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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Mars-avril 2023

 

 

 

Laura Vazquez

 

Une poudre qui ne protège rien

(extrait)

 

(*)

 

Jacques Grieu, Trois fois rien (peinture reproduite de son site, avec l’aimable autorisation de l’auteur)

Nota bene : le « cadre » fait partie du tableau… 

 

 

une femme avance 

et dit 

 

Je

 

voudrais que la foule me prenne

c'est comme ça que je veux mourir une foule

entre dans un bâtiment écrasé

les meubles certains murs

certaines douleurs la foule absorbe les sols

l'éclairage ou toutes les attaches

recouvrent les objets les enfants de ce monde

se superposent

leurs mains se multiplient

leurs doigts se tordent et certains fusent

ils perdent leurs contours

 

 

longue foule silencieuse

comme si toutes choses vivaient 

entourées d'autres lourdes

 

 

une femme avance et dit

 

l'objet ne représente pas un objet

 

elle dit un pain n'est pas un pain

 

elle s'adresse à une personne qui l'a blessée

 

elle dit

 

je

 

je te tuerai pour que tu ressembles à un tissu

je casserai tes paroles

Je ne vais pas dire miskine ou miskina

 

je te mettrai dans un bocal

pour que les bords deviennent ta personne

tu n'auras plus de nom et je prendrai

 

une seule image de ta vie

une seule attitude 

je la mettrai dans ton cerveau

pour que tu sois rigide dans le monde

 

les ligaments sombres

une ombre détruit un véhicule plein d'humains

ceci est un accident

 

ceci est un accident 

mais les gestes de l'ombre

n'engendrent pas de sons

les scènes passent en silence la nature absorbe

les images

 

*

 

un homme seul élève des chenilles dans le tiroir

de sa commode

chaque matin il place

un petite chenille sur le haut de son crâne

il sort

fait le tour de la ville

le soir il rentre

se couche

il n'y a plus de chenille

c'est une preuve que tout quitte

 

je

au loin

 

chaque creux renferme une ombre

unique entre chaque partie du sol un relief les

segments

la pierre le silex

précieuse 

le ciel est blanc 

un nuage s'avance

 

surveillez les pointes métalliques dans mon esprit

passé

des parents sous forme de fœtus 

le visage de ma mère le jour de sa naissance

le sol s'étend 

 

insulte ton visage dans un miroir il ne réagit pas

regarde la surface

comme une dune un panneau 

 

il n'indique rien

 

*

 

une simple personne voulait voir la souffrance

faisait couler la souffrance

dans les tuyaux autour de sa maison

afin que sa souffrance entoure sa vie

une personne voulait

un souvenir

 

une main qu'on appellerait Diogène n'existe pas

derrière une main Diogène

une main qu'on appellerait Phèdre

mais derrière une autre toujours une chose tient

la main et

derrière la chose toujours une autre un microbe a 

et d'autres microbes  b c ou d et derrière le d ou

encore le f encore comme s'il n'y avait rien exactement

comme s'il n'y avait rien

 

*

 

la personne dit

 

je

 

veux toucher

voulant que

tout ne s'appuie pas sur tout

 

je

 

voulant comprendre

 

marche la nuit sur un chemin

sans lumière 

 

une longue marche noire jusqu'à la fin

il y a toujours une brûlure une parole

dans la blessure

 

je

 

avançais dans les rues

et toutes choses devenaient troubles

vous pouvez me comprendre

 

les choses appuyées sur d'autres

progressivement pâles

une ombre qui n'est même pas une ombre

mais son destin 

 

J'avançais je plongeais je voulais terminer

 

*

 

une cicatrice par personne

 

*

 

est-ce que tu manges parce que ta bouche est seule

 

une personne passe et dit

je mesure ma douleur avec ma douleur

je n'ai rien

mes yeux me gênent 

parce que ce sont les yeux de mon corps

ils ne sont pas mes yeux

je bouge au fond je masturbe le vent

je caresse les plaies je

caresse la vue  caresse ma propre main

 

une personne se promène une épingle à la main

elle ouvre cette main s'adresse aux inconnus 

dit regardez 

 

ma main pleine de mains

le ventre de ma mère plein de ventres de mères 

 

puis elle dépose son épingle sur sa langue

 

la nuit 

 

j'ouvre

 

mon canapé pour parler à dieu

je m'allonge et je parle 

je

 

on se coupe sans le vouloir

et derrière la peau il n'y a pas  de vide mais encore 

autre chose

 

*

 

j'ouvre la peau de mes amis

pardon

je voulais  vous connaître 

 

 

(*)

 

Ce texte est extrait du dernier ouvrage de Laura Vazquez Le livre du large et du long, Éditions du sous-sol, mars 2023 (410 pages), présenté ainsi sur le site de l’éditeur :

« Une épopée versifiée, imaginée comme une exploration du monde par les actions, les gestes, les aventures.

La narratrice vit des scènes et des idées, dans son esprit et en dehors, à toute allure. Elle est tour à tour et à la fois : folle, amoureuse, malade, sage, inquiète, calmée.

Un livre comme une encyclopédie incarnée, libre et subjective, une lecture et une auscultation du monde, allant des plus petites choses : la peau, les insectes, les atomes ; aux plus larges : les populations humaines, la guerre, les ciels. Des choses les plus intérieures : les sensations, les questionnements propres ; aux plus matérielles : la médecine, l’anatomie, l’architecture.

Une foi dans le langage rendu à sa force et à sa netteté, à ses trouvailles “brisant les verrous des choses”, un vif désespoir éclatant, un humour et une vivacité, un livre aussi réjouissant que troublant. (…)

Laura Vazquez creuse une différence, un courage. »

 

Les œuvres de Laura Vazquez s'inscrivent dans « une tendance émergente » des publications françaises récentes. Sous son titre étrange, Le livre du large et du long est destiné à être lu de long en large et à être « performé ».  Le QR code fourni à la fin de l'ouvrage permet d'accéder à une version audio.

Laura Vazquez a reçu le prix de la vocation pour La main dans la main en 2014 (éditions Cheyne) et la mention spéciale du prix Wepler pour son ouvrage La semaine perpétuelle en 2021 (éditions du sous-sol). Elle a publié aussi une anthologie de ses poèmes de 2014-2021 : Vous êtes de moins en moins réels (éditions Points, 2022). Elle est invitée à la Villa Médicis depuis l'été dernier.

(F.M.)

 

 

 

Laura Vazquez

Francosemailles, mars-avril 2023

Recherche François Minod

 

 

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