'absinthe
l'envie de me dire qu'il fit un rêve étrange en se
tordant le pied sur un pavé bancal
le marché juste en bas où un band fait le bœuf
saluer Geneviève en allant vers la Seine
acheter sur les quais le portrait de Rimbaud que tu
m'avais offert
square Viviani et Nanar l'anarchiste
la rue de la Huchette
celle qu'en 71 les CRS prenaient toute en sandwich
d'un côté et de l'autre
quand j'étais au milieu
les portes qui s'ouvraient juste pour protéger
le Saint André des Arts et les films à 1F
on chantait rouge 3 fois et même sans dormir
et les sandwichs au thon quand on avait des sous
Saint Germain et ses ombres tous ceux qui nous ont
fait
Gréco avec son nez et pieds nus la main de Miles
Davies
la trompette de Vian
Sartre avec ou sans Simone et le chien de Prévert
lire parler, débattre, aimer
Aragon et Breton dans une déchirure
tous ceux qui m'ont fait homme et à qui je me dois
oui
des ombres bien sûr
supplantées de bobos mais je ne les vois pas
je te l'ai dit
je sais
tout ça est dans ma tête
de Buci à la Seine et toutes les sculptures
les peintres sur les mains
la rue Saint Louis quand tu pousses les portes sur des
jardins intimes
que tu vois Moustaki rire sur une blonde
un hôtel
tout en face où je te déferai
juste avant le Marais
un de mes jours aux Vosges
au bout des galeries
un homme
sans domicile
se rasait un matin
en se mirant dans la plaque de cuivre d'un notable du
cru
la rue des Rosiers pour ne pas déroger
le soir
tu verras
nous irons à Montmartre jusqu'au Lapin Agile
y trouver d'autres ombres qui me font des lumières
des musées partout
des fenêtres ouvertes
le mur des Fédérés
et je m'endormirai
nous verrons bien demain
s'il y a des mouettes
dessous le Pont des Arts
Paris de mon histoire et de mon mal aux pieds
cette histoire du monde écrite sur les murs
Paris dedans ma tête
avec du noir
du blanc
et peut-être un baiser
je ne verrai rien d'autre
ce ne sera que moi
mais je sais que tu sais
***
Je vais te dire le secret
Je vais te dire le secret. Il n'y a de vie, il n'y a de
mots qu'en émotion. Au derrière du temps, de la désespérance, aller
chercher le beau et en pleurer, parfois.
Au rebours des yeux des autres quand ils vous sont
amis et qu'ils trouvent les mots qui vous arrachent l'âme. Juste, tout
juste dire merci. Il n'en est pas besoin.
Ou s'en aller chercher (le jour va être beau) sous le
bleu, au bord du blé, quelqu'une des fleurs rouges que l'on montre du
doigt à quelqu'un qui n'est pas. Et qui font résistance.
Au plus profond du vrai.
Rester vivants dit-elle
©Jean Diharsce
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