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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Novembre-décembre 2023

 

 

 

Jean Diharsce : « Au plus profond du vrai. »

 

Poèmes inédits

 

(*)

 

 

Photo Éliette Vialle (crête des Alpilles, tour du Contras)

 

 

Juste savoir

 

Juste savoir encore si je pourrai rêver.

 

Si le beau qui fut ma vie,

parfois,

a des raisons d'espérer.

 

De se réinventer.

 

Si cet amour que je n'avais pas vu

peut encore pardonner de n'avoir pas su.

 

Si mes combats pour l'homme ne seront plus trahis par quelque aventurier qui les maquillera.

 

Si le temps qu'il me reste à me tenir debout,

déjà bien plus réduit que celui qui a fui,

sera plus près des vagues que d'un lac assoupi.

 

Je voudrais bien mourir le plus vivant possible

au plus près de mes désirs d'enfant.

 

Ne pas salir l'image du miroir.

 

***

 

Demain, plus tard

 

Demain, plus tard, quand mon solde de vie aura rompu l'amarre de toutes les finances, je partirai.

 

Ce sera un matin, juste à peine un peu tiède.

Je prendrai mon blouson, mes chaussures de marche, et le vieux maquila de l'arrière-grand-père, qu'il avait travaillé en forme de serpent enroulé à la branche.

J'irai loin tout partout où mes rêves m'attendent, et des amis sans doute pour me tendre des mots.

Avec un feu ouvert si le soir fraîchissait.

 

D'Étretat en Ardennes, un retour en Jura.

Du pont dessus le Tage jusques au Port d'Erquy, des forêts d Pologne jusques aux monts d'Arree .

Des sentiers en Provence, dans tous ces monts d'odeur qui éclairent le ciel.

Je pousserai jusqu'aux calanques, la fougasse, bien sûr, la senteur citronnée du thym, l'eucalyptus.

Un olivier tordu.

 

Le tout petit chemin.

 

Et si l'idée m'en vient, je m'irai en Sicile et au sud de l'Espagne pour voir des femmes en noir dessus des routes sèches.

Je ne reviendrai pas où j'ai posé des pas depuis temps de l'enfance.

 

Et quand j'aurai fini, que me viendra le temps de toutes les fatigues, bien des années après, je viendrais dormir là, sur la grève d'Etel, où je suis né si tard.

Groix au loin pour cendres.


***



Miracle de l'amour

 

Il est tellement simple de donner son sourire lorsque l'on est heureux,

tellement plus complexe de le tendre à quelqu'un lorsque les larmes montent.

 

Tellement facile d'appeler l'autre à soi

sur des terrains qu'on sait,

tellement plus ardu d'aller sur ceux qui sont les siens.

 

Tellement convenu de donner les leçons de ce que l'on croit savoir,

 

Tellement plus honnête que d'accepter d'apprendre tout ce qui vous dérange.

 

Le miracle étant lorsque les deux cheminent de la même façon,

en ne reniant rien ni de soi ni de l'autre,

en en faisant du miel,

pour habiller l'amour.

 

***


Dans le wagon de queue

 

Dans le wagon de queue, un homme hypothétique épuisait son sommeil à ne pas trop rêver. De pinèdes en bruyères, la lande défilait et ses odeurs d'enfance, les pas chauds sur le sable, l'airial un peu plus loin où tournoyaient des filles et leurs éclats de rires.

 

En cahots réguliers revenaient les cohortes. Celles des femmes en noir assises au seuil des portes marmonnant à voix basse quelques imprécations, un bâton à la main. Le grincement des chaînes qu'on remontait du puits couvrait souvent les cris.

 

Et parfois en reflets aux fenêtres embuées, des hommes en béret rocaillaient quelque histoire avant de s'aligner, couvre-chef à la main, au sortir des églises pour des condoléances, de ces poignées de main pointillés de mémoire. Nul ne saurait médire.

 

A chaque tour de roue, comme un refrain de vie, les temps s'échelonnaient et leur insignifiance, parfois de vraies blessures ou des voies détournées. Les arrêts, quais déserts, où ne parle personne que l'on puisse comprendre. Et les sifflets stridents.

 

Tout à l'heure, au final, comme on ébroue sa vie, il montera en tête, dans la première rame et descendra la vitre. La rencontre de l'air effacera des larmes. En se penchant un peu, il verra que peut-être, si le jour le permet, une femme en la gare, agitera la main.


***


Je viens de ce pays

 

Je viens de ce pays au tout près de l'Espagne

Où les monts arrondis ont les pieds dans la mer

J'en ai gardé le chaud et le goût de l'accueil

 

Il y avait une cour dans la vieille maison

Nous n'avions pas grand-chose mais nous le partagions

Dans des fêtes et des rires qui faisaient fi des mots

 

Il y avait de là-bas le franquisme saignant qui nous jetait du sang

Des femmes et des hommes aux yeux en désespoir et des enfants enfants

D'autres venus de plus bas d'un autre continent et qui venaient se vendre

 

On ne disait ni réfugiés ni immigrés on disait hommes

Avec cette fraternité-là de ceux qui n'ont plus rien à ceux de pas grand chose

De l'atelier aux champs de l'usine à la route on a les mêmes mots avec d'autres accents

 

Et les robes tournaient en farandoles folles aux couleurs du soleil

On s'apprenait des mots à chanter l'impossible à boire ou à révolte

Moi j'aimais Mercédès qui me tenait la main et me tirait la langue

 

C'était temps de refuge et c'était temps d'accueil dans ces jours de garrot et de guerres au sud

Algérie ou Espagne tous les temps étaient lourds mais papa était frère

Et maman apprenait les cuisines d'ailleurs et elle parlait fort

 

Je viens de là tu vois comme un tronc qui me tient

J'ai tout le sud aux feuilles et l'accueil aux racines

Demain n'est pas pareil et aujourd'hui non plus j'en sais les différences

 

Mais j'ai gardé en moi juste ce chant de l'homme qui me vient de si loin

Des bords des Pyrénées


***


Octobre est là

 

Octobre est là. Je me souviens, tout un peu frais, mais bien plus beau.

 

Forcément, c'est ce temps de l'automne qui nous fait aussi gris, laisse monter les doutes et tous les impossibles.

 

Ce sont les mains qui tombent comme feuilles. Tout ainsi fait la brume. Le vent est impassible. C'est un temps immobile.

 

Alors, j'écris et je me fais soleil, du doux au matin. Comme la vague qui scintille.

Alors, je marche et je respire, au plus profond. Comme un chapeau de paille.

Alors je sais qu'il n'y a plus de barrière, que tout le temps est là. Bien au-delà des mots, de leurs saisons figées.

 

Une barque et quelques mots assis. Un tapis de douceur. La lumière inouïe des cycles de la vie.

 

Un jour, quelqu'un viendra me dire que je suis mort. Je ne le croirai pas. Je t'écrirai encore que l'automne flamboie.

***


Tu y poses tes pas

 

Tu y poses tes pas

j'aurais voulu y être

 

je m'en vais te le dire

moi

le Paris que j'aime

qui vit dans ma tête

 

je ne vois rien du vrai que tout ce que j'y mets

 

tout d'abord

tu sais

ce serait le printemps

en quittant Austerlitz

au long des grilles et du jardin des plantes

les platanes qui fleurent

un tronc tellement rond que tu n'y pourrais rien

Censier et Jussieu avec leurs drapeaux rouges

et sur un mur

là-bas

encore cette trace

soyez donc réalistes demandez l'impossible

la rue Descartes tout en haut de la rue Mouffetard

sa maison de Verlaine et son odeur d'absinthe

l'envie de me dire qu'il fit un rêve étrange en se tordant le pied sur un pavé bancal

le marché juste en bas où un band fait le bœuf

 

saluer Geneviève en allant vers la Seine

acheter sur les quais le portrait de Rimbaud que tu m'avais offert

square Viviani et Nanar l'anarchiste

la rue de la Huchette

celle qu'en 71 les CRS prenaient toute en sandwich

d'un côté et de l'autre

quand j'étais au milieu

les portes qui s'ouvraient juste pour protéger

le Saint André des Arts et les films à 1F

on chantait rouge 3 fois et même sans dormir

et les sandwichs au thon quand on avait des sous

 

Saint Germain et ses ombres tous ceux qui nous ont fait

Gréco avec son nez et pieds nus la main de Miles Davies

la trompette de Vian

Sartre avec ou sans Simone et le chien de Prévert

lire parler, débattre, aimer

Aragon et Breton dans une déchirure

tous ceux qui m'ont fait homme et à qui je me dois

 

oui

des ombres bien sûr

supplantées de bobos mais je ne les vois pas

 

je te l'ai dit

je sais

tout ça est dans ma tête

 

de Buci à la Seine et toutes les sculptures

les peintres sur les mains

la rue Saint Louis quand tu pousses les portes sur des jardins intimes

que tu vois Moustaki rire sur une blonde

un hôtel

tout en face où je te déferai

 

juste avant le Marais

un de mes jours aux Vosges

au bout des galeries

un homme

sans domicile

se rasait un matin

en se mirant dans la plaque de cuivre d'un notable du cru

la rue des Rosiers pour ne pas déroger

 

le soir

tu verras

nous irons à Montmartre jusqu'au Lapin Agile

y trouver d'autres ombres qui me font des lumières

des musées partout

des fenêtres ouvertes

le mur des Fédérés

 

et je m'endormirai

 

nous verrons bien demain

s'il y a des mouettes

dessous le Pont des Arts

 

Paris de mon histoire et de mon mal aux pieds

cette histoire du monde écrite sur les murs

 

Paris dedans ma tête

avec du noir

du blanc

et peut-être un baiser

 

je ne verrai rien d'autre

ce ne sera que moi

mais je sais que tu sais

***


Je vais te dire le secret

 

Je vais te dire le secret. Il n'y a de vie, il n'y a de mots qu'en émotion. Au derrière du temps, de la désespérance, aller chercher le beau et en pleurer, parfois.

 

Au rebours des yeux des autres quand ils vous sont amis et qu'ils trouvent les mots qui vous arrachent l'âme. Juste, tout juste dire merci. Il n'en est pas besoin.

 

Ou s'en aller chercher (le jour va être beau) sous le bleu, au bord du blé, quelqu'une des fleurs rouges que l'on montre du doigt à quelqu'un qui n'est pas. Et qui font résistance.

 

Au plus profond du vrai.

 

Rester vivants dit-elle

 

 

©Jean Diharsce

 

 

 

(*)

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« J’ai 69 ans. Basque de naissance.

J’ai deux grands enfants de 23 et 40 ans, mes lumières et mes fiertés.

Après une longue carrière administrative au service des consommateurs, une opération à cœur ouvert, j’ai fait le choix de continuer le chemin au plus près de cette Bretagne rebelle et sauvage qui me ressemble tant.

Pour y vivre, marcher et écrire. En parler.

L’écriture

Dès 13 ou 14 ans j’ai écrit, tous les jours. J’ai souvent dit que la poésie est en moi au même titre que le sang qui circule dans mes veines.

Pierre Reverdy et Jean-Pierre Siméon sont pour moi deux rencontres de lecture essentielles.

Parce qu’ils sont tous deux ce que la poésie doit être à mes yeux : une recherche de l’épure et de la simplicité, pour aller d’une émotion à une autre.

Cette émotion est en moi, la nature, les rencontres, l’amour la génèrent au quotidien.
J’essaie de dépouiller de plus en plus, au plus simple, au plus vrai…

 

Mes publications

 

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J’ai publié 6 recueils de poésie chez Jacques Flament Éditeur entre 2018 et 2022, dont deux à quatre mains avec Patricia Ryckewaert et Sylvie Méheut.

 Et une biographie d’André Laignel aux éditions de l’Aube en 2010.

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Celui dont je suis le plus proche est sans aucun doute À cœur ouvert, écrit après un long séjour en hôpital et dont la préface m’a été offerte par Robert Notenboom qui vient de décéder et est pour moi un des plus grands poètes de ces cinquante dernières années. »

 

 

 

 

Jean Diharsce

Francosemailles, novembre-décembre 2023

Recherche Éliette Vialle

 

 

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