Célébration de
la main créatrice :
Michel Ducobu, L’âme de la main
Le plus
récent recueil de poèmes de Michel Ducobu, L’âme de la
main (Éditions Le Coudrier, 2018),
relève de sa profonde sensibilité face au paysage, de l’esprit de
réflexion et de la prédilection pour les poèmes à forme fixe : tercets (L’âme de la main),
quatrains (Siège
sage. Quatrains pour la
méditation), sixains (Sable seul). Ce n’est pas facile de mettre
les émotions et les réflexions dans ce type de poésie et encore de
garder le rhytme, l’harmonie de la phrase.
Cependant, le poète ne cesse d’étonner par ce goût, comme en témoigne ce
nouveau recueil à part dans sa création.
D’une
parfaite unité thématique, les poèmes portent sur le leitmotiv de la
main, annoncé dans le titre. C’est la main de l’artiste inspiré qui
aimerait garder une trace du sacré, l’immatériel du monde, révélé dans un
instant de grâce qui favorise l’acte créateur,
la main remuée par le souffle de l’inspiration.
Ainsi, tout créateur, poète, peintre, sculpteur, architecte,
musicien, potier, pourrait retenir sur papier, sur une toile, un mur, une
vitre, par l’âme de la main, à la manière des impressionnistes, la
révélation du sacré du monde. Mais pour y parvenir tout son être devrait
résonner secrètement avec l’ailleurs invisible, perceptible d’une manière sensorielle. C’est par des
sensations indicibles qu’il accède à l’éternel. Tous ses sens sont en
éveil à voir, toucher, goûter, flairer, écouter l’âme de la terre dans le
chant et la danse de l’eau, des feuilles, dans le mirage des couleurs et
des formes : « L’oreille sur l’écorce écoute/ l’archet
de l’arbre. » (Musique).
Comment
les garder sinon par l’acte créateur, célébré dans chaque poème du
recueil, auquel continue de réfléchir le poète à la fin de son livre : « N’est-ce pas ainsi que va/ Entre le labeur de
l’ici-bas/ Et l’ailleurs de l’illumination/ Le vaste geste de la création
? ».
Les poèmes
de Michel Ducobu valorisent ainsi la main qui
aide les créateurs à suivre leur vocation pour refaire par l’art le
visage du monde, en l’imprégnant de sacralité, car créer révèle du sacré.
Ils célèbrent la main animée par l’âme qui s’éveille en elle, capable
d’accomplir le miracle de donner un sens aux mots, aux sons, au dessin, à
la matière, à la couleur, à l’argile, à la pensée, la main guidée par
l’illumination de l’esprit de l’artiste : « L’âme de la
main/ ensemence à notre insu/ le silence du mot de sons de sens. » (Poésie).
De ce désir de rendre hommage à la création, au créateur et
à la main qui se met à écrire, à tracer des lignes et des formes, à
mettre les couleurs sur la toile, à ranger les notes pour en faire une
symphonie, à faire jaillir de l’argile la beauté des pots et des amphores, dans un instant d’illumination, naissent les poèmes qui relient dans un Tout les arts
s’exprimant à l’aide de la main
: musique, poésie, peinture, sculpture,
architecture, danse, poterie, calligraphie. Un seul poème est consacré à
chaque art, nommé par son nom: Musique, Danse, Peinture, Poésie,
Architecture, Poterie, Calligraphie, Sculpture. Il y
ajoute l’artisanat,
l’astronomie et la philosophie. Chacun est écrit autour du leitmotiv de
l’âme de la main et ce syntagme repris presque dans chaque strophe donne
le rythme, l’harmonie des vers.
La main animée par le souffle de l’inspiration rend sensibles les sensations,
émotions, visions qui nourrissent l’âme du poète, fait chanter et danser
les reflets du monde dans le vertige des mots, des couleurs, des sons et
des lignes. De très belles images poétiques consacrent la main créatrice,
cette main amoureuse par laquelle s’acccomplit
l’oeuvre et non pas celle du labour quotidien: « Brume et bruits
obscurs/ du crépuscule des couleurs/ l’âme de la main lumineuse. » (Peinture) ; « L’âme de la main/ met au
monde des mots/ d’une pure irréalité. » (Poésie) ; « Deux
doigts de vitrail/ au sommet de la main/ signalent le lever de l’âme. » (Artisanat) ; L’âme de la main/ poussière de présence/ sur le
silence du ciel. » (Astronomie).
Les réflexions du poète dévoilent le lien secret entre le visible/ l’invisible, le profane/ le sacré, les deux
dimensions de la réalité, en images sensibles jaillies d’un langage
poétique qui valorisent autant le lexique des arts évoqués que celui du
sacré (chapelle, cathédrale, icones, ange, croix,
piété etc.). Les mots du poème Architecture renvoient soit aux éléments d’une construction, soit
aux styles architecturaux : chapiteau,
nef, choeur, abside, arche, flèches, gothiques, ogival, choeur, octogone, byzantin, baroque, roman etc. Parfois
les vers renvoient aux peintres impressionnistes et à Matisse,
d’autres fois ils parlent de la danse en paraphrasant Descartes : « Je danse donc je suis divinement/ vivante et j’écoute éclore
en moi/ l’âme immatérielle de mes mains. » (Danse).
Du point
de vue formel, les poèmes en tercets s’apparentent au haïku japonais par la strophe de trois vers qui libère une sensation face au spectacle de la nature
et fait naître la méditation ou la réflexion. Le poème apparaît ainsi
comme un enchaînement de haïkus.
Sonia
Elvireanu
Poète,
romancière, critique, essayiste, traductrice, cadre universitaire (doctorat en philologie),
Sonia Elvireanu est membre
de l’Union des Écrivains Roumains, du Centre de Recherches Philologiques pour le Dialogue Multiculturel de l’Université
d’Alba Iulia (Roumanie), et
de la Fédération Internationale des
Professeurs de Français ; elle a fondé
à Alba Iulia le cénacle francophone “Jacques Prévert".
Pour en savoir plus : poèmes et notice
biobibliographique dans Francopolis, à la rubrique D’une langue à l’autre,
février
2017. Voir aussi dans ce même numéro, les rubriques : Vue de
francophonie, et Annonces.
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