Il y a toujours du sang, des
démons, des cris dans la poésie de Dana Shishmanian et inévitablement, en
corollaire, il y a aussi de la tristesse, de la mélancolie et un appel
impétueux à réagir devant ce constat obscur que nous montre le
monde ; mais quel monde ? Un monde que la poète refuse depuis
plusieurs recueils et qui ouvre portes et fenêtres pour tenter de
respirer mieux les mots vivants du poème, afin de mieux respirer
l’existence.
Le titre du recueil est une
piste possible pour pénétrer au plus profond de cette écriture qui bat
tambour, appelle au partage, lève le masque pour une transparence qui n’est
pas toujours facile à capter comme dans cette suite d’adjectifs qui se
profilent et symbolisent une certaine musique qui peut s’appliquer à
notre vécu et pas seulement à une partition musicale.
La musique, très présente dans
ces poèmes, peut être écoutée au premier degré ; de Bruckner à
Tchaïkovski en passant par Chopin, Bach, Saint-Saëns, Clara Schumann ou
Debussy sans oublier Bartók et son mandarin merveilleux, imposant une
portée poétique très originale sur laquelle le jeu de mots s’accorde au
jeu d’une langue poétique alliée à une prose poétique dont les sons
s’inscrivent dans notre conscience. Tout cela nous rapproche, nous
magnétise, nous envoûte, nous illumine aussi grâce à la force aimantée
des poèmes.
Et puis il y a le monde qui
s’agite constamment, le bruit de
bottes universel. Anges et démons s’affrontent et « c’est bien dieu qui pleure », ce dieu qui ne supporte plus la masse des horreurs de sa
création. Naissances et disparitions coulent le long des pages, la
nostalgie d’un pays perdu voué à la mort dans l’âme de la poète, cette
Roumanie natale qui suscite l’interrogation permanente du temps perdu et
qui serait perdu à jamais sans le poème ; pour qui sonne le glas
désormais si ce n’est pour la locutrice elle-même ?
Dans ce monde fracassé de
douleur, Dana Shishmanian est en lutte. Elle mène le combat pour ce qui
reste de beauté, elle s’attache à nouer les fils perdus d’un collectif
usé et ses mots, lourds d’intuition, nous aident à faire ce plongeon
intime en nous-même que, peut-être, on ne ferait pas sans elle. Oui, pour
la poète, la poésie peut encore changer le monde.
©Monique
W. Labidoire
Août
2022
|