Anne-Emmanuelle Fournier
Traductrice
et interprète dans le domaine des humanités, Anne-Emmanuelle Fournier cherche
une écriture du surgissement, dans laquelle l’étrangeté du conte et du
rêve se marient à une contemplation dépouillée qui caractérise
différentes formes de poésie asiatique. Elle a publié quatre
recueils de poésie dont L’Offrande aux fantômes (2022)
et La Part d’errance (2021) aux éditions Unicité.
Νέκυια
(extraits)
sommeil
de fin d’après-midi
un oiseau
grince
à la
lisière du ciel
creusant
dans ta
poitrine le trou noir
primordial si
tu ne
cilles pas peut-être
pourrait-il
cette fois
s’évaporer
***
la main
faiseuse d’ombre
s’évanouissait
dans un
pays où tu connus
la
couleur de la mer
septentrion
deux
femmes te désignent
le soir
d’hiver
or la
nuit
ne
ressemble pas à la nuit
une seule
main portait l’ombre
Benoît Sudreau
Le motif d'écriture de Benoit Sudreau
tient à la réévaluation des puissances réelles, à travers des recueils de
poésie (Charges, Tituli, 2020; L'approche, Bruno
Guattari Editeur, 2024), mais aussi notes,
articles et entretiens (Triages, Le Lieu
Improbable, Margelles, lundi matin). Il a
adapté Yin Ling en français (Le temps de guerre, Circé, 2022)
et traduit La Dame des Vignes de Yannis Rítsos (Bruno
Guattari Editeur, 2025).
1
on la casse sans drame à cette lumière
la tige d’herbe sèche mais le muscle
mais l’os à la lumière d’ici
notre mort déchirante
2
l’hibiscus
à profusion
donne et
bourdonne
la nappe
de fleurs délavées rétractées
à côté la
mère désenfantée
3
Lumière
vers l’été ton aubépine pousse sur les enfants qui ne naîtront pas, ses
petits pétales tissés dans leurs limbes, et une odeur de chair,
d’intérieur de chair — la note qui ne mourra pas —
4
de
l’autre côté mon amour chante,
c’était
la lumière d’avril,
oscillait
avec son ombre, sur ma tête, sur la table
un grand
rosier et c’était tout
(Poème extrait de Puys bleus, recueil inédit).
Alena Meas
Née en 1976 à Prague. Depuis 2000, elle vit et
travaille à Paris. Elle se consacre à l’écriture et à la peinture et
gravure. L’écoute des harmonies fragiles et l’esthétique du fragment,
ainsi que l’intuition de l’unité, sont essentielles pour entrer dans son
univers poétique et pictural. Elle a publié trois recueils de
poésie : Piliers (Averse/Literarni
salon, 2012), Protège tes sens (Unicité, 2019), Pour toi
(Unicité, 2024), et un récit poétique Les arbres lui semblaient
pivoter (Unicité, 2021).
*
Pacifie
la pluie ; dans le lit
La pluie
se plie au désir
Ruissellent
les caresses
Il pleut
fort, la paresse
Nous
immobilise, le temps presse
Le ciel
change, le soleil
Pacifie
la pluie, dans le lit
On a
froissé le linge
Par
mégarde
Le soleil
tarde au bord et rit
Que nous
sommes maladroits !
Ô, que
nous sommes maladroits
Faire
l’amour quand sur le toit
L’averse perce
les tuiles.
*
Une
araignée minuscule parcourt la table
Ses
pattes – respiration de l’automne –
Bougent
si vite
Et puis
s’arrêtent – Pourquoi ?
Pourquoi
cette visite ?
Près
d’une pomme rouge
Ses
pattes bougent
Si vite
Elle me
quitte
Elle s’en
va
Sans dire
aurevoir
Impolie
et pressée
Elle
s’arrête et repart
Son train
siffle
Ils
annoncent son départ.
© Alena Meas,
peinture (2024)
Miguel Coelho
Enseigne la philosophie en région
parisienne. Son écriture emprunte les chemins du lyrisme sans renoncer
aux recherches formelles. Il est l'auteur de deux recueils de poésie,
Quasi-haïkus (Unicité, 2018) et 2020 (Le capital des mots,
2022).
*
Ton amour me bâillonne comme un
ulcère.
Dans les gares et les
calendriers, les corridors et les cours, dans les artères des rues, sur
la roue des sarcasmes, parmi les arcanes qui te nomment, les caravanes
qui m'annihilent et m'humilient, hier en pensée, on ne m'entendra jamais
crier le mien.
Aussi, ne puis-je nier.
*
J'apprends les mots
« urètre », « imbécile », « carnage », dans
les souvenirs et les conventions qui m'abolissent, dans le décalage
cognitif qui scella notre alliance, dans l'usage délirant qu'il
renouvelle et soude au mouvement précautionneux rythmant la mécanique de
nos décompositions.
Et c'est toujours un motif de me
battre, de t'offrir mon visage pour mourir.
*
Je mens dans ta lumière.
Il y a des impressions de rêve, de
sel cristallisé dans les miroirs, où les os font tumulte.
Je forme avec le doute un tapage
d'ondes qui tournoient et des aspects de l'être sur tes lèvres.
Tes mains envieuses sculptent peu
à peu mon délire et ma peur, mon dos hésitant de sueur et ses torsions,
se retirent dans la fiction, le serment pressé de sa rose, me retiennent,
bête, à merci de ta lecture patiente.
Ce qui repose dans l'examen, dans
l'excentration absolue, est voué aux bruits qui nous cernent. Ils sont la
prudence et l'oubli.
Silvia Majerska
est née en Slovaquie en 1984. Elle est poète et
traductrice. Dans sa poésie, elle s’attache à explorer les pouvoirs de
l’image et la capacité qu’a celle-ci de nous
étonner. Son premier livre Matin sur le soleil paraît en 2020 aux
éditions Le Cadran ligné et elle publie un deuxième livre de poésie
Blancs-seings à l’automne 2024 chez Gallimard.
On
s’exprime avec la clarté de l’eau de roche, claire d’un éclat perpétué,
vieille de l’être, vieille de ne pouvoir cesser de le redevenir.
Le temps
en est le prix. Il se contracte, formant de petits disques dorés qu’on
jette à la fontaine forts d’un vœu rassurant. Parler, la plus petite
monnaie de l’âme, porte chance et promet le retour. Tout le reste, ce qui
n’a ni âge ni éclat ni prix, est ce qui n’a ni voulu être ni n’a
été : un refus d’être, mais un refus si obstiné qu’il ferait blêmir
la matière noire, qu’il la réduirait en cendres, qu’il la réduirait
presque à la matière grise.
*
Aux
feuilles mortes agrippées sur les branches à la fin de l’automne
répondent les restes de neige parsemés sur le sol à la fin de l’hiver.
C’est dans le mouvement vers le bas qu’est la rime où la Terre peut se
réfléchir.
Les
saisons, c’est comme faire tourner la roue de la fortune qui retombe
toujours sur la chance. Mais combien sommes-nous à voir la chance dans
une rime ? Aussi nombreux que ceux qui voient dans le mille-feuille de
feuilles mortes couvrant le sol des zestes de neige.
Anne-Cécile Causse
est poète et photographe. Elle a publié trois
recueils, "L’Aube, après toi", aux éditions L’Échappée
Belle, "Autrement que la rive", aux Editions Unicité et
"Paysages et intérieur" aux éditions Henry / la Rumeur libre
(Prix des Trouvères 2022). Pour elle, l'appel d'une tentation colore les
mots d'une lumière particulière, celle de l'effacement : se dessaisir,
comme le sculpteur retire, pour espérer voir surgir, une langue.
« Perdre
Mais
perdre vraiment
Pour
laisser place à la trouvaille » (Toujours, de G.
Apollinaire)
***
À ton silence,
j'opposerai le mien.
Là où Sorrente
se faisait l'écho
de larmes tempo
primo.
***
Net, augmenté d'un
corps,
et de
son expression,
un cri,
qui n'était pas celui
de naître.
***
La chevelure navigue,
une ondulation pour une
autre.
Le silence est silence
épris
de la langue
à venir
nulle chevelure.
***
La caresse d'un soleil
écoute,
avant la peau.
Une voix peut-être,
l'appui de vivre,
l'effort de l'eau
contre le corps.
***
« Le silence des Sirènes », 2024, avec la
danseuse Clémentine Balair (photo par
©Anne-Cécile Causse)
« Or,
les Sirènes possèdent une arme plus terrible encore que leur chant, et
c’est leur silence. » (extrait de Le silence des sirènes
de Kafka).
Clémentine Balair
Danseuse, plasticienne et poète, sa démarche artistique
en peinture consiste à fusionner l’abstrait en expression et le figuratif
de l 'anatomie. L'écriture et la danse sont des tremplins à la
spontanéité. Par ailleurs, elle donne des ateliers d'art plastiques aux
enfants.
Peinture performance de Clémentine Balair
(photo par ©)
*
Parcours
en duo poétique 2007
Sensibilité
de cœur naît.
Les mots
sont soudains élus.
L'éternité
se soumet.
La poésie
sacrale le geste.
*
Performance butô, le 16
novembre 2024 à l’atelier d’Alena Meas (photo
par ©)
Regis Rizzo
Né en 1967 aux Lilas (93), peintre, il travaille à La
Ruche à Paris et expose
en France et à l’étranger. Depuis quelques années il collabore avec des
poètes contemporains.
La
série "Brisages", dont le titre est
formé par la contraction des termes bris et visage, prend l’allure d’un
miroir brisé dans les éclats duquel se reflètent une multitude
d’individus. Fragments épars d’une totalité disloquée, ils semblent
appartenir à une fresque humaniste disparue. Mais s’ils évoquent les
ruptures contemporaines ils sont aussi le signe d’une volonté persistante
de faire surgir le visage sur un support inattendu. Forme fragmentaire et
singulière, le verre épais donne au visage une luminosité et une
profondeur particulière.
©Regis Rizzo : Brisage #17, 2021. Huile et
vernis sur verre brisé
©Regis Rizzo : Brisage #63, 2024.
Huile et vernis sur verre brisé
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