Articles sur les poètes francophones contemporains
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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Automne 2024

 

In memoriam Françoise Geier.

 

Dossier constitué par Nicole Barrière.

 

Biobibliographie.

Pour mieux la connaître :

Photos ; Témoignages ; Présentations de ses recueils

Choix de textes :

Poèmes extraits de divers recueils ; Poèmes inédits ; Nouvelles.

 

 

 

Françoise Geier ( 6 mai 2024) était une personnalité iconoclaste et attachante, pleine d’humour et de dérision mais fine observatrice de l’époque et de ses contemporains. Comme elle aimait le dire : « je mets les pieds dans le plat ! »

« Cligner sur les passants

Décortiquer la froideur du non-dit

Savoir l’instant… »

De son écriture poétique, elle disait : « le génie a encore frappé », mais si sous des traits d’humour se cachait la réflexion sur les problèmes graves de notre temps, cela était sans doute dû à ses origines « d’enfant de la guerre » qu’elle relate dans son livre Orthez – mes racines entre ville et campagne.

Une fois cette exploration biographique côté maternel faite, elle avait voulu retrouver ses racines côté paternel mais n’en eut ni le courage, ni le temps.

Elle nous a laissé cependant de belles pages d’analyse de notre société dans ses Nouvelles du temps présent et ses poèmes toujours pleins de vivacité.

C’était une poète au grand cœur, toujours prête à aider ses semblables, inquiète des conditions difficiles faites aux enfants et aux migrants qu’elle allait côtoyer dans le Centre médical Europe.

Elle laisse une œuvre variée sur le plan littéraire et photographique.

Voici quelques extraits de sa vie et de son œuvre.

 

©Nicole Barrière

 

***

Biobibliographie

Originaire du sud-ouest de la France, et vivant principalement à Paris, Françoise Geier est poète, nouvelliste, photographe.

Après des études d’anglo-américain à l’Université de Paris VIII-Vincennes, elle commence à écrire des contes et nouvelles pour enfants-adultes. Suivent des publications de textes libres, courtes proses et poèmes dans des revues d’écriture contemporaine tant en France continentale qu’à l’Île de la Réunion, en Belgique et au Québec, parfois accompagnés de ses photographies de terrain.

Elle participe à des anthologies, livres d’artistes, revues francophones papier et internet, mails-art internationaux. Elle intervient dans des colloques et festivals en France et à l’étranger. Membre de la SGDL, de la MEL, du Pen Club Paris, de l’AICL.

 

Prestations poétiques

Interclub 17 ; Maison de la Culture du XVII° ; Point-Virgule ; Crypte St Agnès ; Cabaret le Bec fin ; Cabaret l’Échelle à Coulisse ; Tonalités - des écrivains au bout du fil ; Semaine de la poésie de Nangis ; Musée-atelier Adzak ; Rencontres Son Nature à l’École supérieure Louis Lumière ; Marché de la Poésie ; Festival d’Avignon - Maison du Off, programmation Michel de Meaulne puis Alain Léonard (tournage de la prestation par l’équipe du Off) ; Galerie Arcina ; Radio dialogue, Marseille (enregistrement radiophonique de Philippe Perret) ; la Poissonnerie, Marseille (enregistrement de la prestation) ; Cabaret le Loup du Faubourg (programmation Eve Griliquez) ; Fête des vendanges de Montmartre ; Vinothèque - Galerie Vivienne ; Lire en Fête ; Printemps des Poètes (Paris, Meknès, Versailles) ; Centre culturel canadien ; Mairie du II° ; Salle Jean Dame, Paris II° ; Stand le Temps des Cerises (tournage de la prestation par Maria Koleva Films) ; Festial DécOuvrir de Concèze (programmation Matthias Vincenot) ; Concile poétique festif autour de «Poules au pot » et rencontre de libre parole pour célébrer le poète gascon Bernard Manciet.

Interventions

Invitation par Claude Cohen Safir à l’Atelier international du Département DPA de l’Université de Paris VIII Saint-Denis pour une intervention avec projections sur « Les femmes et l’Espace / Le public et le privé » à partir de « En marchant la prostitution » textes publiés par Simone Balazard dans sa revue Le jardin d’essai (actes de l’intervention dans la revue Résonances) ; intervention pour émission radiophonique de David Christoffel.

Publications

1980 / 1981 – Miracle elle a pondu et Une histoire par semaine (contes et nouvelles pour enfants-adultes) Handshake Éditions, Paris.

1994 – Thèmes et variations poétiques (poèmes) FG Éditions

2001 – Des Poètes, Edition d’artiste Céphéïdes

2001 / 2003 – Bestiaire de jardin et Rivières de France (ouvrage collectif de nouvelles), éditions Le jardin d’essai

2002 – Une page se tourne (textes libres et courtes proses avec une postface de Bernard Noël), Éditions K’A Marseille

2004 – La Dragée haute (textes et photographies de l’auteur), Le Temps des Cerises éd.

2006 – La Vie en boucle, du cœur de Paris au cœur de Marseille (textes et photographies de l’auteur), Le Temps des Cerises Ed.

2010 – Chante le coq chante – Canta el Gall Canta - I Shant lo kok i shant – Canta lo log au canta - Éditions K’A Ille-sur-Têt

2012 – Transparences dures & Exhibit (photo de couverture de l’auteur), L’Harmattan

2014 – Ma muse m'a dit..., L'Harmattan

2015 – Orthez – mes racines entre ville et campagne – éd. France Libris

2021 – La nature est mon royaume. Recueil poétique pour petits et grands. Ill. de l'auteure, éd.

Unicité

2021 – Nouvelles du temps présent, L'Harmattan

 

Participation à des livres d’artistes (avec ou sans contrainte)

Feuillet d’album (collection Livre pauvre / Livre riche (Daniel Leuwers –Gallimard) ; Estampillé III / Habits à lire / Livre-ardoise : Mémoire de craie / Pâtisseries poétiques / FArCebook (Wanda Mihuleac-Transignum) ; Art postal (Alain Helissen).

Participation à des revues

Le Capital des Mots (Éric Dubois-Internet) ; La Feuille printanière (Denis Parmain-poetabrut) ; Comme en poésie (Jean-Pierre Lesieur) ; Portulan (Voix Tissées).

Participation à des anthologies

La poésie est dans la rue / Le rouge n’existe pas / Nous la multitude (Le Temps des Cerises éd.) ; Attention Travail (l’Harmattan) ; La poésie érotique féminine contemporaine de langue française (Giovanni Dotoli-Hermann Éditeurs) ; Des Avant-Gardes à l’Intuitisme (Schena Editore-Alain Baudry § Cie) ; Anthologie progressive - Poésie en liberté (Internet-Matthias Vincenot) ; Pièces sur l’histoire de Colombières sur Orb (Guy Bechtel-Conseil général) ; Anthologie MUP (éditions Corps Puce) ; Anthologie Liberté de créer, liberté de crier (Pen Club français-Éditions Henry) ; Cessez-le-feu (alfAbarre) ; 60 Poèmes contre la haine (Nicole Barrière).Haut du formulaire

 

***

Pour mieux la connaître

Photos

Une image contenant personne, habits, meubles, Visage humain

Description générée automatiquement

Inspiration

 

Une image contenant intérieur, Visage humain, mur, personne

Description générée automatiquement

Profération

 


Une image contenant habits, personne, texte, réfrigérateur

Description générée automatiquement

Au marché de la poésie en juin 2022

 

Attente

 

Au Kosovo en 2014 avec Alla Polosina  : conservatrice adjointe du Musée Tolstoï

de Iasnaïa Poliana

Témoignages

À propos de Françoise Geier, ils ont dit :

« Dans L’ENCRE DES MOTS, Françoise GEIER, avec un talent singulier, met en mots et en images des rencontres pittoresques, mais aussi des réflexions graves inspirées par sa lecture du monde d’aujourd’hui et par l’air du temps. Sous des apparences de légèreté, d’humour et de fantaisie, l’auteure, comme le diront nos amis québécois, est une véritable humaniste, qualité rare de nos jours. »

- Sylvestre CLANCIER - poète-essayiste-critique littéraire

 

« La confrontation d'un poète avec le quotidien n'est pas un exercice sans danger et nécessite autant d'attention que d'empathie. C'est ce qu'a compris Françoise Geier qui, à une observation subtile source d'inspiration, mêle humour et malice, mais sans exagération. »

- André Mathieu - poète-journaliste

 

Présentations de ses recueils

La nature est mon royaume - Recueil poétique pour petits et grands, Éditions Unicité, 2021

Dans le cadre de ses pérégrinations l'été en Corrèze, Françoise Geier s'est amusée à croquer quelques rencontres pittoresques avec la nature, les animaux et les hommes. Intitulé La nature est mon royaume, ce recueil poétique, illustré par l'auteure, fait aussi la part belle, en deuxième partie, à des rencontres sur tout le territoire avec six amis chats.

La vie en boucle, du cœur de Paris au cœur de Marseille, Éditions Le temps des cerises 2006

Faire parler la rue - tel est le pari de Françoise Geier dans La vie en boucle, ouvrage où elle donne la parole en mots et en images à des rencontres de hasard pittoresques entre Paris, Marseille et environs.

 

Orthez – mes racines entre ville et campagne, 2015

« Hier soir, j’ai fait le tour d’Orthez, berceau de tant de souvenirs de vacances joyeux et ensoleillés.
Chaque maison, autour de celle de mon grand-père et de ma grand-mère, en centre-ville, me parle, chaque famille que je peux encore nommer
. »

Revisiter son passé, entre ville et campagne, tel est le pari de l’auteure qui nous permet, grâce à ses récits, nouvelles, courtes proses et photos d’archives, un retour sur la mémoire d’une famille, d’une région et de ses habitants, d’une époque, et donc un retour sur nous-mêmes.

 

Nouvelles du temps présent, Éditions l’Harmattan, 2021

D'une génération nourrie de Tintin et de Sherlock Holmes, Françoise Geier met à profit la lecture de ses détectives préférés. Dans ce nouveau livre, elle se pose en témoin sur le qui-vive et développe son sens de l'observation et du reportage, toujours prête à intervenir pour la résolution de situations ayant mis en alerte son esprit critique. Elle n'hésite pas à interpeller les divers publics et les autorités et nous livre ici, sous forme d'articles et de nouvelles, des témoignages de quelques situations insolites de l'actualité, des rues, des hommes et des femmes qui marquent notre époque.

 

Ma muse m’a dit, Éditions l’Harmattan 2014

Mais qui sont donc ces Muses qui nous font entrer dans la danse des mots ?

Ma muse m'a dit :

« Regarde - Ressens - Retranscris

Interroge ta mémoire

Dis ta joie - Dis ta peine

Secoue le Tapis des Mots »

Des poèmes composés en hommage aux poètes qui ont inspiré l'auteure : Aragon, Bataille, Char, Ponge, Ronsard, etc.

 

***

Choix de textes

Regarde - Ressens - Retranscris

Poèmes extraits du recueil Ma muse m’a dit, l’Harmattan 2014

 

À Louis Aragon

HaraKIRI

La vieillesse avance masquée
Se montrer
Ne pas se montrer
Les rides en ribambelles
Avancent masquées
Les mots en ribambelles
Se bousculent au portillon de la mémoire
Rire
Ne pas rire
Coquetterie de l’image
HaraKIRI la vieillesse
Haut les mains
Et bas les masques
Les rides grignotent les pages du visage
Garde à vous l’existence
Gare à vous l’apparence
Le Ciel vous garde

 

©Françoise Geier – 2.10.2013

 

À Pierre de Ronsard

Me couche tard

Et ai mauvais sommeil

 

Si mort ne vient encore

Vieillesse est déjà proche

 

Mémoire est polissonne

À qui avance en âge

 

Si mort ne vient encore

Vieillesse est déjà proche

 

La dragée haute

Les poèmes suivants sont extraits de La dragée haute, Ed. Le temps des cerises, 2005

 

Froid dans le dos

Ça fait froid dans le dos

 

Rue d’Italie

À côté de la Laverie

Il y a l’Église Évangéliste Baptiste

 

Ça fait froid dans le dos

 

C’est là que j’ai rencontré Gédebêêêêê

Avec sa bouche de croisé

Pointée vers La Mecque

Du Pétrole

 

Ça fait froid dans le dos

Les lavages de cerveau

Les lavages d’eau bénite

Les enzymes de la prière

Par tirs gloutons interposés

 

Ça fait froid dans le dos

Les à l’Attaque proférés

Pour la Liberté, l’Égalité

La Fraternité l’Allaitement

Sans contrainte

La Culture bio

 

À l’attaque à l’Attaque

 

Ça fait froid dans le dos

 

***


Du haut de son perchoir dantesque

L’Ogre contemple le Tigre

Le Tigre est rouge sang aujourd’hui

L’Ogre se frotte les mains

Il attrape la passoire des grandes occasions

Pour la plonger dans le fleuve millénaire

Dodelinant sa tête immonde

- A la pêche aux cadavres clame l’Ogre

Un rot de délectation s’échappe de sa gueule béante

- Dormons sur nos deux oreilles, susurre-t-il

- Le temps de l’Apocalypse est enfin proche

 

CAC 40   CAC 40      CAC 40

Chante le temps de l’Apocalypse

Le squelette de Nostradamus tressaille

Dans les oubliettes de l’Histoire

 

Les ouvriers de la Mort hurle le diable

planétaire

Sortent leurs casques de survie

En un clin d’œil

- À l’Attaque hurle le Diable

Planétaire

 

Des coliques incongrues vident

Les soldats de leurs tripes

Soldats de tous bords

Tous frères dans la colique

 

Enfin un Vent de Sable se lève

 

Qu’il s’engouffre dans la gueule de l’Ogre

Et lui chatouille les amygdales à mort

Ce Vent de l’Éternité

Qui va recouvrir

Cette folie orgiaque

Du linceul sanglant

De l’oubli

 

Travail de mémoire dis-moi ton amnésie

 

***

Le Rescapé de la Paix

Un petit ange mésopotamien de huit ans alité

Regarde les téléspectateurs

 

A très peur dit le docteur

Très peur

 

Le petit ange nous regarde

Sans comprendre

 

Il a perdu ses parents et ses huit frères et sœurs

Dit le docteur

Orphelin seul rescapé des bombes

Il a très peur

 

Regardez

 

En effet nous regardons

Il descend le drap de l’enfant

Le docteur

Le drap il descend jusqu’à mi-buste

 

Regardez

 

En effet nous regardons

 

Plus de mains le petit ange

Plus de bras le petit ange

Plus d’avant-bras le petit ange

 

Orphelin

Seul rescapé des bombes

Brûlé à 60% sur tout le corps

le petit ange

 

nous avons dû l’amputer dit le docteur

il a très peur dit le docteur

très peur

 

***

Poème urbain

Venelles  Centre Ville

Ancienne nationale

À G poste/Mairie/2 à 3 feux rouges

À D boulangerie/1 bureau de tabac

Giratoire vasque       gros galets pelouse

Giratoire

Rue de la Bergerie jusqu’au bout

50M

À D rue de la Reille

 

Ne pas prendre la Resquillette  (à G)

L’adjudant                        (à D)

 

Au milieu

 

Passer restaurant « Le Loup Rastelier »

Continuer rue de la Reille

Arriver droit

(giratoire)

Sur la D rampe

Indiquer 30km

Serpente

Continuer

À D borne incendie

Juste à côté panneau

Alors tourner à D

Longer maison après espèce de petite murette

Cartons qui dépassent

Suivre chemin goudronné

Endroit avec plusieurs boîtes à lettres

Première maison avec portail en fer

Côté voie sans issue

Entrée de maison              portail en bois

Voie goudronnée

Descente 15à 20%

Chemin des Fontêtes

 

Arrivée

 

La vie en boucle

Les textes suivants sont extraits de La vie en boucle du cœur de Paris au cœur de Marseille, Ed. Le temps des cerises 2006

 

31 mars

Une pub dans le métro à la station Château Rouge attire mon regard :

TROIS P’TITS T-SHIRTS

ET PUIS S’EN VONT

AVEC UNE REDUCTION

DE CERVELLE

A ajouté une main anonyme au feutre bleu

Interactivité

 

6 avril

Rendez-vous important avec E.V pour déjeuner. Perdu de vue depuis 1998

Même jour, même heure, sa majesté la Reine d’Angleterre vient chercher e, personne (mais sérieusement entourée), chez le patissier-star de la capitale, son œuf de Pâques joliment décoré d’une fresque peinte à la main par un artiste du quartier avec de la peinture comestible.

Stars

Apercevant des cailles à la devanture du boucher une soudaine envie de cuisiner.

Pas de cailles déjà évidées comme celles exposées en devanture, mais de vraies joiles petites cailles bien pleines de leurs entrailles - mais déjà plumées quand même – que le boucher va me chercher dans l’arrière-boutique. Quel plaisir de retrouver ces gestes mémorisés dans l’enfance : évider, nettoyer le gésier et les autres viscères, avant de farcir le cas échéant le volatile. J’aimerais que mon petit Jérémy soit à mes côtés pour que nous détaillons ensemble les différentes parties de la bête dans la transmission d’un savoir immémorial.

Savoirs

 

12 avril

Place Castellane. Une odeur de pizza qui me conduit à un marchand ambulant. Et pourquoi ne pas manger une pizza ce soir ! je désigne l’objet de mes désirs, frappée de stupeur devant la beauté du vendeur d’une trentaine d’années. Une telle beauté au service d’un commerce de bouche ! je tiens ma langue, m’embrouille dans le choix de mes euros pour payer. Gentil, il vient à mon secours.

- Vous êtes gentil, dis-je

Puis après une pause, avec audace

- Vous êtes beau aussi.

Enfin prudente,

- Elle a dû vous le dire…votre maman

- Oui

Sourires .

Dire la beauté

 

20 avril

… « il y a plus de soixante ans (1944) les Françaises accédaient au droit de vote »

Histoire

 

14 mai

« …. dans un camion frigorifique : cinq Somaliens ont été hospitalisés ce jour à Calais en état de légère hypothermie après avoir été surpris à bord d’un camion frigorifique chargé de viande congelée. Découverts grâce au scanner thermique des douaniers d’Eurotunnel, ces clandestins tentaient de rejoindre l’Angleterre »

Froid dans le dos

 

Réminiscences

Extrait de Orthez - mes racines entre ville et campagne, Edition France Libris 2015

 

Avant-Arrière

Sa mère ayant été flanquée à la porte par son propre père à l’annonce de la nouvelle, le bébé fut obligé de suivre puisqu’il était déjà dans son ventre, ou plutôt de précéder, soyons plus précis.

C’est lui qui, étant déjà dans un état de développement intra-utérin avancé, était la cause première de l’éviction de la maison familiale, c’est donc lui qui devait ouvrir la marche vers la rue. Normal !

Une histoire banale comme il en existe encore et toujours de milliers, parce que bébé-fœtus palestino-israélien ou israélo-palestinien ce n’est pas confortable. Pas plus que bosno-serbe ou serbo-bosniaque, sans parler de Tchétchéno-russe ou Russo tchéchène, pour ne prendre au hasard que quelques exemples …

Il faut accepter son hérédité d’où que s’agitent les grelots de la génétique.

Une famille toute simple que la sienne en somme, puisque son père né à Trüchtersheim près de Strasbourg, Alsace, avant la guerre de 14-18, et sa mère à Paris après la guerre de 14-18, avaient tous deux, à quelques kilomètres de distance été élevés dans la même région franco-alémanique, lui à Strasbourg, elle à Mulhouse où son père était en garnison.

……

Mais la vie en avait décidé autrement. La vie de l’histoire d’un pays qui, par le truchement d’un dictateur, fait que l’amour doit devenir haine et la procréation transfrontalière honnie.

 

Donc, quand l’histoire dérape, les jeunes mères doivent cacher leur ventre, raser les murs, ramper, sous peine de coups de pied dans le C…quand ce n’est pas lapidation, bien entendu, mais là c’est une autre histoire, d’un autre âge, encore que…

Alors des larmes, des torrents de larmes, de courage, de dignité pour la femme fécondée devenue fille indigne, mère indigne, d’un bébé indigne, sans personne pour s’indigner ou si peu.

 

Quand les dictateurs perdent la boule, les girouettes perdent la tête en sens inverse du bonheur, jusqu’à ce que le vent tourne. Jusqu’à ce que reprenne le cours normal de la vie comme de rien n’était.

Il faut bien que l’Histoire avance comme elle a toujours avancé. Un coup en arrière, un coup en avant. Question d’équilibre des forces.

 

Bicyclettes

Le moyen de transport inconditionnel à l’époque pour tous, jeunes et vieux.

Je ne me souviens plus de son nom, mais chaque mardi, jour de marché, elle descendait de la campagne à Orthez à bicyclette. Elle avait vingt-quatre ans. C’était normal. Nous étions émerveillés.

Les trois nôtres étaient entreposées dans l’entrée de la « grande baraque » comme disait Mamy et nous les retrouvions chaque été équipées de leur pompe à air pour les regonfler en cas de besoin et de rustines en cas de crevaison.

…..

Vacances à bicyclette

En vacances, petite fille de neuf ans, je devais claudiquer sur la bicyclette de Mamy harnachée d’épaisses cales de bois. Une idée ingénieuse de mon grand-père, diplômé de l’École des Mines en Argentine, pour ne pas faire de dépense inutile puisque de toutes façons j’allais grandir, et pour que je puisse atteindre la selle trop haute pour moi, pédalant dans un premier temps en danseuse.

Et c’est ainsi que j’ai gravi quotidiennement pendant les grandes vacances les hautes et basses côtes pyrénéennes, lâchant parfois pieds et mains comme mes grands frères dans les pentes douces ou simplement les pieds dans les côtes plus arides, en maitrise totale d’équilibre.

 

La Poustelle

La Poustelle théâtre de la rue

« La Baroune »

Les parents lui jetaient la pierre

Les enfants lui jetaient des pierres

 

A grandes enjambées elle tentait de s’enfuir sans un mot

Aussi vite que son pauvre petit corps courbé en avant

De vieille femme vêtue de hardes poussiéreuses pouvait la porter

Mes frères et moi témoins muets médusés

Descendus en vacances de la capitale

Chez nos grands parents

Dans cette Patrie du poète Francis Jammes

Regardions sans comprendre

Laissions faire sans un mot

 

Le Gave de Pau

Éternellement je reverrai la scène.

Minoterie sur le Gave de Pau

Il arrive en courant dans ma direction le cœur battant

 

Lui : Où vous allez comme ça Madame ?

Moi : je fais un petit pèlerinage avant de prendre le train de 9h38 pour Bordeaux

Quand j’étais adolescente, je laissais mon vélo à l’entrée de la minoterie pour aller me promener sur cet ilot à la Robinson Crusoé des bords du Gave. C’était génial. Évidemment, avec l’actualité maintenant, je n’aimerais pas que mes enfants viennent seuls ici.

Lui : vous savez il y en a qui se jettent

L’autre jour une dame elle ramait avec deux bâtons de l’eau jusqu’à la taille. J’ai dû appeler les gendarmes

Moi : il y a des suicides ?

Lui : oui, trois. Vous savez, la dépression ça peut prendre tout le monde.

Moi : excusez-moi si je vous ai fait des émotions

 

Salon de l’agriculture

Salon de l’agriculture, porte de Versailles à Paris, stand des bovins

Chaque année je ne manquerai pour rien au monde ce salon

Ça sent bon l’herbe, ça sent bon le foin

Une vache, oreilles étiquetées à la mode du jour, est entrain de déféquer. Ça fait rire les enfants de la ville. « Regarde » dit-il. C’est un petit garçon devant une belle bouse en formation qui sort du cul de la vache.

Je m’avance vers l’enclos des vaches de race Brune à la rencontre de l’éleveur.

Moi : pourquoi est-ce que vos vaches n’ont pas de cornes ?

Jérôme : elles ne sont plus attachées. Elles sont en stabulation libre dans l’étable. Alors on leur brûle les cornes quand elles sont toutes petites.

Moi : comment ?

Jérôme : avec un brûle-corne. C’est un pistolet électrique. On introduit la corne entrain de pousser dans le pistolet et ça brûle la corne.

Moi : ça leur fait mal ?

Jérôme : on leur fait une toute petite anesthésie. Si le fer est chaud, on fait une corne entre 15 et 20 secondes.

Moi : pourquoi vous le faites ?

Jérôme : si vous preniez un coup de corne, vous verriez. Sécurité. C’est mieux pour l’éleveur et c’est mieux pour le veau.

Côté Blondes d’Aquitaine, je crois un autre éleveur :

Moi : elles n’ont pas de cornes vos vaches ?

Lui : je les trouve plus jolies avec des cornes. Ça fait partie de l’harmonie de la bête, mais je leur brule les cornes. Sécurité.

 

Danser

C’est à Orthez, autour du kiosque à musique dans le jardin public, que j’ai fait mes premières armes de danseuse, au bal du 14 juillet.

….

Soudain, à minuit, une grande pétarade effarouchait les danseurs. C’était le toro de fuegos qui fonçait dans la foule, crachant par les yeux et les oreilles des gerbes de feu d’artifice multicolores. Les gens apeurés couraient dans tous les sens, se bousculant les uns les autres, tout en riant de la farce.

Pour les FETES D’ORTHEZ, c’était le grand bal de la salle de la Moutète. Avec mes frères, nous y retrouvions nos amis et j’acceptais en confiance les invitations de tous les inconnus qui se présentaient.

Je me souviens qu’un jour mon danseur m’a dit qu’il était coureur cycliste. C’était le premier et seul coureur cycliste que j’aie jamais rencontré.

Il y avait aussi des concours de danse avec récompense à l’appui. Sachant que j’étais excellente danseuse, Ramuntcho est venu me chercher pour un concours de Charleston dont nous sommes sortis grands vainqueurs. Nous sommes repartis avec deux bouteilles d’Izarra La jaune, que j’adore, pour moi et la verte pour lui. Par la suite Ramuntcho m’a totalement ignorée pour mon plus grand dépit.

C’est Papy qui nous a appris à danser quand j’étais adolescente dans la grande entrée de la maison. Ayant été lui-même élevé en Argentine, c’était un champion du tango. Il connaissait aussi la valse, le paso doble, très important dans la région, et toutes les autres danses de salon. Et un, et deux, et trois. C’est lui qui nous montra les pas de la valse et comment agencer nos pieds et nos corps en tournant avant de nous servir de cavalier à l’essai. Idem pour le tango et le paso doble. Merci Papy.

 

L’amour

Au fond, place de la Poustelle, dans une petite maison très bien tenue, se trouvait un travailleur napolitain, auquel Mamy faisait appel de temps en temps pour quelques bricolages. Il était marié à une ravissante gitane. C’était une famille unie qui avait deux enfants qui ont très bien réussi.

A l’occasion des fêtes d’Orthez cette gitane et sa sœur, aussi belle qu’elle, accolaient leurs corps harmonieux et flexibles pour les duos de danses qui émerveillaient toujours mon grand-père. « Quelles merveilles », disait-il.

 

L’encre des mots

Les textes suivants sont extraits de L’encre des mots, Ed. Unicité, 2016

 

Poème cannibale

Des envies de mordre

Le papier des mots pour en faire

Sortir la sève

Rouge est le désir du sens en apesanteur

 

Porter la poésie

La poésie se porte

En bien   en mal

Comment allez-vous

Je vais             je vais                répond la belle

 

La poésie se porte

Au lit la nuit

Occupe la place du silence

 

Parole d’or le silence

 

La poésie se porte

Comme le temps

Quel beau temps      quel bon temps

 

Cheveux dans le vent

Oui oui oui       non non non

Non non non    oui oui oui

 

La poésie sait être mutine

 

Parole drôle     rire aux larmes

 

Laborieuse

Bille en tête

A rebrousse-poil

Entre les lignes

Sur le droit fil de la vie

 

Et pour qui aime les poètes

La poésie se porte branchée électronique

Cousue de fil blanc sur papier couché

 

Abracadabrantesque

Dans un cornet glacé

Entre tcha tcha tcha et tralala

 

Clic clac le dentier

 

La poésie se porte de toute éternité

 

Secrète poésie

Secrète

 

***

 

Chimères

Sur un buvard

Gorgé de violet

Enivrement de la matière

 

L’eau noire des fossés

S’abreuve de feuillages

 

Mes yeux bavards

Boivent la vie

 

***

 

Si j’avais l’horizon

 

Le vent

Le ciel

Je partirai vers d’autres voyages

 

M’envahit la pensée

Me berce le vent

 

Bleu du ciel

 

***

 

Charmes

Allongée dans le soleil couchant

Je songe

Esclave de la chaleur

Esclave du temps

J’observe

Les vaches à l’œuvre sous un viaduc recouvert d’arbres

 

Devant l’Auberge du Loup

Un chat se prélasse

À l’ombre d’un cerisier dans le vent

 

***

 

Blanches des prés

Elles sont belles        elles sont sages  elles sont repues

Ruminant allongées au soleil dans leurs prés pâturages pentus

Elles attendent sereines leur heure

Donner leur lait pour les bébés

Pour la tétée

Pour les industriels et leurs industries

La traite

 

Elles attendent le savent-elles

L’abattoir le tranchoir le hachoir   l’écarissoir

Pour nourrir les hommes

Donner leur sang nectar de vie

Nourrir les hommes est leur destin

Dans l’innocence et la douleur ou sans

 

***

 

En route pour Beaugency

Nom de Zeus

 

Au loin Eole

Fait se mouvoir leurs ailes trilobées clignotantes

Tire le souffle des éoliennes à la verticale

Fait clignoter leurs gros yeux alternatifs

Au gré d’un vent capté en cadences bruyantes

Pour un accouplement sans cesse en devenir

Entre des bras d’acier prolifiques

 

***

 

Demain

L’immense désert et son tapis de sable fin

Et ta monture qui apparait

Me prend à califourchon

Et nous basculons dans le temps

Dans l’éternité

 

Femme Vie Liberté

Dans le recueil Jîna-Bendan. Femme Vie Liberté - Recueil de poésie en soutien aux femmes du Kurdistan et d'Iran, Ed. l’Harmattan, Avril 2023

 

Femme ma sœur

Femme ma sœur

Femme asservie cloîtrée mutilée violée assassinée

de continent en continent

je t'en supplie

un sourire à moi femme

pour sortir de ta tête

cet enfermement de mirages moyenâgeux

vie en berne

fais chier

 

tire-toi

casse-toi

qu'y s'cassent le coup ailleurs

qu'y cassent les couilles ailleurs

fous-leur ton poing sur l'museau

tire-toi alouette

la saison de la chasse est passée

ils vont encore avoir ta peau

la vie vite

 

tire-toi

casse-toi

minette

Femme ma sœur

 

Poèmes inédits

Paris Confinement

- Aujourd’hui j’ai cassé un verre en pyrex grand format

Le dernier de la collection

Pourquoi, comment ?

Je verse une larme 

Bref

Mais la preuve git sur le carrelage de la cuisine

À déblayer au plus vite

Impossible de le remplacer

Monoprix à ma porte est fermé

Pour cause de confinement

Je verse une larme

J’en ai marre du confinement

 

- Bruit infernal dans la rue

Je vais à la fenêtre pour vérifier ce qui se passe

Ma voisine sur le balcon d’en face en fait autant

Service déménagement ...

Est-ce possible

Une immense échelle mécanique évacue d’un 6ème étage

Avec force de bruit

D’immenses cartons

Coronavirus oblige

Est-ce autorisé ?

Soudain enfin silence total dans la rue

Ouf

Merci le confinement

-  L’occasion de pointer les anciens répertoires téléphoniques

Pour tromper la solitude

Reprises de contact joyeuses ou non

Quand non, on barre les coordonnées

Le portable explose de messages

Penser à le recharger

Pour recevoir en retour les messages des anciens

D’une autre vie

Merci les anciens d’une autre vie de penser à moi

Merci le confinement

 

La faim fait sortir le loup du bois

Masque ou pas masque bien obligés de braver les interdits

Décide de faire le tour des pharmacies du quartier

Pas de masque revenir le 11 mai après la fin du confinement

J’admire la patience des pharmacien(ne)(s)

De toute façon dit cette dernière en souriant

Ça ne sert à rien

Oui ou non, faudrait savoir quand même !

Paris le 17 avril 2020

Au théâtre ce soir ...

 

Soudain j’aperçois le type d’en face torse nu sur son long balcon filant

Il est 18h me semble-t-il

Je me mets à la fenêtre

Temps couvert, ciel gris, il ne fait pas si chaud que ça...

 

Chaque jour, travailleur confiné contraint au télétravail sur son ordinateur 

Il profite du soleil levant parisien pour s’exposer

Il doit aimer la chaleur

Dès que je sens sa présence à travers ma baie vitrée fermée

Sa femme apparaît comme par enchantement et le prend par les épaules pour le câliner

 

Ce jour à 19h elle a une bouteille de vin rosé en main.

Lui tend la bouteille de rosé

Commence à boire au goulot

Elle fait de même

 

Bientôt 20h ils seront sans doute sur leur balcon du 5° étage

Suivant les préconisations

Pour un tollé d’applaudissements avec les occupants des immeubles alentour

Pour remercier le personnel hospitalier de son acharnement professionnel

Pour sauver l’Humanité du corona virus / Covid 19.

 

Paris-Tocqueville le 7.4.2020

 

Les (3) coups

elle arriva
elle ne savait où
pour faire
elle ne savait quoi
devant qui
elle ne savait qui

qui que quoi où donc
se dit-elle donc
Bon
allons y quand même

Allons-y où
allons y là
allons y quand
allons y quand même

Elle se retrouva
face au public
lequel

tous publics confondus
se souviendra-t-elle
plus tard
bien plus tard

VENI VIDI VICI

 

Nouvelles

Extrait de Nouvelles du temps présent, Éditions l’Harmattan, 2021

 

Si coquette et pomponnée

Dans son berceau déjà, sa mère ne supportait pas ses baguettes de tambour blond blanc

Pour l’embellir, elle décida chaque soir de lui couvrir la tête de bigoudis

‘Pas bibi maman pas bibi’ criait l’enfant en voyant sa mère approcher

Sa mère, elle voulait qu’elle soit frisée

A 8 ans elle rentra un soir de l’école en pleurant ‘Dumbo, Dumbo l’éléphant’ disaient ses copains découvrant ses grandes oreilles décollées sous ses baguettes de tambour

Qu’à cela ne tienne, on opéra ses grandes oreilles qui de décollées devinrent collées

A 12 ans on lui arracha les deux canines supérieures ‘Dents en avant’ avaient-ils dit

A 16 ans on lui dégraissa les seins ‘Seins trop gros’ avaient-ils dit

Alors elle Le rencontra

C’était son Premier amour ‘Tes seins sont trop petits’ dit-il

On lui opéra les seins à nouveau pour repartir à la case départ grâce aux prothèses dernier cri. Merci

Puis un ami de son mari arriva à les convaincre que son fripon de nez en trompette était bien trop pas comme il faut

Elle passa sur le billard

Il lui élargit les narines

Elle se retrouva avec un nez en patate fort satisfaite

‘Comme tu as changé maman’ disaient ses enfants quand ils consultaient les photos de mariage dans l’album de famille

A 30 ans ne supportant plus sa culotte de cheval elle décida de se faire liposucer

Trois ans plus tard elle en était au même point mais n’eut pas le courage de recommencer ‘Tant pis’ disait-elle

Toutefois aux premiers bourrelets à la taille, après sa deuxième grossesse, elle se fit opérer à nouveau

‘C’est pas grand-chose’

Puis commencèrent à apparaître ces terribles ridules au coin des lèvres

 L’ami de la famille veillait toujours

Il lui proposa des petites injections de silicone et la convainquit dans le cadre d’un deux en un de se faire tirer les paupières pour supprimer cernes et rides d’expressions.

Elle resta tuméfiée pendant un mois et se planqua dans l’obscurité de peur que l’on ne croit que son mari lui eût fait un œil au beurre noir, un si bon couple !

Mais son cou vieillissant l’inquiétait

Qu’à cela ne tienne l’ami était toujours à son écoute

On incisa, on tira quelques centimètres de peau derrière ses grandes oreilles, on coupa, puis on recolla le tout, ni vu ni connu.

Horreur et damnation la peau de son cou était désormais si tendue qu’elle lui collait à la trachée.

Elle prit l’habitude de mettre un col roulé, rien de grave

Son coiffeur arriva à la convaincre que la couleur de ses cheveux n’était décidément plus une couleur

Elle accepta de se teindre

Au deuxième shampooing elle devint queue de vache

Ça pour sûr elle avait une vraie couleur, vraie de vraie

Enfin elle commença à trouver salement délavée la couleur de ses yeux et acheta des lentilles de contact vert émeraude à l’effet confondant

‘Une autre femme’ disaient ses amies ‘Méconnaissable’

Quand elle décéda on convoqua l’embaumeur

Il la maquilla et la coiffa , avant qu’on ne la mette en Boîte.

On ne pouvait décidément pas la laisser entrer telle qu’elle dans l’Au-delà.

Une femme si coquette et pomponnée

 

Pilule silence

À la fin de sa vie, il avait tout compris.

On peut peut-être dire il avait enfin tout compris.

Il se plantait devant Elle et la fixait.

Ça l’énervait. Depuis qu’il avait ses couches Elle ne supportait plus ce grand vieillard devant elle qui la suivait partout et la fixait sans rien dire.

Car il l’avait décidé - enfin peut-on vraiment dire qu’il l’avait décidé - ne plus parler, rester muet. Désormais il préférait observer, c’est ce qu’il avait à son fils l’autre jour sur la Promenade.

A la grande surprise de Penaud il avait ouvert à nouveau la bouche et s’était mis à parler ou plutôt à philosopher : « J’ai décidé de ne plus parler, c’est plus drôle d’observer » avait-il dit.

Alors sa femme, qui avait un peu moins de la moitié de son âge, il la poursuivait en titubant de ses silences. Ces silences intolérables après ces disputes quotidiennes insupportables qui avaient durées trente ans, l’âge de leur premier avortement à l’aiguille à tricoter.

Il était là et il savait. Enfin il savait ‘cet amour’ Il l’avait tant voulu ‘cet amour’ : « Si tu me quittes, je te tue. Tu es ma moitié éternelle pour l’éternité ». Effectivement L’éternité s’était installée dans leur quotidien depuis plus d’un an. L’éternité en couches-culottes-pipi-caca.

Oh bien sûr, au début, avant, Elle disait : « Si ça lui arrive je le 31 mettrai dans une Maison ». Et puis c’était arrivé. Et puis elle n’avait pas pu, plus pu ! Alors de temps en temps, pour tenir, on appelait le Médecin de famille. « De ce côté-là, non, je ne peux rien », disait-il. « Il n’y a rien à faire ». Et il renouvelait sa prescription de pilules pour le cœur. Pour qu’il tienne encore pipi-caca-couches-culottes-silence, cherchant ses marques dans un monde devenu étranger. « Où est ma chambre ? Comment on y va ? ». Se raser la moitié du visage. Se dédoubler présent-passé. Et puis prendre ses pilules pour le cœur, pour la Machine à vie, pour qu’elle tienne encore un peu.

Pour ce face à face muet quotidien où l’on dit ce que l’on ne dit pas, ce que jamais on a osé dire. Alors, en silence, on se tait face à face.

Et On donne la pilule, et on dore la pilule, et on prend sa pilule, la pilule de ses vieux jours, la pilule de l’éternité du bout de la vie.

 

 

Françoise Geier – dossier par Nicole Barrière

Francosemailles, Automne 2024

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Créé le 1 mars 2002