Françoise Geier (†
6 mai 2024) était une personnalité iconoclaste et attachante, pleine
d’humour et de dérision mais fine observatrice de l’époque et de ses
contemporains. Comme elle aimait le dire : « je mets les
pieds dans le plat ! »
« Cligner sur les passants
Décortiquer la froideur du non-dit
Savoir l’instant… »
De son écriture poétique, elle disait : « le
génie a encore frappé », mais si sous des traits d’humour se
cachait la réflexion sur les problèmes graves de notre temps, cela était
sans doute dû à ses origines « d’enfant de la guerre »
qu’elle relate dans son livre Orthez – mes racines entre ville et
campagne.
Une fois cette exploration biographique côté maternel
faite, elle avait voulu retrouver ses racines côté paternel mais n’en eut
ni le courage, ni le temps.
Elle nous a laissé cependant de belles pages d’analyse
de notre société dans ses Nouvelles du temps présent et ses poèmes
toujours pleins de vivacité.
C’était une poète au grand cœur, toujours prête à
aider ses semblables, inquiète des conditions difficiles faites aux
enfants et aux migrants qu’elle allait côtoyer dans le Centre médical
Europe.
Elle laisse une œuvre variée sur le plan littéraire et
photographique.
Voici quelques extraits de sa vie et de son œuvre.
©Nicole Barrière
***
Biobibliographie
Originaire du sud-ouest de la France, et vivant
principalement à Paris, Françoise Geier est
poète, nouvelliste, photographe.
Après des études d’anglo-américain à l’Université de
Paris VIII-Vincennes, elle commence à écrire des contes et nouvelles pour
enfants-adultes. Suivent des publications de textes libres, courtes
proses et poèmes dans des revues d’écriture contemporaine tant en France
continentale qu’à l’Île de la Réunion, en Belgique et au Québec, parfois
accompagnés de ses photographies de terrain.
Elle
participe à des anthologies, livres d’artistes, revues francophones
papier et internet, mails-art internationaux. Elle intervient dans des
colloques et festivals en France et à l’étranger. Membre de la SGDL, de
la MEL, du Pen Club Paris, de l’AICL.
Prestations
poétiques
Interclub
17 ; Maison de la Culture du XVII° ; Point-Virgule ;
Crypte St Agnès ; Cabaret le Bec fin ; Cabaret l’Échelle à
Coulisse ; Tonalités - des écrivains au bout du fil ; Semaine
de la poésie de Nangis ; Musée-atelier Adzak ;
Rencontres Son Nature à l’École supérieure Louis Lumière ; Marché de
la Poésie ; Festival d’Avignon - Maison du Off, programmation Michel
de Meaulne puis Alain Léonard (tournage de la prestation par l’équipe du
Off) ; Galerie Arcina ; Radio
dialogue, Marseille (enregistrement radiophonique de Philippe
Perret) ; la Poissonnerie, Marseille (enregistrement de la
prestation) ; Cabaret le Loup du Faubourg (programmation Eve Griliquez) ; Fête des vendanges de
Montmartre ; Vinothèque - Galerie Vivienne ; Lire en
Fête ; Printemps des Poètes (Paris, Meknès, Versailles) ;
Centre culturel canadien ; Mairie du II° ; Salle Jean Dame,
Paris II° ; Stand le Temps des Cerises (tournage de la prestation
par Maria Koleva Films) ; Festial DécOuvrir de
Concèze (programmation Matthias Vincenot) ;
Concile poétique festif autour de «Poules au pot » et rencontre de libre
parole pour célébrer le poète gascon Bernard Manciet.
Interventions
Invitation
par Claude Cohen Safir à l’Atelier international
du Département DPA de l’Université de Paris VIII Saint-Denis pour une
intervention avec projections sur « Les femmes et l’Espace / Le public et
le privé » à partir de « En marchant la prostitution » textes publiés par
Simone Balazard dans sa revue Le jardin d’essai
(actes de l’intervention dans la revue Résonances) ; intervention
pour émission radiophonique de David Christoffel.
Publications
1980
/ 1981 – Miracle elle a pondu et Une histoire par semaine
(contes et nouvelles pour enfants-adultes) Handshake Éditions, Paris.
1994
– Thèmes et variations poétiques (poèmes) FG Éditions
2001
– Des Poètes, Edition d’artiste Céphéïdes
2001
/ 2003 – Bestiaire de jardin et Rivières de France (ouvrage
collectif de nouvelles), éditions Le jardin d’essai
2002
– Une page se tourne (textes libres et courtes proses avec une
postface de Bernard Noël), Éditions K’A Marseille
2004
– La Dragée haute (textes et photographies de l’auteur), Le Temps
des Cerises éd.
2006
– La Vie en boucle, du cœur de Paris au cœur de Marseille (textes
et photographies de l’auteur), Le Temps des Cerises Ed.
2010
– Chante le coq chante – Canta el Gall Canta - I Shant
lo kok i shant –
Canta lo log au canta - Éditions K’A
Ille-sur-Têt
2012
– Transparences dures & Exhibit (photo de couverture de
l’auteur), L’Harmattan
2014
– Ma muse m'a dit..., L'Harmattan
2015
– Orthez – mes racines entre ville et campagne – éd. France Libris
2021
– La nature est mon royaume. Recueil poétique pour petits et grands.
Ill. de l'auteure, éd.
Unicité
2021
– Nouvelles du temps présent, L'Harmattan
Participation à
des livres d’artistes (avec ou sans contrainte)
Feuillet
d’album
(collection Livre pauvre / Livre riche (Daniel Leuwers –Gallimard) ;
Estampillé III / Habits à lire / Livre-ardoise : Mémoire de craie /
Pâtisseries poétiques / FArCebook (Wanda Mihuleac-Transignum) ; Art postal (Alain Helissen).
Participation à
des revues
Le
Capital des Mots
(Éric Dubois-Internet) ; La Feuille printanière (Denis
Parmain-poetabrut) ; Comme en poésie
(Jean-Pierre Lesieur) ; Portulan (Voix Tissées).
Participation à
des anthologies
La
poésie est dans la rue / Le rouge n’existe pas / Nous la multitude (Le Temps des Cerises
éd.) ;
Attention Travail (l’Harmattan) ; La
poésie érotique féminine contemporaine de langue française (Giovanni
Dotoli-Hermann Éditeurs) ; Des Avant-Gardes à l’Intuitisme (Schena
Editore-Alain Baudry § Cie) ; Anthologie progressive - Poésie en
liberté (Internet-Matthias Vincenot) ;
Pièces sur l’histoire de Colombières sur Orb
(Guy Bechtel-Conseil général) ; Anthologie MUP (éditions Corps Puce) ;
Anthologie Liberté de créer, liberté de crier (Pen Club
français-Éditions Henry) ; Cessez-le-feu (alfAbarre) ;
60 Poèmes contre la haine (Nicole Barrière).Haut du formulaire
***
Pour
mieux la connaître
Photos
Inspiration
Profération
Au marché de la poésie
en juin 2022
Attente
Au Kosovo en 2014 avec
Alla Polosina :
conservatrice adjointe du Musée Tolstoï
de Iasnaïa
Poliana
Témoignages
À
propos de Françoise Geier, ils ont dit :
« Dans
L’ENCRE DES MOTS, Françoise GEIER, avec un talent singulier, met en mots
et en images des rencontres pittoresques, mais aussi des réflexions
graves inspirées par sa lecture du monde d’aujourd’hui et par l’air du
temps. Sous des apparences de légèreté, d’humour et de fantaisie,
l’auteure, comme le diront nos amis québécois, est une véritable
humaniste, qualité rare de nos jours. »
-
Sylvestre CLANCIER - poète-essayiste-critique littéraire
« La confrontation d'un poète avec le
quotidien n'est pas un exercice sans danger et nécessite autant
d'attention que d'empathie. C'est ce qu'a compris Françoise Geier qui, à une observation subtile source
d'inspiration, mêle humour et malice, mais sans exagération. »
- André Mathieu - poète-journaliste
Présentations de ses recueils
La nature est mon royaume - Recueil poétique pour
petits et grands, Éditions Unicité, 2021
Dans le cadre de ses pérégrinations l'été en Corrèze,
Françoise Geier s'est amusée à croquer quelques rencontres pittoresques avec la
nature, les animaux et les hommes. Intitulé La nature est mon royaume,
ce recueil poétique, illustré par l'auteure, fait aussi la part belle, en
deuxième partie, à des rencontres sur tout le territoire avec six amis
chats.
La
vie en boucle, du cœur de Paris au cœur de Marseille, Éditions Le temps
des cerises 2006
Faire
parler la rue - tel est le pari de Françoise Geier
dans La vie en boucle, ouvrage où elle donne la parole en mots et en
images à des rencontres de hasard pittoresques entre Paris, Marseille et
environs.
Orthez – mes racines entre ville et campagne,
2015
« Hier soir, j’ai fait le tour d’Orthez,
berceau de tant de souvenirs de vacances joyeux et ensoleillés.
Chaque maison, autour de celle de mon grand-père et de ma grand-mère, en
centre-ville, me parle, chaque famille que je peux encore nommer. »
Revisiter son passé, entre ville et campagne, tel est
le pari de l’auteure qui nous permet, grâce à ses récits, nouvelles,
courtes proses et photos d’archives, un retour sur la mémoire d’une
famille, d’une région et de ses habitants, d’une époque, et donc un
retour sur nous-mêmes.
Nouvelles
du temps présent, Éditions l’Harmattan, 2021
D'une génération nourrie de Tintin et de Sherlock
Holmes, Françoise Geier met à profit la lecture
de ses détectives préférés. Dans ce nouveau livre, elle se pose en témoin
sur le qui-vive et développe son sens de l'observation et du reportage,
toujours prête à intervenir pour la résolution de situations ayant mis en
alerte son esprit critique. Elle n'hésite pas à interpeller les divers
publics et les autorités et nous livre ici, sous forme d'articles et de
nouvelles, des témoignages de quelques situations insolites de
l'actualité, des rues, des hommes et des femmes qui marquent notre
époque.
Ma muse m’a dit, Éditions l’Harmattan
2014
Mais qui sont donc ces Muses qui nous font entrer dans la danse des
mots ?
Ma muse m'a dit :
« Regarde - Ressens - Retranscris
Interroge ta mémoire
Dis ta joie - Dis ta peine
Secoue le Tapis des Mots »
Des poèmes composés en hommage aux poètes qui ont
inspiré l'auteure : Aragon, Bataille, Char, Ponge, Ronsard, etc.
***
Choix
de textes
Regarde - Ressens - Retranscris
Poèmes extraits du recueil Ma muse m’a dit, l’Harmattan 2014
À Louis
Aragon
HaraKIRI
La vieillesse avance
masquée
Se montrer
Ne pas se montrer
Les rides en ribambelles
Avancent masquées
Les mots en ribambelles
Se bousculent au portillon de la mémoire
Rire
Ne pas rire
Coquetterie de l’image
HaraKIRI la vieillesse
Haut les mains
Et bas les masques
Les rides grignotent les pages du visage
Garde à vous l’existence
Gare à vous l’apparence
Le Ciel vous garde
©Françoise Geier – 2.10.2013
À Pierre de Ronsard
Me couche tard
Et ai mauvais sommeil
Si mort ne vient encore
Vieillesse est déjà proche
Mémoire est polissonne
À qui avance en âge
Si mort ne vient encore
Vieillesse est déjà proche
La dragée haute
Les poèmes suivants sont extraits de La dragée haute, Ed. Le
temps des cerises, 2005
Froid dans le dos
Ça fait froid dans le dos
Rue d’Italie
À côté de la Laverie
Il y a l’Église Évangéliste Baptiste
Ça fait froid dans le dos
C’est là que j’ai rencontré Gédebêêêêê
Avec sa bouche de croisé
Pointée vers La Mecque
Du Pétrole
Ça fait froid dans le dos
Les lavages de cerveau
Les lavages d’eau bénite
Les enzymes de la prière
Par tirs gloutons interposés
Ça fait froid dans le dos
Les à l’Attaque proférés
Pour la Liberté, l’Égalité
La Fraternité l’Allaitement
Sans contrainte
La Culture bio
À l’attaque à l’Attaque
Ça fait froid dans le dos
***
Du haut de son perchoir dantesque
L’Ogre contemple le Tigre
Le Tigre est rouge sang aujourd’hui
L’Ogre se frotte les mains
Il attrape la passoire des grandes occasions
Pour la plonger dans le fleuve millénaire
Dodelinant sa tête immonde
- A la pêche aux cadavres clame l’Ogre
Un rot de délectation s’échappe de sa gueule béante
- Dormons sur nos deux oreilles, susurre-t-il
- Le temps de l’Apocalypse est enfin proche
CAC 40 CAC 40 CAC 40
Chante le temps de l’Apocalypse
Le squelette de Nostradamus tressaille
Dans les oubliettes de l’Histoire
Les ouvriers de la Mort hurle le diable
planétaire
Sortent leurs casques de survie
En un clin d’œil
- À l’Attaque hurle le Diable
Planétaire
Des coliques incongrues vident
Les soldats de leurs tripes
Soldats de tous bords
Tous frères dans la colique
Enfin un Vent de Sable se lève
Qu’il s’engouffre dans la gueule de l’Ogre
Et lui chatouille les amygdales à mort
Ce Vent de l’Éternité
Qui va recouvrir
Cette folie orgiaque
Du linceul sanglant
De l’oubli
Travail de mémoire dis-moi ton amnésie
***
Le Rescapé de la Paix
Un petit ange mésopotamien de huit ans alité
Regarde les téléspectateurs
A très peur dit le docteur
Très peur
Le petit ange nous regarde
Sans comprendre
Il a perdu ses parents et ses huit frères et sœurs
Dit le docteur
Orphelin seul rescapé des bombes
Il a très peur
Regardez
En effet nous regardons
Il descend le drap de l’enfant
Le docteur
Le drap il descend jusqu’à mi-buste
Regardez
En effet nous regardons
Plus de mains le petit ange
Plus de bras le petit ange
Plus d’avant-bras le petit ange
Orphelin
Seul rescapé des bombes
Brûlé à 60% sur tout le corps
le petit ange
nous avons dû l’amputer dit le docteur
il a très peur dit le docteur
très peur
***
Poème urbain
Venelles Centre
Ville
Ancienne nationale
À G poste/Mairie/2 à 3 feux rouges
À D boulangerie/1 bureau de tabac
Giratoire vasque gros galets pelouse
Giratoire
Rue de la Bergerie jusqu’au bout
50M
À D rue de la Reille
Ne pas prendre la Resquillette (à G)
L’adjudant (à
D)
Au milieu
Passer restaurant « Le Loup Rastelier »
Continuer rue de la Reille
Arriver droit
(giratoire)
Sur la D rampe
Indiquer 30km
Serpente
Continuer
À D borne incendie
Juste à côté panneau
Alors tourner à D
Longer maison après espèce de petite murette
Cartons qui dépassent
Suivre chemin goudronné
Endroit avec plusieurs boîtes à lettres
Première maison avec portail en fer
Côté voie sans issue
Entrée de maison portail
en bois
Voie goudronnée
Descente 15à 20%
Chemin des Fontêtes
Arrivée
La vie en boucle
Les textes suivants sont extraits de La vie en boucle du
cœur de Paris au cœur de Marseille, Ed. Le temps des cerises 2006
31 mars
Une pub dans le métro à la station Château Rouge attire mon
regard :
TROIS P’TITS T-SHIRTS
ET PUIS S’EN VONT
AVEC UNE REDUCTION
DE CERVELLE
A ajouté une main anonyme au feutre bleu
Interactivité
6 avril
Rendez-vous important avec E.V pour déjeuner. Perdu de vue depuis 1998
Même jour, même heure, sa majesté la Reine d’Angleterre vient chercher
e, personne (mais sérieusement entourée), chez le patissier-star
de la capitale, son œuf de Pâques joliment décoré d’une fresque peinte à
la main par un artiste du quartier avec de la peinture comestible.
Stars
Apercevant des cailles à la devanture du boucher une soudaine envie de
cuisiner.
Pas de cailles déjà évidées comme celles exposées en devanture, mais
de vraies joiles petites cailles bien pleines
de leurs entrailles - mais déjà plumées quand même – que le boucher va me
chercher dans l’arrière-boutique. Quel plaisir de retrouver ces gestes
mémorisés dans l’enfance : évider, nettoyer le gésier et les autres
viscères, avant de farcir le cas échéant le volatile. J’aimerais que mon
petit Jérémy soit à mes côtés pour que nous détaillons ensemble les
différentes parties de la bête dans la transmission d’un savoir
immémorial.
Savoirs
12 avril
Place Castellane. Une odeur de pizza qui me conduit à un marchand
ambulant. Et pourquoi ne pas manger une pizza ce soir ! je désigne
l’objet de mes désirs, frappée de stupeur devant la beauté du vendeur
d’une trentaine d’années. Une telle beauté au service d’un commerce de
bouche ! je tiens ma langue, m’embrouille dans le choix de mes euros
pour payer. Gentil, il vient à mon secours.
- Vous êtes gentil, dis-je
Puis après une pause, avec audace
- Vous êtes beau aussi.
Enfin prudente,
- Elle a dû vous le dire…votre maman
- Oui
Sourires .
Dire la beauté
20 avril
… « il y a plus de soixante ans (1944) les Françaises accédaient
au droit de vote »
Histoire
14 mai
« …. dans un camion
frigorifique : cinq Somaliens ont été hospitalisés ce jour à Calais
en état de légère hypothermie après avoir été surpris à bord d’un camion
frigorifique chargé de viande congelée. Découverts grâce au scanner
thermique des douaniers d’Eurotunnel, ces clandestins tentaient de
rejoindre l’Angleterre »
Froid dans le dos
Réminiscences
Extrait
de Orthez - mes
racines entre ville et campagne, Edition France Libris 2015
Avant-Arrière
Sa
mère ayant été flanquée à la porte par son propre père à l’annonce de la
nouvelle, le bébé fut obligé de suivre puisqu’il était déjà dans son
ventre, ou plutôt de précéder, soyons plus précis.
C’est
lui qui, étant déjà dans un état de développement intra-utérin avancé,
était la cause première de l’éviction de la maison familiale, c’est donc
lui qui devait ouvrir la marche vers la rue. Normal !
Une
histoire banale comme il en existe encore et toujours de milliers, parce
que bébé-fœtus palestino-israélien ou israélo-palestinien ce n’est pas
confortable. Pas plus que bosno-serbe ou serbo-bosniaque, sans parler de
Tchétchéno-russe ou Russo tchéchène, pour ne prendre au hasard que
quelques exemples …
Il
faut accepter son hérédité d’où que s’agitent les grelots de la
génétique.
Une
famille toute simple que la sienne en somme, puisque son père né à Trüchtersheim près de Strasbourg, Alsace, avant la
guerre de 14-18, et sa mère à Paris après la guerre de 14-18, avaient
tous deux, à quelques kilomètres de distance été élevés dans la même
région franco-alémanique, lui à Strasbourg, elle à Mulhouse où son père
était en garnison.
……
Mais
la vie en avait décidé autrement. La vie de l’histoire d’un pays qui, par
le truchement d’un dictateur, fait que l’amour doit devenir haine et la
procréation transfrontalière honnie.
Donc,
quand l’histoire dérape, les jeunes mères doivent cacher leur ventre,
raser les murs, ramper, sous peine de coups de pied dans le C…quand ce
n’est pas lapidation, bien entendu, mais là c’est une autre histoire,
d’un autre âge, encore que…
Alors
des larmes, des torrents de larmes, de courage, de dignité pour la femme
fécondée devenue fille indigne, mère indigne, d’un bébé indigne, sans
personne pour s’indigner ou si peu.
Quand
les dictateurs perdent la boule, les girouettes perdent la tête en sens
inverse du bonheur, jusqu’à ce que le vent tourne. Jusqu’à ce que
reprenne le cours normal de la vie comme de rien n’était.
Il
faut bien que l’Histoire avance comme elle a toujours avancé. Un coup en
arrière, un coup en avant. Question d’équilibre des forces.
Bicyclettes
Le
moyen de transport inconditionnel à l’époque pour tous, jeunes et vieux.
Je
ne me souviens plus de son nom, mais chaque mardi, jour de marché, elle
descendait de la campagne à Orthez à bicyclette. Elle avait vingt-quatre
ans. C’était normal. Nous étions émerveillés.
Les
trois nôtres étaient entreposées dans l’entrée de la « grande
baraque » comme disait Mamy et nous les retrouvions chaque été
équipées de leur pompe à air pour les regonfler en cas de besoin et de
rustines en cas de crevaison.
…..
Vacances
à bicyclette
En
vacances, petite fille de neuf ans, je devais claudiquer sur la
bicyclette de Mamy harnachée d’épaisses cales de bois. Une idée
ingénieuse de mon grand-père, diplômé de l’École des Mines en Argentine,
pour ne pas faire de dépense inutile puisque de toutes façons j’allais
grandir, et pour que je puisse atteindre la selle trop haute pour moi,
pédalant dans un premier temps en danseuse.
Et
c’est ainsi que j’ai gravi quotidiennement pendant les grandes vacances
les hautes et basses côtes pyrénéennes, lâchant parfois pieds et mains
comme mes grands frères dans les pentes douces ou simplement les pieds
dans les côtes plus arides, en maitrise totale
d’équilibre.
La Poustelle
La
Poustelle théâtre de la rue
« La
Baroune »
Les
parents lui jetaient la pierre
Les
enfants lui jetaient des pierres
A grandes enjambées elle tentait de s’enfuir sans un
mot
Aussi
vite que son pauvre petit corps courbé en avant
De
vieille femme vêtue de hardes poussiéreuses pouvait la porter
Mes
frères et moi témoins muets médusés
Descendus
en vacances de la capitale
Chez
nos grands parents
Dans
cette Patrie du poète Francis Jammes
Regardions
sans comprendre
Laissions
faire sans un mot
Le Gave de
Pau
Éternellement
je reverrai la scène.
Minoterie
sur le Gave de Pau
Il
arrive en courant dans ma direction le cœur battant
Lui :
Où vous allez comme ça Madame ?
Moi :
je fais un petit pèlerinage avant de prendre le train de 9h38 pour
Bordeaux
Quand
j’étais adolescente, je laissais mon vélo à l’entrée de la minoterie pour
aller me promener sur cet ilot à la Robinson Crusoé
des bords du Gave. C’était génial. Évidemment, avec l’actualité
maintenant, je n’aimerais pas que mes enfants viennent seuls ici.
Lui :
vous savez il y en a qui se jettent
L’autre
jour une dame elle ramait avec deux bâtons de l’eau jusqu’à la taille.
J’ai dû appeler les gendarmes
Moi :
il y a des suicides ?
Lui :
oui, trois. Vous savez, la dépression ça peut prendre tout le monde.
Moi :
excusez-moi si je vous ai fait des émotions
Salon de
l’agriculture
Salon
de l’agriculture, porte de Versailles à Paris, stand des bovins
Chaque
année je ne manquerai pour rien au monde ce salon
Ça
sent bon l’herbe, ça sent bon le foin
Une
vache, oreilles
étiquetées à la mode du jour, est entrain de déféquer. Ça fait rire les
enfants de la ville. « Regarde » dit-il. C’est un petit garçon
devant une belle bouse en formation qui sort du cul de la vache.
Je
m’avance vers l’enclos des vaches de race Brune à la rencontre de
l’éleveur.
Moi :
pourquoi est-ce que vos vaches n’ont pas de cornes ?
Jérôme :
elles ne sont plus attachées. Elles sont en stabulation libre dans
l’étable. Alors on leur brûle les cornes quand elles sont toutes petites.
Moi :
comment ?
Jérôme :
avec un brûle-corne. C’est un pistolet électrique. On introduit la corne
entrain de pousser dans le pistolet et ça brûle la corne.
Moi :
ça leur fait mal ?
Jérôme :
on leur fait une toute petite anesthésie. Si le fer est chaud, on fait
une corne entre 15 et 20 secondes.
Moi :
pourquoi vous le faites ?
Jérôme :
si vous preniez un coup de corne, vous verriez. Sécurité. C’est mieux
pour l’éleveur et c’est mieux pour le veau.
Côté
Blondes d’Aquitaine, je crois un autre éleveur :
Moi :
elles n’ont pas de cornes vos vaches ?
Lui :
je les trouve plus jolies avec des cornes. Ça fait partie de l’harmonie
de la bête, mais je leur brule les cornes.
Sécurité.
Danser
C’est
à Orthez, autour du kiosque à musique dans le jardin public, que j’ai
fait mes premières armes de danseuse, au bal du 14 juillet.
….
Soudain,
à minuit, une grande pétarade effarouchait les danseurs. C’était le toro
de fuegos qui fonçait dans la foule, crachant
par les yeux et les oreilles des gerbes de feu d’artifice multicolores.
Les gens apeurés couraient dans tous les sens, se bousculant les uns les
autres, tout en riant de la farce.
Pour
les FETES D’ORTHEZ, c’était le grand bal de la salle de la Moutète. Avec mes frères, nous y retrouvions nos amis
et j’acceptais en confiance les invitations de tous les inconnus qui se
présentaient.
Je
me souviens qu’un jour mon danseur m’a dit qu’il était coureur cycliste.
C’était le premier et seul coureur cycliste que j’aie
jamais rencontré.
Il
y avait aussi des concours de danse avec récompense à l’appui. Sachant
que j’étais excellente danseuse, Ramuntcho est
venu me chercher pour un concours de Charleston dont nous sommes sortis
grands vainqueurs. Nous sommes repartis avec deux bouteilles d’Izarra La jaune, que j’adore, pour moi et la verte
pour lui. Par la suite Ramuntcho m’a totalement
ignorée pour mon plus grand dépit.
C’est
Papy qui nous a appris à danser quand j’étais adolescente dans la grande
entrée de la maison. Ayant été lui-même élevé en Argentine, c’était un
champion du tango. Il connaissait aussi la valse, le paso doble, très
important dans la région, et toutes les autres danses de salon. Et un, et
deux, et trois. C’est lui qui nous montra les pas de la valse et comment
agencer nos pieds et nos corps en tournant avant de nous servir de
cavalier à l’essai. Idem pour le tango et le paso doble. Merci Papy.
L’amour
Au
fond, place de la Poustelle, dans une petite
maison très bien tenue, se trouvait un travailleur napolitain, auquel
Mamy faisait appel de temps en temps pour quelques bricolages. Il était
marié à une ravissante gitane. C’était une famille unie qui avait deux
enfants qui ont très bien réussi.
A
l’occasion des fêtes d’Orthez cette gitane et sa sœur, aussi belle
qu’elle, accolaient leurs corps harmonieux et flexibles pour les duos de
danses qui émerveillaient toujours mon grand-père. « Quelles
merveilles », disait-il.
L’encre des mots
Les textes suivants sont extraits de L’encre des mots, Ed.
Unicité, 2016
Poème cannibale
Des envies de mordre
Le papier des mots pour en faire
Sortir la sève
Rouge est le désir du sens en apesanteur
Porter la poésie
La poésie se porte
En bien en mal
Comment allez-vous
Je vais je vais répond la belle
La poésie se porte
Au lit la nuit
Occupe la place du silence
Parole d’or le silence
La poésie se porte
Comme
le temps
Quel
beau temps quel bon temps
Cheveux
dans le vent
Oui
oui oui non non non
Non
non non oui oui oui
La
poésie sait être mutine
Parole
drôle rire aux larmes
Laborieuse
Bille
en tête
A rebrousse-poil
Entre
les lignes
Sur
le droit fil de la vie
Et
pour qui aime les poètes
La
poésie se porte branchée électronique
Cousue
de fil blanc sur papier couché
Abracadabrantesque
Dans
un cornet glacé
Entre
tcha tcha tcha et tralala
Clic
clac le dentier
La poésie se porte de toute éternité
Secrète poésie
Secrète
***
Chimères
Sur un buvard
Gorgé de violet
Enivrement de la matière
L’eau noire des fossés
S’abreuve de feuillages
Mes yeux bavards
Boivent la vie
***
Si j’avais l’horizon
Le vent
Le ciel
Je partirai vers d’autres voyages
M’envahit la pensée
Me berce le vent
Bleu du ciel
***
Charmes
Allongée
dans le soleil couchant
Je
songe
Esclave
de la chaleur
Esclave
du temps
J’observe
Les
vaches à l’œuvre sous un viaduc recouvert d’arbres
Devant
l’Auberge du Loup
Un
chat se prélasse
À
l’ombre d’un cerisier dans le vent
***
Blanches des prés
Elles sont belles
elles sont sages elles sont repues
Ruminant allongées au soleil dans leurs prés pâturages
pentus
Elles attendent sereines leur heure
Donner leur lait pour les bébés
Pour la tétée
Pour les industriels et leurs industries
La traite
Elles attendent le savent-elles
L’abattoir le
tranchoir le hachoir l’écarissoir
Pour nourrir les hommes
Donner leur sang nectar de vie
Nourrir les hommes est leur destin
Dans l’innocence et la douleur ou sans
***
En route pour Beaugency
Nom de Zeus
Au loin Eole
Fait se mouvoir leurs ailes trilobées clignotantes
Tire le souffle des éoliennes à la verticale
Fait clignoter leurs gros yeux alternatifs
Au gré d’un vent capté en cadences bruyantes
Pour un accouplement sans cesse en devenir
Entre des bras d’acier prolifiques
***
Demain
L’immense désert et son tapis de sable fin
Et ta monture qui apparait
Me prend à califourchon
Et nous basculons dans le temps
Dans l’éternité
Femme Vie Liberté
Dans le recueil Jîna-Bendan.
Femme Vie Liberté - Recueil de poésie en soutien aux femmes du
Kurdistan et d'Iran, Ed. l’Harmattan,
Avril 2023
Femme ma sœur
Femme ma sœur
Femme asservie cloîtrée mutilée violée assassinée
de continent en continent
je t'en supplie
un sourire à moi femme
pour sortir de ta tête
cet enfermement de mirages
moyenâgeux
vie en berne
fais chier
tire-toi
casse-toi
qu'y s'cassent le coup
ailleurs
qu'y cassent les couilles
ailleurs
fous-leur ton poing sur
l'museau
tire-toi alouette
la saison de la chasse est
passée
ils vont encore avoir ta peau
la vie vite
tire-toi
casse-toi
minette
Femme ma sœur
Poèmes inédits
Paris Confinement
- Aujourd’hui j’ai cassé un verre en pyrex grand
format
Le dernier de la collection
Pourquoi, comment ?
Je verse une larme
Bref
Mais la preuve git sur le
carrelage de la cuisine
À déblayer au plus vite
Impossible de le remplacer
Monoprix à ma porte est fermé
Pour cause de confinement
Je verse une larme
J’en ai marre du confinement
- Bruit infernal dans la rue
Je vais à la fenêtre pour vérifier ce qui se passe
Ma voisine sur le balcon d’en face en fait autant
Service déménagement ...
Est-ce possible
Une immense échelle mécanique évacue d’un 6ème étage
Avec force de bruit
D’immenses cartons
Coronavirus oblige
Est-ce autorisé ?
Soudain enfin silence total dans la rue
Ouf
Merci le confinement
- L’occasion de
pointer les anciens répertoires téléphoniques
Pour tromper la solitude
Reprises de contact joyeuses ou non
Quand non, on barre les coordonnées
Le portable explose de messages
Penser à le recharger
Pour recevoir en retour les messages des anciens
D’une autre vie
Merci les anciens d’une autre vie de penser à moi
Merci le confinement
La faim fait sortir le loup du bois
Masque ou pas masque bien obligés de braver les
interdits
Décide de faire le tour des pharmacies du quartier
Pas de masque revenir le 11 mai après la fin du
confinement
J’admire la patience des pharmacien(ne)(s)
De toute façon dit cette dernière en souriant
Ça ne sert à rien
Oui ou non, faudrait savoir quand même !
Paris le 17 avril 2020
Au théâtre ce soir ...
Soudain j’aperçois le type d’en face torse nu sur son
long balcon filant
Il est 18h me semble-t-il
Je me mets à la fenêtre
Temps couvert, ciel gris, il ne fait pas si chaud que
ça...
Chaque jour, travailleur confiné contraint au
télétravail sur son ordinateur
Il profite du soleil levant parisien pour s’exposer
Il doit aimer la chaleur
Dès que je sens sa présence à travers ma baie vitrée
fermée
Sa femme apparaît comme par enchantement et le prend
par les épaules pour le câliner
Ce jour à 19h elle a une bouteille de vin rosé en
main.
Lui tend la bouteille de rosé
Commence à boire au goulot
Elle fait de même
Bientôt 20h ils seront sans doute sur leur balcon du
5° étage
Suivant les préconisations
Pour un tollé d’applaudissements avec les occupants
des immeubles alentour
Pour remercier le personnel hospitalier de son
acharnement professionnel
Pour sauver l’Humanité du corona virus / Covid 19.
Paris-Tocqueville le 7.4.2020
Les (3) coups
elle
arriva
elle ne savait où
pour faire
elle ne savait quoi
devant qui
elle ne savait qui
qui que
quoi où donc
se dit-elle donc
Bon
allons y quand même
Allons-y où
allons y là
allons y quand
allons y quand même
Elle se retrouva
face au public
lequel
tous
publics confondus
se souviendra-t-elle
plus tard
bien plus tard
VENI VIDI VICI
Nouvelles
Extrait de Nouvelles du temps présent, Éditions l’Harmattan, 2021
Si coquette et pomponnée
Dans son berceau déjà, sa mère ne supportait pas ses baguettes de
tambour blond blanc
Pour l’embellir, elle décida chaque soir de lui couvrir la tête de
bigoudis
‘Pas bibi maman pas bibi’ criait l’enfant en voyant sa mère approcher
Sa mère, elle voulait qu’elle soit frisée
A 8 ans elle rentra un soir de l’école en pleurant ‘Dumbo, Dumbo
l’éléphant’ disaient ses copains découvrant ses grandes oreilles
décollées sous ses baguettes de tambour
Qu’à cela ne tienne, on opéra ses grandes oreilles qui de décollées
devinrent collées
A 12 ans on lui arracha les deux canines supérieures ‘Dents en avant’
avaient-ils dit
A 16 ans on lui dégraissa les seins ‘Seins trop gros’ avaient-ils dit
Alors elle Le rencontra
C’était son Premier amour ‘Tes seins sont trop petits’ dit-il
On lui opéra les seins à nouveau pour repartir à la case départ grâce
aux prothèses dernier cri. Merci
Puis un ami de son mari arriva à les convaincre que son fripon de nez
en trompette était bien trop pas comme il faut
Elle passa sur le billard
Il lui élargit les narines
Elle se retrouva avec un nez en patate fort satisfaite
‘Comme tu as changé maman’ disaient ses enfants quand ils consultaient
les photos de mariage dans l’album de famille
A 30 ans ne supportant plus sa culotte de cheval elle décida de se
faire liposucer
Trois ans plus tard elle en était au même point mais n’eut pas le
courage de recommencer ‘Tant pis’ disait-elle
Toutefois aux premiers bourrelets à la taille, après sa deuxième
grossesse, elle se fit opérer à nouveau
‘C’est pas grand-chose’
Puis commencèrent à apparaître ces terribles ridules au coin des
lèvres
L’ami de la famille veillait
toujours
Il lui proposa des petites injections de silicone et la convainquit
dans le cadre d’un deux en un de se faire tirer les paupières pour
supprimer cernes et rides d’expressions.
Elle resta tuméfiée pendant un mois et se planqua dans l’obscurité de
peur que l’on ne croit que son mari lui eût fait
un œil au beurre noir, un si bon couple !
Mais son cou vieillissant l’inquiétait
Qu’à cela ne tienne l’ami était toujours à son écoute
On incisa, on tira quelques centimètres de peau derrière ses grandes
oreilles, on coupa, puis on recolla le tout, ni vu ni connu.
Horreur et damnation la peau de son cou était désormais si tendue
qu’elle lui collait à la trachée.
Elle prit l’habitude de mettre un col roulé, rien de grave
Son coiffeur arriva à la convaincre que la couleur de ses cheveux
n’était décidément plus une couleur
Elle accepta de se teindre
Au deuxième shampooing elle devint queue de vache
Ça pour sûr elle avait une vraie couleur, vraie de vraie
Enfin elle commença à trouver salement délavée la couleur de ses yeux
et acheta des lentilles de contact vert émeraude à l’effet confondant
‘Une autre femme’ disaient ses amies ‘Méconnaissable’
Quand elle décéda on convoqua l’embaumeur
Il la maquilla et la coiffa , avant qu’on ne
la mette en Boîte.
On ne pouvait décidément pas la laisser entrer telle qu’elle dans
l’Au-delà.
Une femme si coquette et pomponnée
Pilule silence
À la fin de sa vie, il avait tout compris.
On peut peut-être dire il avait enfin tout compris.
Il se plantait devant Elle et la fixait.
Ça l’énervait. Depuis qu’il avait ses couches Elle ne supportait plus
ce grand vieillard devant elle qui la suivait partout et la fixait sans
rien dire.
Car il l’avait décidé - enfin peut-on vraiment dire qu’il l’avait
décidé - ne plus parler, rester muet. Désormais il préférait observer,
c’est ce qu’il avait à son fils l’autre jour sur la Promenade.
A la grande surprise de Penaud il avait ouvert à nouveau la bouche et
s’était mis à parler ou plutôt à philosopher : « J’ai décidé de ne plus
parler, c’est plus drôle d’observer » avait-il dit.
Alors sa femme, qui avait un peu moins de la moitié de son âge, il la
poursuivait en titubant de ses silences. Ces silences intolérables après
ces disputes quotidiennes insupportables qui avaient durées trente ans,
l’âge de leur premier avortement à l’aiguille à tricoter.
Il était là et il savait. Enfin il savait ‘cet amour’ Il l’avait tant
voulu ‘cet amour’ : « Si tu me quittes, je te tue. Tu es ma moitié
éternelle pour l’éternité ». Effectivement L’éternité s’était installée
dans leur quotidien depuis plus d’un an. L’éternité en
couches-culottes-pipi-caca.
Oh bien sûr, au début, avant, Elle disait : « Si ça lui arrive je le
31 mettrai dans une Maison ». Et puis c’était arrivé. Et puis elle
n’avait pas pu, plus pu ! Alors de temps en temps, pour tenir, on
appelait le Médecin de famille. « De ce côté-là, non, je ne peux rien »,
disait-il. « Il n’y a rien à faire ». Et il renouvelait sa prescription
de pilules pour le cœur. Pour qu’il tienne encore
pipi-caca-couches-culottes-silence, cherchant ses marques dans un monde
devenu étranger. « Où est ma chambre ? Comment on y va ? ». Se raser la
moitié du visage. Se dédoubler présent-passé. Et puis prendre ses pilules
pour le cœur, pour la Machine à vie, pour qu’elle tienne encore un peu.
Pour ce face à face muet quotidien où l’on dit ce que l’on ne dit pas,
ce que jamais on a osé dire. Alors, en silence, on se tait face à face.
Et On donne la pilule, et on dore la pilule, et on prend sa pilule, la
pilule de ses vieux jours, la pilule de l’éternité du bout de la vie.
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