J’avais déjà eu l’occasion de parler
de François Minod, invité par Colette Klein. J’avais alors insisté sur le
thème de la déambulation urbaine susceptible de nourrir l’écriture et qui
reste une des composantes du travail de François Minod. Je m’étais
engagée dans cet exercice improvisé sans aucune appréhension avec la
certitude de faire découvrir une œuvre que je connaissais bien pour non
seulement l’avoir lue silencieusement mais également l’avoir entendue
dans le cadre de lectures publiques. J’aimerais donc aujourd’hui ouvrir
une autre piste autour de l’expression faire entendre.
Prenons ce verbe dans diverses
acceptions pour cerner mieux l’œuvre de François Minod. Dans les huit
recueils publiés aux éditions Hesse, au Petit Véhicule et aux éditions
Unicité, François Minod donne de
la voix. Tantôt les mots bruissent entre deux silences, tantôt, ils
expriment avec force ce qu’il y a à dire, voire à s’entendre dire. Faire entendre est également faire
entendre lire des textes où s’installe la parole mais aussi le patient
travail sonore qui sous-tend toute écriture poétique.
La théâtralité :
dialogue/monologue
Le titre sonore d’un des premiers
recueils : Toc à trac
annonce déjà la couleur à l’oreille. Un dialogue entre l’Un et l’Autre,
l’Un commençant par : « Et toc ! »
et suscitant du tac au tac, un « Et
toc again ! » de la part de
l’Autre fait entrer le lecteur dans un style qui pour utiliser l’humour, n’ignore
pas la profondeur. Ces personnages anonymes qui cherchent des idées et
des mots, semblent sortis d’une pièce de Beckett. Ils nous entraînent
dans un tourbillon absurde, nous proposent de rire, mais le tic-tac d’un
métronome mesure l’implacable cours du temps dans le vide.
Tous les
recueils de François
Minod laissent place à ces scènes où les protagonistes incarnent le dialogue intérieur. Avec
les mots les plus simples, sous l’apparence de la légèreté, surgit
l’inquiétude. Ils creusent le vide de l’existence, font entendre toutes ces voix en soi qui interrogent le
monde. François Minod écoute le monde davantage qu’il ne le regarde. Il
fait entendre ses bruits, ses rumeurs au lecteur qui sourit parfois, mais
perçoit le grincement d’une porte qui ouvre un espace de questions sans
réponses.
Écrire pour faire entendre la
difficulté d’écrire et conséquemment sa nécessité.
Dans les textes de François Minod
quelque chose cogne et cherche à se faire entendre : la nécessité de
dire, d’écrire.
Parfois il passe aux aveux pour donner une
définition de la poésie : c’est
inscrit dans les bleus de la vie/ c’est écrit dans les rides de la peau/
ça chante sous les tilleuls séculaires/ ça bruisse dans la brise marine/
ça s’invite dans le creux des vagues blanches (Au plus près).
Souvent se révèle la difficulté de dire,
de faire dire, de plier, de déplier, de faire plier la langue. Les mots
résistent. Et aller les chercher reste une quête. D’où l’exigence
d’écriture qui veut parvenir au noyau dur. Le titre de l’avant-dernier
recueil Au plus près peut se lire dans cette
perspective.
Dans Grain à moudre, paru en 2009, le texte « Aller chercher les mots » ouvre un questionnement qui parcourt
l’ensemble de l’œuvre.
« Ne
plus savoir quoi dire, pourtant il y a tant à dire, tous ces mots qui
attendent d’être dits, toutes ces phrases qui ne demandent qu’à être
écrites, prononcées, et on est là à dire : "je ne sais pas
quoi dire", c’est tout de même quelque chose ça, ne pas savoir quoi
dire, avec tous ces mots qui attendent. » (Grain à Moudre p. 31)
Pourtant
la nécessité de l’écriture
est parfaitement assumée, réitérée. Elle laisse la trace, l’empreinte des
blessures, de la lente déflagration
des jours et des nuits, la fin des certitudes, l’espace déchiré du dedans
(L’homme au banc p.17)
Enfin, elle prend sa puissance, sa
densité dans le métier d’écrire qui à bien des égards -pour reprendre le
très beau titre de Cesare Pavese- est « le métier de vivre ». Il incombe donc à François Minod
d’avancer pas à pas, mot à mot, phrase à phrase, livre à livre,
d’explorer toutes les ressources de la langue pour faire surgir les
textes-scènes, les textes-poèmes, de laisser place sur la page blanche
aux mots- dits, les mots en guise
de viatique, même si on a conscience que c’est une façon de se donner le change, de détourner son
attention, d’échapper à ça. Qu’on ne peut pas dire (Tant que
les mots disent p.9).
Le lecteur mesure dans les ouvrages
de François Minod le paradoxe d’une écriture qui affirme la nécessité et
l’impuissance à écrire dans la justesse de ce qu’il y a à dire. Il y
entre grâce à ce mouvement contradictoire. Il joue le jeu que l’écrivain
accepte de jouer, « tant que
les mots disent » autre aveu du titre d’un des recueils.
Y-a-t-il a une recette ? Oui parfois, par exemple aller de l’avant/ continuer à écrire
sans se soucier/ laisser les mots couler/ ne pas retenir. / Et s’en
foutre de ce que ça va donner/ On n’est plus à écrire pour vouloir/ Non
on en est à écrire pour pouvoir/ Respirer (Tant que les mots disent p.29).
Ainsi François Minod assume-t-il son rôle d’artisan des mots. Il annonce
fermement son intention. Il s’agit de Déshabiller
le mot /encore et encore /à cor et à cri. (De choses et d’autres). Ces mots, il les livre au lecteur qui peut-être s’y
reconnaîtra, ce destinataire que Baudelaire nomme « mon
semblable, mon frère ».
Se découvrent, se voient,
s’entendent alors beaucoup de choses de notre société.
Ainsi de
notre façon de regarder un
homme solitaire, évoqué dans L’homme
au banc, qui va troubler toute notre journée jusqu’à ce que la
poésie le transfigure, ainsi d’entendre
les biens pensants, s’inquiéter de celui que l’on trouve bizarre,
différent et d’inciter à s’en méfier. Ainsi de notre façon de Faire comme si / Et continuer/
ses petits machins/ Du quotidien. (…) Dommage pour les enfants/ morts
pour rien… Ainsi de ces gens-là
tassés aux carrefours des faubourgs que parfois nous regardons de
loin, avec condescendance.
Sur la page blanche, prête à accueillir nos excès, nos
bruits, nos fureurs, le poète peut aussi révéler la souffrance intime
qui fait écho à la nôtre et faire entendre tout ça qui hurle/ au-dedans/Maman/ tout ça qui hurle (Au plus près p.13.) Il
saura aussi proposer une berceuse comme dans ce très beau texte du
dernier recueil :
Écoute
le bruit des pierres qui cognent dans nos têtes/Écoute le pli du vent qui murmure à nos oreilles/Écoute le silence de la
nuit/ qui bruit/ à l’infini. Écoute encore/ Et encore/ Et puis t’endors. (De choses et d’autres)
Pour nous amener à l’écouter,
François Minod fait subir aux mots un traitement particulier d’où surgit
le rythme, le mouvement, le frottement, la rupture. Ainsi de ces termes
qui, pour rester en suspend n’en sont pas moins significatifs. La
répétition du sauf
que privé de tout enchaînement dans un dialogue laisse
beaucoup à entendre, à sous-entendre des attitudes de rejet dans nos
sociétés. Il précise l’exigence qui est sienne dans un texte qui pourrait
servir de définition de son travail d’artisan.
Resserrer encore/ Et encore/ Enlever le gras/ Raboter/ Tracer
la ligne/ Tirer le fil/ Au cordeau/ Et laisser/ Le mot/ s’échapper/ De la
voix (Tisser
le dire)
Le lecteur peut alors s’autoriser,
au-delà de ce qui est écrit, à deviner des zones d’ombre, percevoir entre
le non-dit et l’écrit. Se crée alors un lieu conjoint dans la juste
jointure avec ce qui ne s’écrit pas et cependant nous parle. La poésie de
François Minod nous oblige à l’arrêt en même temps qu’au mouvement, à
l’expression de l’émotion soigneusement tenue, retenue, mais vive. Sur le
blanc des pages, des textes très courts impriment la touche délicate,
toujours forte, des mots qui continuent à dire le vivant de la
poésie.
Il me reste à évoquer dans chaque
recueil le compagnonnage avec la peintre Catherine Seghers qui, de
monotypes en papiers collés, sait se glisser à sa place non pour
illustrer, non pour commenter le texte mais pour occuper le champ
poétique avec son propre imaginaire.
©Mireille Diaz-Florian
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