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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Novembre-décembre 2022

 

 

 

Nathalie Lescop-Boeswillwald :

« Dans l’encre bleue océane… »

 

Poèmes

 

Avec les collages de l’auteure

 

 

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Une Dame de Lettres

 

(*)

 

 

Derrière les volets,
Dans la pénombre

De la chambre,

Un visage

attend

Que passent les heures chaudes...

L’enfance traîne ses sandales

Sur la terrasse,

Après quelques jeux,

L’ennui s’installe

La porte de la cuisine

Est ouverte sur le jardin...

Sur la table,

Des pommes

Un couteau

De la cannelle...

Ce soir, pour qui aime,

Il y aura de la compote...

Sous les troènes,

Le chat sommeille...

Une carafe d’orangeade,

Quelqu’un tourne une page...

Dans la maison,

un rire fuse...

L’image se trouble

Un vol de corbeaux

Dans le ciel monotone

Septembre frappe au carreau...

La clé accroche un peu dans la serrure...

Les verres

comme le fauteuil

sont vides...

 

 

***

 

 

Le temps qui passe

Est cet ami lointain

Qui chevauche nos prairies de mots et de gestes

Et traverse nos forêts d’absences...

 

Il porte beau son âge

Sous son manteau d’automne roux...

 

Dans ses yeux de matin clair,

Les souvenirs s’épanouissent

A l’horloge assagie du destin...

 

Doux comme un souffle d’été sur la peau,

Il habille les saisons blanches de l’être,

Et ces battements de cœur qui nous font et nous défont...

 

Le temps qui passe

Est cet ami lointain,

Qui nous rend visite, à l’heure du thé,

Lorsque les jours s’étirent comme un long dimanche

 

Donnant à la vie qui va

Ces instants d’embellie

Qui ensoleillent la nuit...

 

 

***

 

 

Et les mots appareillent pour une contrée de soleil

Qui enjambe l’hiver comme l’enfance le ruisseau…

Voyelles et consonnes jouent à saute-moutons

Dans la prairie vierge des papiers

Tandis que virgules et points de suspension

Caracolent de page en page…

Dans l’encre bleue océane des souvenirs,

La plume trempe les pieds, la tête dans les étoiles

Et le verbe pourfendeur chevauche l’espoir.

 

 

Réminiscence

 

 

***

 

 

Un ciel craquelé de pluie

Un mercredi couleur de murailles

Une campagne de brumes et de feuillages roux

Septembre…

 

Une enfance au tableau

Une saison lasse derrière le rideau

Un épi de blé au fond d’une poche

Septembre…

 

Une silhouette serrée dans un grand châle de laine

Une paire de bottes crottée sur le paillasson

Un volet fermé sur l’été

Septembre…

 

Un cahier sans ratures

Une tasse de thé brûlant sur un coin de table

Une absence à étreindre

 

Septembre…

 

 

***

 

 

Vaisseau immobile

Pris dans la glace et la neige

D’un janvier de froidure

 

De tout son être

La maison

Se dresse

 

Lieu séculaire

Où s’ancre la vie

Comme l’enfant

Au ventre maternel

 

De la cheminée

S’échappent de longues volutes de fumée

 

Derrière la façade

Tout est paisible

 

Le murmure du vent

Agite les cimes des sapins

Dans la grande allée

 

Un volet mal accroché

Bat, rompant de temps à autre,

Un silence ouaté

Dans le crépuscule qui s’avance

À grands pas

 

 

***

 

 

Nuit étoilée de juin

Aux senteurs de menthe

Et d’herbe humide,

Où le ciel d’encre noire

Sur les épaules,

L’être s’avoue enfin heureux…

 

 

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Méditation

 

 

***

 

 

Allumer un bâton d’encens indien

Dans le petit matin bruineux

 

Septembre s’assoupit dans le linceul des aimés

 

Dans le ciel gris

Le dessin d’une étreinte

Avec l’enfance sans prénom

 

À fleur de chair

Tendre les bras à l’absence

 

Le temps d’un rêve éveillé

 

Savoir l’intime du manque

Mêlé à une éternelle présence

 

S’ébrouer comme le chien

Et pour parfaire l’instant

Écrire ses maux sur le papier blanc du jour

 

Et tenter un timide sourire

À l’intime du silence

Comme un signe par-delà les nuages

 

 

***

 

 

Le soir enlace la maisonnée dans un soupir de brume

Le vieux tilleul se dresse, soldat de bois veillant sur les âmes

Derrière nos paupières fatiguées, le fantôme de nos aimés

Dans le silence seul l’écho du manque résonne

 

Le temps n’estompe rien

Demeurent le chagrin

Qui peut-être nous tient debout

Et les souvenirs…

 

La nuit engrange nos rêves

La mémoire ne s’aventure guère dans la forêt des maux

Préférant batailler avec les apparences

Qui nous tenaillent jour après jour…

 

Le vent de janvier chuchote vos prénoms

Qui s’accrochent aux branches nues

Comme les prières à l’arbre votif…

 

Mains tendues vers ces lambeaux incertains

Que la pluie lave et délave au fil des saisons

Nous sommes les cœurs meurtris de trop d’absence…

 

Le temps ne nous appartient plus

Vos silhouettes peuplent nos yeux

Et le vide s’invite au creux de nos bras

 

A la lampe du passé,

Nos rires entremêlés prennent vie

Sur un bout de papier

 

Poème

 

 

***

 

 

À la taverne des mots clairs

La chandelle vacille

Sous le souffle des voyelles

 

Sur la table des jours

Se dressent nos âmes-buvard

En quête d’ivresse

 

A la lanterne du poème

Nos yeux ont soif

De tendresse nouvelle

 

Et pourtant l’encre sèche

Sous nos doigts d’absinthe verte…

 

Toute honte bue

La mémoire s’aventure

Au comptoir pour un souvenir

 

Carcasse vide, le cœur

Se vautre dans les oripeaux

Des petits matins

 

A l’heure où la vérité

Débauche l’espoir

Et décille le ciel…

 

 

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Le beau aura toujours raison

 

***

 

 

Les branches des arbres s’agitent

Et bruissent sous le souffle du vent

 

Une pluie battante assombrit le ciel

 

À travers le carreau

L’image floue d’une campagne verte et détrempée

 

Les pommes trop mûres jalonnent le sol

 

Déjà les feuilles se piquent d’or et de roux

 

Dans la boue des chemins forestiers

L’empreinte de la saison qui s’enfuit

 

Comme passe le temps…

 

L’automne avance à pas menus

Sur le sentier des jours

 

Dans l’air comme une odeur

De feu de bois et de tricots mouillés

 

Le bêlement d’un mouton

Puis de nouveau le silence

 

Bientôt la brume des petits matins

Et ces paysages d’automne chers à la mémoire

 

 

***

 

 

Un ciel d'orange mûre et de tablier bleu

Comme un dessin d'enfant crayonné

Dans la marge du cahier de récitations

 

Un parfum sucré et chaud de prunes cuites

Le bruit des pas usés dans l'escalier

Et quelques notes de piano qui s'échappent

D'une chambre au fond du couloir

 

La vie frissonne dans la vieille maison

Sous le châle des habitudes

Derrière la porte

La campagne oublie le jour

 

Dans la cuisine, la table est mise

Septembre sanglote dans les verres

 

L'automne sera bientôt là...

 

 

***

 

 

Dans le drapé de la nuit

Flâner le cœur à marée basse

S’imaginer le retour des jours bleus

Lorsque les peaux brunissent

Comme un fruit mûr

Rêver aux heures lumineuses

Aux silences alanguis de l’été

Quand tout respire la Vie

 

Dans le drapé de la nuit

Balayer l’hiver

D’un revers de poème

 

© Nathalie Lescop-Boeswillwald

 

 

(*)

 

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Nathalie Lescop-Boeswillwald est née en 1967. Poète, artiste collagiste, critique, directrice de la revue littéraire et picturale Les Amis de Thalie, elle a publié plus d’une trentaine d’ouvrages dont de nombreux ont été primés.

Des textes portant toute l’expérience de la maturité sans oublier leurs attaches aux racines, aux territoires de l’enfance. Cependant latente, une profonde blessure est présente, sourde, discrète et redondante à la manière d’un mouvement pendulaire.

La beauté naturelle de certaines poésies nous émeut de tant de pertinence, de suggestions révélatrices. Émouvante surprise où l’émotion nous touche, nous taraude. Chapelets d’images d’une grande noblesse évocatrices et poétiques…

Joie avouée de croiser des souvenirs et des visions de doigts dans l’encre violette à la Doisneau, précisément où c’était encore le temps des plumes « Sergent Major » avec parfois quelques accents verlainiens…

Nous percevons chez Nathalie Lescop-Boeswillwald une poésie remplie de sèves multiples, nourrie d’humus et se désaltérant de perles de rosées.

Notre poétesse a le don du renouvellement, de la remise en question, mais l’ensemble demeure toujours rattaché à la qualité du cœur, du ressenti, de l’émotion frémissante et de l’image révélatrice.

 

Michel Bénard

 

Pour son œuvre de collagiste, voir son site, d’où sont extraits les collages qui illustrent ce groupage de poèmes inédits.

 

 

 

Nathalie Lescop-Boeswillwald

Francosemailles, Novembre-décembre 2022

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