Derrière les volets,
Dans la pénombre
De la chambre,
Un visage
attend
Que passent les heures
chaudes...
L’enfance traîne ses sandales
Sur la terrasse,
Après quelques jeux,
L’ennui s’installe
La porte de la cuisine
Est ouverte sur le jardin...
Sur la table,
Des pommes
Un couteau
De la cannelle...
Ce soir, pour qui aime,
Il y aura de la compote...
Sous les troènes,
Le chat sommeille...
Une carafe d’orangeade,
Quelqu’un tourne une page...
Dans la maison,
un rire fuse...
L’image se trouble
Un vol de corbeaux
Dans le ciel monotone
Septembre frappe au carreau...
La clé accroche un peu dans la
serrure...
Les verres
comme le fauteuil
sont vides...
***
Le temps qui passe
Est cet ami lointain
Qui chevauche nos prairies de
mots et de gestes
Et traverse nos forêts
d’absences...
Il porte beau son âge
Sous son manteau d’automne
roux...
Dans ses yeux de matin clair,
Les souvenirs s’épanouissent
A l’horloge assagie du
destin...
Doux comme un souffle d’été sur
la peau,
Il habille les saisons blanches
de l’être,
Et ces battements de cœur qui
nous font et nous défont...
Le temps qui passe
Est cet ami lointain,
Qui nous rend visite, à l’heure
du thé,
Lorsque les jours s’étirent
comme un long dimanche
Donnant à la vie qui va
Ces instants d’embellie
Qui ensoleillent la nuit...
***
Et les mots appareillent pour
une contrée de soleil
Qui enjambe l’hiver comme
l’enfance le ruisseau…
Voyelles et consonnes jouent à
saute-moutons
Dans la prairie vierge des
papiers
Tandis que virgules et points
de suspension
Caracolent de page en page…
Dans l’encre bleue océane des
souvenirs,
La plume trempe les pieds, la
tête dans les étoiles
Et le verbe pourfendeur
chevauche l’espoir.

Réminiscence
***
Un ciel craquelé de pluie
Un mercredi couleur de
murailles
Une campagne de brumes et de
feuillages roux
Septembre…
Une enfance au tableau
Une saison lasse derrière le
rideau
Un épi de blé au fond d’une
poche
Septembre…
Une silhouette serrée dans un
grand châle de laine
Une paire de bottes crottée sur
le paillasson
Un volet fermé sur l’été
Septembre…
Un cahier sans ratures
Une tasse de thé brûlant sur un
coin de table
Une absence à étreindre
Septembre…
***
Vaisseau immobile
Pris dans la glace et la neige
D’un janvier de froidure
De tout son être
La maison
Se dresse
Lieu séculaire
Où s’ancre la vie
Comme l’enfant
Au ventre maternel
De la cheminée
S’échappent de longues volutes
de fumée
Derrière la façade
Tout est paisible
Le murmure du vent
Agite les cimes des sapins
Dans la grande allée
Un volet mal accroché
Bat, rompant de temps à autre,
Un silence ouaté
Dans le crépuscule qui s’avance
À grands pas
***
Nuit étoilée de juin
Aux senteurs de menthe
Et d’herbe humide,
Où le ciel d’encre noire
Sur les épaules,
L’être s’avoue enfin heureux…

Méditation
***
Allumer un bâton d’encens
indien
Dans le petit matin bruineux
Septembre s’assoupit dans le
linceul des aimés
Dans le ciel gris
Le dessin d’une étreinte
Avec l’enfance sans prénom
À fleur de chair
Tendre les bras à l’absence
Le temps d’un rêve éveillé
Savoir l’intime du manque
Mêlé à une éternelle présence
S’ébrouer comme le chien
Et pour parfaire l’instant
Écrire ses maux sur le papier
blanc du jour
Et tenter un timide sourire
À l’intime du silence
Comme un signe par-delà les
nuages
***
Le soir enlace la maisonnée
dans un soupir de brume
Le vieux tilleul se dresse,
soldat de bois veillant sur les âmes
Derrière nos paupières
fatiguées, le fantôme de nos aimés
Dans le silence seul l’écho du
manque résonne
Le temps n’estompe rien
Demeurent le chagrin
Qui peut-être nous tient debout
Et les souvenirs…
La nuit engrange nos rêves
La mémoire ne s’aventure guère
dans la forêt des maux
Préférant batailler avec les
apparences
Qui nous tenaillent jour après
jour…
Le vent de janvier chuchote vos
prénoms
Qui s’accrochent aux branches
nues
Comme les prières à l’arbre
votif…
Mains tendues vers ces lambeaux
incertains
Que la pluie lave et délave au
fil des saisons
Nous sommes les cœurs meurtris
de trop d’absence…
Le temps ne nous appartient
plus
Vos silhouettes peuplent nos
yeux
Et le vide s’invite au creux de
nos bras
A la lampe du passé,
Nos rires entremêlés prennent
vie
Sur un bout de papier
Poème
***
À la taverne des mots clairs
La chandelle vacille
Sous le souffle des voyelles
Sur la table des jours
Se dressent nos âmes-buvard
En quête d’ivresse
A la lanterne du poème
Nos yeux ont soif
De tendresse nouvelle
Et pourtant l’encre sèche
Sous nos doigts d’absinthe
verte…
Toute honte bue
La mémoire s’aventure
Au comptoir pour un souvenir
Carcasse vide, le cœur
Se vautre dans les oripeaux
Des petits matins
A l’heure où la vérité
Débauche l’espoir
Et décille le ciel…

Le beau aura toujours raison
***
Les branches des arbres
s’agitent
Et bruissent sous le souffle du
vent
Une pluie battante assombrit le
ciel
À travers le carreau
L’image floue d’une campagne
verte et détrempée
Les pommes trop mûres jalonnent
le sol
Déjà les feuilles se piquent
d’or et de roux
Dans la boue des chemins
forestiers
L’empreinte de la saison qui
s’enfuit
Comme passe le temps…
L’automne avance à pas menus
Sur le sentier des jours
Dans l’air comme une odeur
De feu de bois et de tricots
mouillés
Le bêlement d’un mouton
Puis de nouveau le silence
Bientôt la brume des petits
matins
Et ces paysages d’automne chers
à la mémoire
***
Un ciel d'orange mûre et de
tablier bleu
Comme un dessin d'enfant
crayonné
Dans la marge du cahier de
récitations
Un parfum sucré et chaud de
prunes cuites
Le bruit des pas usés dans
l'escalier
Et quelques notes de piano qui
s'échappent
D'une chambre au fond du
couloir
La vie frissonne dans la
vieille maison
Sous le châle des habitudes
Derrière la porte
La campagne oublie le jour
Dans la cuisine, la table est
mise
Septembre sanglote dans les
verres
L'automne sera bientôt là...
***
Dans le drapé de la nuit
Flâner le cœur à marée basse
S’imaginer le retour des jours
bleus
Lorsque les peaux brunissent
Comme un fruit mûr
Rêver aux heures lumineuses
Aux silences alanguis de l’été
Quand tout respire la Vie
Dans le drapé de la nuit
Balayer l’hiver
D’un revers de poème
© Nathalie Lescop-Boeswillwald
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