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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Mai-Juin 2022

 

 

 

Un train pour Odessa, de Jeanne Champel Grenier

 

(Éditions France Libris 2015, réédité en 2022).

 

(*)

 

Note de lecture de Nicole Hardouin

 

 

 

 

« Je laisserai les volets clos et je n’ouvrirai pas la porte, de peur que le souvenir resté ne s’en aille avec le vent. »

Pierre Louÿs, in Les chansons de Bilitis

 

Ce petit recueil, grand de par sa profondeur, ses descriptions si poétiques qui restituent à merveille l’âme slave dans sa nostalgie, ses exubérances, avait été rédigé une première fois en 2014, édité en 2015 ; il vient d’être réédité à cause de la guerre affreuse qui sévit actuellement en Ukraine.

Anne, personnage imaginaire, avait toujours été attirée par l’Ukraine, ce vieux territoire fier de ses traditions, perpétuellement partagée entre autonomie et dépendance vis-à-vis de la Russie.

Elle décide donc de partir dans un train un peu comme moi, hésitant, c’était une énorme fermeture éclair noire métallique qui ouvrait le manteau blanc.

Elle écrit à son amie marseillaise pour lui raconter son voyage vers Odessa et l’aventure exaltante qu’elle y vivra.

Déjà dans sa première lettre la voyageuse écrit : l’armée dans tout le pays est sur les dents, des bruits de bottes et de kalachnikov, l’Ukraine s’échauffe, on attend toujours l’aide de l’Ouest.

Avec elle nous cheminons sur la route d’Odessa, dans un périple qui épouse les paysages, dans la taïga et sur la neige / mon esprit glisse comme un traîneau, les odeurs, les sons, la terre figée dans ses sabots / a d’étranges sanglots, les habitudes, ici le gel se porte en bandoulière, les coutumes par exemple, au moment de passer le seuil d’une maison  ce lieu est considéré comme maléfique  on ne s’y attarde pas,  mais sitôt entré, on partage un morceau de pain trempé dans du sel, une coutume de bienvenue.

La plume de J. Champel Grenier est un délice, que de belles images au travers desquelles les poètes/ se demandent comment / attacher leurs chimères/ aux crinières du vent.

La jeune femme est aussi poète, elle rencontre dans son périple un groupe de chanteurs et danseurs, elle va y être admise et elle part faire des tournées avec eux.

Au sein de cette formation, un certain Nikholaï va très vite retenir son attention, ce dernier adorait les oiseaux et il lui arrivait de se lever tôt le matin pour les écouter et même les enregistrer, il écrivait certains textes du groupe.

Poète très sensible, entre lui et Anne un grand amour naît : c’était les caresses brûlantes, les baisers inouïs, c’était les frissons sur la peau et les étincelles sur la chair, c’était le chant neuf de l’amour qui transforme les hommes en dieux.

Nous ne dirons rien sur le déroulement de cette puissante passion, sur la disparition de Nikholaï, laissant le lecteur découvrir l’étonnante et inattendue fin de cette longue nouvelle.

Cette passion va conduire Anne dans un camp de Sibérie orientale : mes premiers pas en enfer débutèrent la nuit même de l’arrivée, elle va y connaître toutes le horreurs, persécutions, une moscovite lui murmura de suite : silence ou c’est la piqûre dans le dos, ces affreuses et si douloureuses ponctions lombaires. Dorénavant elle ne va avoir qu’un but : survivre, s’obligeant, jour et nuit à réciter mentalement tous les textes et poèmes qu’elle connaissait pour nourrir sa mémoire, seule condition de salut, mon cerveau devint une véritable machine de guerre : au secours Apollinaire, Rimbaud, Hugo, Baudelaire !

Un matin, un officier vint lui dire qu’elle allait être libérée, je savais que j’allais passer le reste de mes jours à m’interroger sur Nikholaï.

Elle se souvient des chants, des poèmes chantés avec lui, les poètes du Levant / laissent des pas / le long des routes de sang. Il est en elle, je conservais son visage comme une icône, à l’abri dans un coin de mon cœur, il avait disparu, emportant sa part d’ombre – où et pourquoi ? Laissons au lecteur cette découverte.

Comme l’écrit l’excellent poète Claude Luezior qui a rédigé la quatrième de couverture : Anne a survécu dans des conditions innommables. Nous apprenons sous sa plume que l’auteure a eu une partie de sa famille qui a émigré en Russie de 36 à 39 et que l’autre partie, la branche catalane, s’est réfugiée en France.

Ce livre est illustré par des aquarelles et de nombreux superbes poèmes inédits de l’auteure.

D’où, peut-être, ce mélange de nostalgie, de langueur et de fougue solaire, tout est dans ce précieux recueil vendu par l’auteure dans un grand élan du cœur, au profit de « la Voix de l’enfant, Urgence ukrainienne »

Souhaitons que tous ces enfants puissent vite retrouver leur pays pacifié, paix et calme qui nous ramènent à la phrase de Neruda qui termine ce beau recueil : Et quand le monde enfin viendra d’être lavé / alors de nouveaux yeux naîtront dans la fontaine / et le blé poussera sans que coulent les larmes.

 

©Nicole Hardouin

(publiée aussi dans la revue Traversées, 30 mai 2022)

 

 

 

(*)

 

Ce livre-témoignage écrit en 2014 et édité en 2015, réédité dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, est vendu exclusivement au bénéfice du peuple ukrainien par le biais d’une association d’aide humanitaire.

Pour le commander s’adresser par email à l’autrice, pour le régler, envoyer un chèque de 9 à :

 

UN TOIT POUR L'UKRAINE

Maison des associations

2 Place des Récollets

07000 PRIVAS (France)

 

Nous encourageons nos lecteurs d’aller sur le site de l’autrice pour admirer quelques-unes des aquarelles qui accompagnent son livre, dont celle reproduite en tête de cette chronique.

 

 

 

Note de lecture de Nicole Hardouin

Francosemailles, mai-juin 2022

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