Mon œil implore d’un tic la folie d’un mot
Mais au seuil de l’enfer le dire s’incinère
Roger Parsemain est né en
1944 dans la commune du François à la Martinique, la ville où devenu
professeur il enseigna les lettres et l’histoire-géographie avant d’y
prendre sa retraite en 2004. Il y fut également conseiller municipal sous
l’étiquette communiste tout au long de la décennie 1970. Il habite avec
son épouse dans une maison cachée dans la végétation, à l’écart du bourg.
Cet attachement à un lieu est l’une des caractéristiques de la poésie de
Roger Parsemain, ce qui n’empêche pas qu’elle
soit nourrie aussi de ses rêveries et de ses nombreux voyages, par
exemple mais pas seulement dans le recueil Les Chemins
inondés inspiré au départ d’un séjour au Québec et de la
rencontre avec la peintre Louise Prescott.
Roger Parsemain est
l’auteur jusqu’ici de dix recueils de poésie chez divers éditeurs, sans
compter deux livres de nouvelles et récits en prose et de pièces de
théâtre non publiées. Son dernier recueil intitulé Fin(s) du monde est un bel
ouvrage des Éditions Long Cours (Guadeloupe) avec des illustrations de la
plasticienne martiniquaise Valérie John.
Un coup de sonde dans trois recueils du poète fait
ressortir immédiatement la double constance de son talent et de son
inspiration, même si l’atmosphère extime et
intime de sa poésie n’est pas la même dans Reliquaire des songes publié en 1992, Les Chemins inondés (2002)
et Fin(s) du monde (2023),
des recueils publiés à dix et vingt ans de distance.
Ses thèmes de prédilection s’y retrouvent pourtant,
la Martinique (celle de sa jeunesse à la campagne et celle de la ville
avec sa modernité de bon ou mauvais aloi), l’exotisme (pour un
Martiniquais Trois-Rivières au Québec est plus étranger que Saint-Domingue
ou Haïti, pourtant également très présents comme l’Asie, Bangkok et
ses klongs par
exemple) et troisième thème tout aussi prégnant, le lyrisme amoureux. Si
Parchemin s’avère peintre de la nature tropicale, nostalgique des mœurs
d’antan et curieux du Tout-Monde d’Édouard Glissant, il se montre
également fasciné par le mystère féminin.
Le travail du critique s’avère difficile face à une
œuvre où l’on aurait envie de citer d’innombrables passages. On est
réduit à piocher presque au hasard parmi tout ce qu’on aurait envie de
faire découvrir au lecteur.
Reliquaires des songes
Dans les premières pages de ce recueil nous sommes
à la Martinique et sans doute très près de chez le poète car, dans la
réalité, un mécanicien est bien installé pas loin. Pourtant ce pourrait
être n’importe où dans le monde. La brève évocation qui suit est
susceptible de parler au monde entier et, en même temps, c’est bien la
Martinique qui est là :
Les pluies s’attristent au seuil d’un atelier de
campagne où les vieux moteurs transpirent du sang noir.
La dernière partie du recueil intitulée « La
sueur du diable » nous transporte en Argentine. Extraites des
pérégrinations d’un « capitaine au long cours », ces lignes qui
mêlent l’exotisme à la peinture d’une femme dont on ne sait dans quelle
mesure elle attire ou effraye le poète :
À Buenos Aires il laissa tous ses billets à une
créature aux lèvres rouges, à la croupe lourde, au ventre humide et
fumant comme une savane sous la soudaine pluie de carême.
Ce n’est pas par hasard que la pluie apparaît deux
fois. La Martinique n’appartient-elle pas à la zone tropicale où les
périodes de sécheresse alternent avec des pluies trop abondantes, parfois
dévastatrices ? Quant au carême, la saison la plus sèche sous ces
latitudes, lorsque la pluie y survient on croirait, nous dit le poète,
que la nature n’est pas prête à l’accueillir.
Les Chemins inondés
Ce recueil qui reproduit sur sa couverture un
tableau de Louise Prescott nous parle de la ville (ses milliers d’essieu noient l’horloge de mon cœur, un
alexandrin parmi d’autres – voir plus loin), des femmes antillaises (Ève bronze / gardes-tu un fil du
limon des Nigers ; ou
bien : la femme nue est
une case renversée ; ou bien encore cette femme-là, trop bien en
chair : Elle n’est pas grande.
Elle roule de toute sa viande sanglée) et surtout de l’enfance du
futur poète dans une Martinique encore rurale, du grand-père éboueur et
fossoyeur, du grand-oncle qui avait « fait » l’Indochine, du père qui gardait cette terreur des vents (la
mémoire transmise du terrible cyclone de 1891) et qui
avait ni vu ni connu, un soir de quatorze juillet, et profitant de
la confusion d’une scène de violence, marqué avec son rasoir un gendarme
d’une estafilade à la fesse !
Ce recueil se distingue par la fréquence des textes
qui se présentent de manière continue, à la manière de petits récits en
prose. Il se distingue encore par l’abondance des références au désert.
Le mot « erg » apparaît au moins trois fois, « reg »
une fois. Le désert n’est pas seulement celui de sable ou de cailloux,
antithèse de la Martinique, la mer aussi est un désert. Ainsi dans cette
évocation de la traite Atlantique : Les chairs transportées de gré ou de force dans les ergs sans
supports de la houle.
Fin(s) du monde
C’est sans doute ce troisième recueil, plus récent
et surtout plus facile à se procurer, qui rencontrera les lecteurs
d’aujourd’hui. Il s’agit par ailleurs comme déjà signalé d’un bel objet
qui ravira tous ceux qui considèrent que le plaisir de la lecture tient
aussi à son support matériel, même si le texte vient bien sûr en premier.
Le poète revient sur ses pas avec la nostalgie de
qui est conscient du temps qui passe.
Sans lassitude
le temps fredonne au cœur
des roches. L’humérus d’une horloge se fige
puis se brise.
Le temps passe et ne revient pas :
Les jours et les soirs
les voilà achevés.
Il laisse sa trace sur les choses et signe notre
fin :
Un lustre d’eau perlait la rouille de l’usine. Son
compost de mémoires
bout de siècles fanées
les statues s’écaillent
l’histoire meurt sans faire
d’histoire
la ville s’ablue d’un nuage.
Nul sentier de la guerre
ni de la paix du reste
seule la mort sucrée.
Dans cette atmosphère crépusculaire le désir, Éros,
l’instinct de vie subsistent encore qui veulent tromper la mort :
Là-bas
l’en-ville revêt sa lueur de nuit
Heureuse
tu pétris ma glaise de sang désir
C’est l’occasion de noter que si Roger Parsemain ne recherche pas la rime il se soucie de la
métrique. On aura peut-être remarqué que les deux fins de vers ci-dessus
(« l’enville… » ; « tu pétris… ») font dix
pieds, tandis que les trois vers de la citation précédente (« Nul sentier…», etc.) mesurent pour leur part chacun six pieds.
Ces raffinements poétiques qui ne sont pas nécessairement perçus par le
lecteur participent de la musique du poème. Car ce n’est pas pour rien
si, au Moyen-Âge, celle-ci était inséparable d’une poésie aussi savante
par le choix des mètres que des rimes : les troubadours chantaient leurs
poèmes (cansos en
occitan). Certes, cela n’est plus de mise chez les poètes contemporains,
demeure néanmoins l’impératif de Verlaine dans L’Art poétique : « De la musique avant toute chose ». Le
retour inopiné des vers du même mètre est l’un des moyens de nous la
faire entendre.
Dissimuler au milieu des vers libres quelques vers
réguliers est donc un procédé familier des poètes, à commencer chez
Perse, le voisin guadeloupéen de Parsemain, qui
parsemait ses odes d’alexandrins. Même procédé chez le Martiniquais, par
exemple dans les deux vers mis en exergue de cet article, le deuxième
très classique avec césure à l’hémistiche. Ou ici :
La denture des villes s’émaille de soleil.
Ou encore ici :
Vas-tu en mon écrai jaillir écume d’aube.
Dans ce dernier vers l’auteur de Fin(s) du monde fait parler
une femme, ce qui nous aide – si besoin – à le déchiffrer.
Il y a aussi des morceaux de prose, de prose
poétique dans ce recueil, ainsi dans un texte imprimé dans une étroite
colonne sans ponctuation où l’auteur se moque du tourisme international.
Extrait :
… Montréal Rome peut-être
Lomé-Lagos sommeil en tôles pourries grouillis migan terre et chair puis s’éjouir vite d’éléphants enchaînés-hébétés-chamarrés
des Bangkok mangroves pourries et riz-sourires pubères brisées et ça
masse oh ça masse pour dollars-dollars sans odeur-sans odeur
dit-on…
Enfin, l’on ne saurait quitter ce recueil sans
mentionner les dernières pages dans lesquelles l’auteur joue
astucieusement avec un « je » (plutôt masculin) et un « tu »
(plutôt féminin), sachant que les deux finiront par fusionner dans un
« nous », des pages où l’érotisme crépusculaire qui baigne le
recueil atteint son sommet. À nouveau, on voudrait tout citer mais le
lecteur intéressé saura se procurer le livre. Deux brefs extraits, quand
même, en guise de conclusion.
Je car
l’osseux vent pour la toux des horloges cassée
[…] Je tu
tes
mornes drupes de soie
des fonds et versants l’émoi
Pour mémoire, « l’osseux vent… » est un
alexandrin, les deux derniers vers sont des heptasyllabes qui riment de
surcroît.
***
Reliquaire des songes, Éditions nouvelles du Sud, Paris, 1992, 118 p.
Les Chemins inondés, couverture de Louise Prescott, Éditions Silex / Nouvelles du Sud,
Yaoundé, 2003, 174 p.
Fin(s) du monde, avec des peintures de Valérie John, Éditions Long Cours, Le
Gosier, 2023, 140 p., 14 €.
À noter aussi : Les Campêches s’ennuient, récits
et nouvelles. Éditions Long Cours, 2020.
© Michel Herland
Pour
commander ses livres : éditions
L’Harmattan ;
placedeslibraires.fr.
Notice biobibliographique (arrêtée à 2010) et
photo sur le site Île en île.
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