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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Novembre-décembre 2022

 

 

 

Mireille Diaz-Florian :

 

Pour parler de François Minod

 

(*)

 

 

J’avais déjà eu l’occasion de parler de François Minod, invité par Colette Klein. J’avais alors insisté sur le thème de la déambulation urbaine susceptible de nourrir l’écriture et qui reste une des composantes du travail de François Minod. Je m’étais engagée dans cet exercice improvisé sans aucune appréhension avec la certitude de faire découvrir une œuvre que je connaissais bien pour non seulement l’avoir lue silencieusement mais également l’avoir entendue dans le cadre de lectures publiques. J’aimerais donc aujourd’hui ouvrir une autre piste autour de l’expression faire entendre.

Prenons ce verbe dans diverses acceptions pour cerner mieux l’œuvre de François Minod. Dans les huit recueils publiés aux éditions Hesse, au Petit Véhicule et aux éditions Unicité, François Minod donne de la voix. Tantôt les mots bruissent entre deux silences, tantôt, ils expriment avec force ce qu’il y a à dire, voire à s’entendre dire.  Faire entendre est également faire entendre lire des textes où s’installe la parole mais aussi le patient travail sonore qui sous-tend toute écriture poétique.

 

La théâtralité : dialogue/monologue

Le titre sonore d’un des premiers recueils : Toc à trac annonce déjà la couleur à l’oreille. Un dialogue entre l’Un et l’Autre, l’Un commençant par : « Et toc ! » et suscitant du tac au tac, un « Et toc again ! » de la part de l’Autre fait entrer le lecteur dans un style qui pour utiliser l’humour, n’ignore pas la profondeur. Ces personnages anonymes qui cherchent des idées et des mots, semblent sortis d’une pièce de Beckett. Ils nous entraînent dans un tourbillon absurde, nous proposent de rire, mais le tic-tac d’un métronome mesure l’implacable cours du temps dans le vide.

Tous les recueils de François Minod laissent place à ces scènes où les protagonistes incarnent le dialogue intérieur. Avec les mots les plus simples, sous l’apparence de la légèreté, surgit l’inquiétude. Ils creusent le vide de l’existence, font entendre toutes ces voix en soi qui interrogent le monde. François Minod écoute le monde davantage qu’il ne le regarde. Il fait entendre ses bruits, ses rumeurs au lecteur qui sourit parfois, mais perçoit le grincement d’une porte qui ouvre un espace de questions sans réponses.

 

Écrire pour faire entendre la difficulté d’écrire et conséquemment sa nécessité.

Dans les textes de François Minod quelque chose cogne et cherche à se faire entendre : la nécessité de dire, d’écrire.

Parfois il passe aux aveux pour donner une définition de la poésie : c’est inscrit dans les bleus de la vie/ c’est écrit dans les rides de la peau/ ça chante sous les tilleuls séculaires/ ça bruisse dans la brise marine/ ça s’invite dans le creux des vagues blanches (Au plus près).

Souvent se révèle la difficulté de dire, de faire dire, de plier, de déplier, de faire plier la langue. Les mots résistent. Et aller les chercher reste une quête. D’où l’exigence d’écriture qui veut parvenir au noyau dur. Le titre de l’avant-dernier recueil Au plus près peut se lire dans cette perspective.  

Dans Grain à moudre, paru en 2009, le texte « Aller chercher les mots »   ouvre un questionnement qui parcourt l’ensemble de l’œuvre.

« Ne plus savoir quoi dire, pourtant il y a tant à dire, tous ces mots qui attendent d’être dits, toutes ces phrases qui ne demandent qu’à être écrites, prononcées, et on est là à dire : "je ne sais pas quoi dire", c’est tout de même quelque chose ça, ne pas savoir quoi dire, avec tous ces mots qui attendent. »  (Grain à Moudre p. 31)

Pourtant la nécessité de l’écriture est parfaitement assumée, réitérée. Elle laisse la trace, l’empreinte des blessures, de la lente déflagration des jours et des nuits, la fin des certitudes, l’espace déchiré du dedans (L’homme au banc p.17)

Enfin, elle prend sa puissance, sa densité dans le métier d’écrire qui à bien des égards -pour reprendre le très beau titre de Cesare Pavese- est « le métier de vivre ». Il incombe donc à François Minod d’avancer pas à pas, mot à mot, phrase à phrase, livre à livre, d’explorer toutes les ressources de la langue pour faire surgir les textes-scènes, les textes-poèmes, de laisser place sur la page blanche aux mots- dits, les mots en guise de viatique, même si on a conscience que c’est une façon de se donner le change, de détourner son attention, d’échapper à ça. Qu’on ne peut pas dire (Tant que les mots disent p.9).

Le lecteur mesure dans les ouvrages de François Minod le paradoxe d’une écriture qui affirme la nécessité et l’impuissance à écrire dans la justesse de ce qu’il y a à dire. Il y entre grâce à ce mouvement contradictoire. Il joue le jeu que l’écrivain accepte de jouer, « tant que les mots disent » autre aveu du titre d’un des recueils. Y-a-t-il a une recette ? Oui parfois, par exemple aller de l’avant/ continuer à écrire sans se soucier/ laisser les mots couler/ ne pas retenir. / Et s’en foutre de ce que ça va donner/ On n’est plus à écrire pour vouloir/ Non on en est à écrire pour pouvoir/ Respirer (Tant que les mots disent p.29).

Ainsi François Minod assume-t-il son rôle d’artisan des mots. Il annonce fermement son intention. Il s’agit de Déshabiller le mot /encore et encore /à cor et à cri. (De choses et d’autres). Ces mots, il les livre au lecteur qui peut-être s’y reconnaîtra, ce destinataire que Baudelaire nomme « mon semblable, mon frère ».

Se découvrent, se voient, s’entendent alors beaucoup de choses de notre société. 

Ainsi de notre façon de regarder un homme solitaire, évoqué dans L’homme au banc, qui va troubler toute notre journée jusqu’à ce que la poésie le transfigure, ainsi d’entendre les biens pensants, s’inquiéter de celui que l’on trouve bizarre, différent et d’inciter à s’en méfier. Ainsi de notre façon de Faire comme si / Et continuer/ ses petits machins/ Du quotidien. (…) Dommage pour les enfants/ morts pour rien… Ainsi de ces gens-là tassés aux carrefours des faubourgs que parfois nous regardons de loin, avec condescendance.

Sur la page blanche, prête à accueillir nos excès, nos bruits, nos fureurs, le poète peut aussi révéler la souffrance intime qui fait écho à la nôtre et faire entendre tout ça qui hurle/ au-dedans/Maman/ tout ça qui hurle (Au plus près p.13.) Il saura aussi proposer une berceuse comme dans ce très beau texte du dernier recueil :

 

Écoute le bruit des pierres qui cognent dans nos têtes/Écoute le pli du vent qui murmure à nos oreilles/Écoute le silence de la nuit/ qui bruit/ à l’infini. Écoute encore/ Et encore/ Et puis t’endors. (De choses et d’autres)

 

Pour nous amener à l’écouter, François Minod fait subir aux mots un traitement particulier d’où surgit le rythme, le mouvement, le frottement, la rupture. Ainsi de ces termes qui, pour rester en suspend n’en sont pas moins significatifs. La répétition du sauf que privé de tout enchaînement dans un dialogue laisse beaucoup à entendre, à sous-entendre des attitudes de rejet dans nos sociétés. Il précise l’exigence qui est sienne dans un texte qui pourrait servir de définition de son travail d’artisan.

 

Resserrer encore/ Et encore/ Enlever le gras/ Raboter/ Tracer la ligne/ Tirer le fil/ Au cordeau/ Et laisser/ Le mot/ s’échapper/ De la voix (Tisser le dire)

 

Le lecteur peut alors s’autoriser, au-delà de ce qui est écrit, à deviner des zones d’ombre, percevoir entre le non-dit et l’écrit. Se crée alors un lieu conjoint dans la juste jointure avec ce qui ne s’écrit pas et cependant nous parle. La poésie de François Minod nous oblige à l’arrêt en même temps qu’au mouvement, à l’expression de l’émotion soigneusement tenue, retenue, mais vive. Sur le blanc des pages, des textes très courts impriment la touche délicate, toujours forte, des mots qui continuent à dire le vivant de la poésie.   

Il me reste à évoquer dans chaque recueil le compagnonnage avec la peintre Catherine Seghers qui, de monotypes en papiers collés, sait se glisser à sa place non pour illustrer, non pour commenter le texte mais pour occuper le champ poétique avec son propre imaginaire.

 

©Mireille Diaz-Florian

 

 

(*)

 

Présentation par Mireille Diaz-Florian de l’œuvre de François Minod aux Mardis littéraires de Jean Lou, lors d’une soirée de lecture-dédicace le 4 octobre 2022 (Café de la Mairie, Place Saint Supplice, Paris).

 

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Description générée automatiquement

 

Lecture d'extraits de son dernier recueil De choses et d'autres (éditions Unicité, 2022) avec l'aimable participation de Francis Vladimir.

 

 

 

Mireille Diaz-Florian sur François Minod

Francosemailles, Novembre-décembre 2022

 

 

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