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Septembre-octobre 2022

 

 

 

Le sens magnétique, de Dana Shishmanian.

(Éditions L’Harmattan, 2022, 116 p., 13 €)

 

Note de lecture de François Minod

 

Une image contenant texte, nature, nuage, ciel nocturne

Description générée automatiquement

 

 

 

Parler du recueil de Dana Shishmanian en le limitant au genre poétique, est de mon point de vue restrictif. En effet, même si la poésie y trouve toute sa place, la réflexion philosophique, métaphysique, existentielle, spirituelle est au cœur du texte foisonnant de l'auteure. Sa démarche originale est d'avoir tissé le lien entre son univers personnel et l'univers de la musique. Son écriture entre en résonance avec les chefs-d'œuvre auxquels elle fait référence. Sa grande culture musicale mise au service de son inspiration et de sa plume est pour le lecteur très féconde.

« la treizième nocturne  picore sur ta tête/te pique te touche à peine/peu à peu te submerge dans de hautes vagues/tu te laisses alors porter sur les cimes de la mer/et retombes doucement sous les gouttes planantes/flottantes soupirantes gluantes sur tes joues/dans tes paumes ouvertes telles des ailes de papillon vibrant sous une pluie d'été irisée de lune - soleil/or - argent coulé dans la même cuve - /et tu gouttes sur tes lèvres les petites larmes écoulées/ des doigts d'un pianiste qui joue derrière le rideau/ il n'a pas de corps et son piano remplit l'espace / Est l'espace... »

Cet extrait est donné à titre d'exemple. La grande variété de compositeurs et d'œuvres musicales qu'évoque Dana Shishmanian, de Jean-Sébastien Bach à Claude Debussy en passant par Anton Bruckner (et tant d'autres) sans oublier des musiciens contemporains comme John Cage, Phil Glass nous renseigne sur la place qu'occupe « la musique seule ». « Elle s'immisce dans l'intervalle impossible/ elle défait ses pétales danse entonne un chant à l'unisson/ irréel puissant sortant et rentrant du silence en silence/ engendrant des aurores boréales/ la durée est abolie l'espace envahi résorbé reçu ailleurs/ tout est ici et maintenant tout est - Dieu est - rien n'est - la musique seule est... »

Si la musique est le personnage principal du livre de Dana Shishmanian, elle permet audit personnage de faire vibrer les cordes de l'esprit et de l'âme de l'auteure... et par capillarité celle du lecteur.

La musique, de par la richesse des sensations, des émotions et a fortiori des réflexions qu'elle suscite est un révélateur qui permet à l'auteure d'explorer des zones sombres de sa mémoire, et notamment le bruit de bottes des régimes totalitaires telle que la Roumanie communiste - pays dont est originaire Dana Shishmanian.

La musique est également une porte d'entrée au questionnement existentiel, spirituel, voire religieux de la vie.

Il y a également dans le texte de Dana Shishmanian des accents beckettiens, notamment lorsque le narrateur, somme l'autre de « pousser plus loin » à l'instar de Hamm dans Fin de partie.

« N'arrête pas de pousser plus loin - n'importe si tu as l'impression de monter / ou de descendre - de glisser ou de te retourner -/ les directions n'existent pas - c'est pure illusion - il faut juste te pousser plus loin - avec un seul indice - le vide - ... »

Il est vrai que la suite du texte ne s'en tient pas uniquement au vide, comme chez Beckett.

Le sentiment du vide/ - tu dois pouvoir le reconnaître - c'est là qu'il faut pousser - là où tu sens/ qu'il n'y a rien - le bout de la flèche/ le devinera/ tout seul - car elle sait où aller - tu dois juste vouloir/ qu'elle ne s'arrête pas... »

Ce passage illustre la vision pessimiste que le lecteur peut ressentir parfois à la lecture de certains passages du Sens magnétique, contrebalancés par la recherche spirituelle et mystique que développe l'auteure, donnant un sens à ce qui a priori pourrait s'apparenter à une vision nihiliste de l'existence.

Nous sommes interpellés par la richesse et la complexité de la réflexion de Dana Shishmanian, interpellés aussi par l’écriture lyrique qui, dans de grandes envolées, n'hésite pas à saturer la phrase par une accumulation d'adjectifs et de verbes. C'est peut-être ça le style.

 

©François Minod

Septembre 2022

 

 

 

Note de lecture de François Minod

Francosemailles, septembre-octobre 2022

 

 

 

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